07. Déchirés
by Ruyi ♡« Maxi ! Est-ce que tu vas bien ? ! »
Des mains fermes la secouèrent doucement pour la réveiller. Une paire d’yeux noirs la fixait avec intensité. Encore groggy, elle cligna des paupières, incapable de comprendre ce qui s’était passé. Riftan écarta délicatement les mèches de cheveux collées à son front, et l’intimité tranquille de ce geste la ramena brusquement à la réalité. Elle se redressa d’un bond.
« O-Où suis-je… ? »
« Dans une auberge, dans un village près de Zeno. Tu ne te souviens pas ? Un ogre a attaqué le carrosse, et nous avons quitté la forêt pendant que tu étais encore inconsciente. »
Riftan glissa un large oreiller derrière son dos. En se laissant aller contre sa chaleur réconfortante, elle le regarda, l’esprit assailli de questions. Il prit un bol sur la table, le remplit d’eau, puis le lui tendit.
« Bois. Tu as beaucoup transpiré. Il faut que tu te réhydrates. »
Maxi ne prit pas le bol tout de suite, le regard vide, rivé à la surface ondoyante de l’eau.
Riftan fronça les sourcils. « Je ne l’ai pas empoisonnée, si c’est ce que tu penses. Bois. »
Hésitante, elle accepta le bol et le porta à ses lèvres. L’eau tiède lui emplit l’estomac, mais fit aussitôt remonter des nausées. Elle baissa le bol en grimaçant.
Riftan haussa un sourcil. « Tu te sens encore mal ? »
« N-Non… »
« Dis-le-moi si tu souffres encore. J’irai chercher un clerc. »
« N-Non, je m-me sens m-mieux. »
Après l’avoir observée un instant d’un œil soupçonneux, Riftan reprit le bol et alla le reposer sur la table. Ce ne fut qu’à ce moment-là que Maxi put examiner la pièce. Elle était modeste, faite de murs et de planchers en bois, et meublée seulement d’un lit, d’une table et de quelques chaises. En scrutant le plafond à la recherche d’araignées, elle aperçut une toile brillante dans un coin, scintillant faiblement dans la pénombre.
Le lit propre était le seul luxe du lieu. Elle venait à peine de renifler la couverture pour s’assurer qu’elle ne sentait pas le moisi qu’elle fronça soudain les sourcils, prise d’un doute. Redoutant ce qu’elle allait découvrir, elle glissa une main sous la couverture.
Peau nue. Elle ne portait qu’une tunique d’homme. Plus aucune trace de ses sous-vêtements.
« M-Mes v-vêtements ! O-Où sont-ils… ? »
Riftan leva les yeux de la serviette qu’il réarrangeait, et répondit d’un ton parfaitement neutre, comme si la situation était tout à fait normale :
« Je t’ai déshabillée. Tes vêtements étaient couverts de vomis. C’est ma tunique que tu portes. Tu n’as pas emporté le moindre change, donc on a dû se débrouiller avec ce que j’avais. »
Maxi ouvrit la bouche… Puis la referma, à la manière d’une carpe. Devait-elle s’étonner qu’il la blâme pour ne pas avoir pris de vêtements, alors qu’il ne lui avait laissé aucun temps pour préparer ses affaires ? Ou devait-elle être davantage choquée par le fait qu’il l’ait déshabillée alors qu’elle était inconsciente ?
Comme elle restait silencieuse, Riftan reprit :
« Tu es restée inconsciente toute la journée. Je vais commander quelque chose à manger. »
« Oh… A-Attendez… »
Mais Riftan avait déjà quitté la pièce, sans la moindre trace de gêne sur le visage. Maxi balaya rapidement la chambre du regard à la recherche de quoi se couvrir, mais elle ne trouva que l’armure de Riftan, entassée près du lit. Rien qui ressemblât à une malle. Elle n’eut d’autre choix que de tirer la couverture jusqu’au-dessus de son nez.
Peu après, Riftan revint. Lorsqu’il vit le sommet du crâne de Maxi dépasser timidement de sous la couverture, telle une tortue sortant de sa carapace, il fronça les sourcils.
« Ça ne sert à rien de te cacher. J’ai déjà tout vu en te nettoyant. »
« V-Vous m’avez… N-n-nettoyée ? »
Riftan esquissa un rictus, mi-ironique, mi-lassé.
« Je te l’ai déjà dit : tu es mon épouse. Nous avons déjà partagé le même lit, même si cela remonte à trois ans. De quoi as-tu honte ? »
Une vague de chaleur monta brutalement en elle, la couvrant de la tête aux pieds d’un rouge écarlate. Manifestement agacé par sa réaction, Riftan assombrit son expression.
« Je me suis contenté de te changer. Et tu réagis comme si je t’avais violée ! Tu n’avais qu’à ne pas t’évanouir, si tu ne voulais pas que je te touche ! »
Maxi sursauta, tandis qu’il s’emportait contre les femmes nobles trop fragiles qui s’évanouissaient au moindre choc. Les larmes lui montèrent aux yeux, et elle murmura dans un souffle :
« J-Je suis d-désolée… »
Riftan serra la mâchoire, puis quitta de nouveau la pièce. Maxi baissa la tête, accablée de honte. Cela ne faisait même pas un jour qu’elle était repartie avec lui, et elle l’avait déjà contrarié à maintes reprises. Avait-elle bien fait de le suivre jusqu’à son domaine ?
Elle se mordit la lèvre, le cœur envahi par l’angoisse. Il la considérait comme son épouse, à présent, mais cela pouvait changer d’un moment à l’autre. Et même maintenant, il ne semblait pas l’aimer. Dès qu’il comprendrait à quel point elle était inutile, il finirait par la traiter avec cruauté.
Riftan était un chevalier de renom, dont le nom était connu sur tout le continent. Il recevrait des invitations à d’innombrables réceptions, banquets, célébrations. Et elle… Elle savait mieux que quiconque qu’elle n’était pas une femme qu’on pouvait présenter avec fierté. Elle n’était pas faite pour briller à son bras. Il finirait bien par s’en rendre compte. Et alors, il la rabaisserait, la rejetterait.
Ne valait-il pas mieux retourner au château Croyso, avant que cela n’empire ? Si elle suppliait son père… Lui accorderait-il un peu de pitié ?
Elle imagina Riftan, l’épée en main. Il lui avait suffi d’un seul coup pour trancher net une créature trois fois plus grande que lui. Un fouet manié par un tel homme lui infligerait des douleurs inimaginables.
Mais… Il ne m’a encore jamais frappée.
Ses sourcils se froncèrent, saisie par cette prise de conscience. Même dans ses accès de colère, Riftan n’avait jamais levé la main sur elle. Peut-être… N’était-il pas aussi cruel que son père ?
Mais avant que cette fragile lueur d’espoir ne puisse éclore, elle l’écrasa impitoyablement. Ils venaient tout juste de se retrouver. Rien ne disait encore comment leur relation évoluerait.
Elle était encore perdue dans ses pensées lorsque la porte s’ouvrit en grinçant. Riftan entra, un plateau de soupe fumante et de pain à la main.
« Soupe de légumes et pain d’orge. » Il posa le plateau sur la tablette à côté du lit. « Mange avant de dormir. Nous partons au lever du soleil. »
Maxi cligna des yeux, déconcertée. Riftan était parti furieux, et voilà qu’il revenait comme si de rien n’était, avec un repas chaud. Il était décidément imprévisible.
Il posa la cuillère et le bol entre ses mains. « Qu’attends-tu ? Mange tant que c’est chaud. »
« M-Merci… »
Elle remua la soupe, en prit une cuillerée et souffla doucement dessus avant de la porter à ses lèvres. C’était chaud, mais pas brûlant. Et bien qu’elle n’ait pas faim, quelques bouchées suffirent à calmer son estomac.
Elle lança un regard furtif à Riftan en continuant de remuer distraitement le contenu du bol. Il avait tiré une chaise près du lit et astiquait son épée. Sans son armure, jambes étendues avec nonchalance, il semblait avoir deux ou trois ans de moins.
« Pourquoi tu ne manges pas ? »
Avait-il des yeux derrière la tête ? ! Maxi rougit, honteuse d’avoir été surprise en train de l’observer.
« Je… Je voulais juste… Juste v-vous demander… » Elle remua la soupe, les gestes devenus mous. Il tourna la tête vers elle. « Je… Je n’ai… Rien pour me… R-remettre… »
« Il est tard. Je t’achèterai des vêtements demain. »
« E-Et mes a-anciens h-habits… ? »
« J’ai demandé aux servantes de l’auberge de les laver. »
Riftan observa son reflet dans la lame de son épée. Maxi resta longtemps silencieuse avant d’oser reprendre :
« P-Puis-je au moins… R-récupérer mes s-sous-vêtements… ? »
À la surprise de Maxi, une rougeur profonde se répandit sur les joues de Riftan. Il se massa le visage, rudement, avant de reprendre son air nonchalant.
« Ils étaient déchirés. J’ai dû les jeter. »
« P-Pardon… ? »
« Ils se sont déchirés quand je les ai enlevés, alors je les ai jetés. »
Maxi sursauta devant son ton brusque, mais elle continua à le presser.
« P-pourquoi… M’a-avez-vous e-enlevé… Mes sous-vêtements* ? »
(N/T : Bien que le roman ne se déroule pas dans un Moyen Âge, les vêtements féminins — notamment les robes — s’en inspirent fortement. Il est donc plausible que les femmes portent des sous-vêtements similaires à ceux de cette époque : une chemise en lin (appelée chainse) à même la peau, ainsi qu’un corset ou une pièce rigide équivalente destinée à structurer la silhouette. Celui-ci est parfois cousu directement au corsage ou à la jupe.)
La question sembla le prendre au dépourvu. Il commença à marmonner une réponse, les yeux fuyant les siens. Soudain, il la fixa du regard, et elle se cramponna à la couverture comme à un bouclier.
« Je n’avais pas le choix ! Tu n’arrivais plus respirer, et ton visage devenait bleu. Ces fichus sous-vêtements étaient en train de t’étrangler, alors j’ai essayé de desserrer les liens ! Tout ce que j’ai fait, c’est tirer sur… Sur le nœud. Comment diable aurais-je pu savoir que la jupe était cousue au corsage ? ! »
Les joues de Maxi s’enflammèrent, et son cuir chevelu semblait prêt à relâcher de la vapeur. Sachant qu’il avait vu ses sous-vêtements, elle aurait voulu se fondre dans le sol.
Sa nourrice l’avait forcée à porter ces affreux vêtements, convaincue qu’ils l’aideraient à conquérir l’affection de son mari.
Elle les avait enfilés sous l’insistance obstinée de la vieille femme, sans jamais imaginer que Riftan les verrait. Elle cacha son visage dans ses mains, luttant contre l’envie de se jeter par la fenêtre.
Riftan poussa un soupir. « Ne fais pas cette tête. Je t’en achèterai des nouveaux demain. Souhaites-tu emprunter mes vêtement pour le moment ? »
Elle secoua vivement la tête. « N-Non ! Ce-Ce n’est pas n-nécessaire… »
Maxi n’avait aucune envie de porter les dessous de quelqu’un d’autre, encore moins ceux de son mari. Mais en même temps, elle se sentait mal à l’aise de ne porter qu’une tunique ample. Elle recommença à jouer avec sa cuillère, tentant de lire son expression. Cela ne fit que le pousser à la fixer davantage, les sourcils froncés d’agacement.
« Tu comptes touiller ta soupe toute la nuit ? Mange. Tu n’as même pas touché au pain. »
Elle avala quelques cuillerées de soupe. Elle mangeait d’ordinaire comme un oiseau, et elle ressentait encore une légère gêne au ventre. N’étant pas certaine de pouvoir supporter le pain grossier, elle se contenta de quelques gorgées supplémentaires avant de reposer le bol.
« Tu n’en as même pas mangé la moitié. »
« J… Je n’ai pas d’a-appétit… »
« Ne fais pas la fine bouche. Tu n’auras rien d’extravagant avant d’arriver à mon domaine. Mange, même si ce n’est pas à ton goût. Sinon, comment supporteras-tu le voyage ? »
Il la réprimanda comme s’il s’adressait à un enfant mal élevé, et elle en rougit.
« Comptes-tu nous causer des ennuis en t’affamant et en t’évanouissant tout au long du voyage ? »
« J-Je vais manger… » Maxi avala quelques cuillerées de plus, mais dut s’arrêter lorsque son estomac protesta.
Riftan fronça les sourcils lorsqu’elle reposa la cuillère, mais il n’insista pas. Il prit le plateau avec un soupir. « Satisfaire le palais d’une noble dame… Je sens déjà que ça va être pénible. »
Il se détourna en claquant la langue, et Maxi rentra les épaules pour paraître plus petite. Son humeur changeait comme le vent. Il lui avait gentiment apporté à manger, pour ensuite exploser d’agacement. Elle n’arrivait pas à s’adapter assez vite.
Est-ce que je suis à ce point un fardeau pour lui ? Il doit regretter de m’avoir emmenée. Pourquoi m’a-t-il emmenée avec lui, alors… ?
Maxi avait jusque-là marché sur des œufs, mais elle ne pouvait plus contenir sa curiosité.
« P-Pourquoi m’em-menez-vous avec v-vous… ? »
« Quoi ? » Riftan s’arrêta net. Il s’était dirigé vers la porte, le plateau entre les mains, mais se retourna maintenant pour l’examiner.
« Que veux-tu dire ? »
« Je s-sais que vous ne m’avez p-pas épousée par envie… A-Alors je ne sais p-pas pourquoi vous m’em-menez avec v-vous… »
Son visage se durcit. Elle retint son souffle, incertaine que ce soit sa question ou son bégaiement qui l’ait contrarié. Elle poursuivit, ses mots trébuchant sur sa peur.
« N-Nous… Ce que je veux dire, c’est que… Nous ne nous connaissons p-pas assez pour être… Pour être m-mari et femme… U-Un homme comme vous n’a pas à m-m’em-mener… Vous pourriez avoir n’importe q-quelle femme… »
« Tais-toi ! » Riftan revint d’un pas rageur jusqu’à son lit et posa brutalement le plateau, les yeux étincelants de colère.
« Si tu ne veux pas venir avec moi, dis-le clairement ! »
« N-Non, ce n’est pas c-ce que je— ! »
« Ne cherche pas à me mentir ! Mon château n’est peut-être pas aussi grand que celui de Croyso, mais il est bien suffisant pour loger une frêle femme comme toi ! J’ai de l’or, si c’est ce que tu veux ! Tu continueras à vivre dans le luxe, bon sang, alors épargne-moi tes balivernes ! »
Elle se ratatina comme une tortue effrayée. Pourquoi pensait-il que le luxe était sa plus grande inquiétude ? Elle tenta de le contredire, gesticulant avec frénésie.
« C-Ce n’est p-pas… Ce n’est pas ce qui m’inquiète ! Je voulais juste s-savoir pourquoi vous m’em-menez… »
« Tu es ma femme ! Notre mariage est reconnu par l’Église ! Ai-je besoin d’une autre raison pour te ramener chez moi ? C’est toi qui es restée au château de ton père après notre mariage ! »
« S-Si vous souhaitez un d-d-divorce… »
« Quoi ? »
Il lui agrippa les épaules. Le corps de Maxi se figea, toute force l’abandonnant sous l’effet de sa voix chargée de rage. Elle était comme une souris face à un serpent sifflant. Peut-être allait-il vraiment la frapper, cette fois. Elle ferma les yeux, terrifiée, s’attendant à une gifle… Qui ne vint jamais.
Maxi rouvrit prudemment les yeux, pour y trouver une paire d’iris noirs braqués sur elle, brillant de colère glaciale. Les mains sur ses épaules tremblaient, comme si elles peinaient à contenir leur fureur.
« Divorce ? Es-tu en train de dire que tu veux divorcer ? »
« N-Non… Ce-Ce n’est pas ce que je… »
« Quoi alors ? Y a-t-il un autre homme ? »
Incapable de comprendre ses paroles, Maxi ne put que supporter la flamme dans ses yeux. Il se pencha sur elle, crachant ses mots entre ses dents serrées.
« Étais-tu avec un autre homme pendant que je risquais ma vie au combat ? »
« N-N… N-Non ! » balbutia-t-elle.
Sa poigne se relâcha, mais son visage resta crispé de soupçons.
« Alors pourquoi parles-tu divorce ? »
« T-Tout le monde disait que q-q-quand vous r-reviendriez, vous m-m-me divorceriez pour ép-p-épouser la p-p-p… La p-princesse, a-alors… »
« La princesse ? » demanda-t-il d’un ton sec, alors que la compréhension s’éveillait dans son regard.
Maxi hocha la tête, retenant ses larmes.
Une flopée de jurons s’échappa de la bouche de Riftan, et il se passa une main dans les cheveux.
« Bande d’imbéciles à la langue bien pendue… »
Il la souleva dans ses bras, couverture comprise, et s’assit sur le lit. Ignorant les jambes de Maxi qui battaient l’air, il la plaça sur ses genoux et encadra son visage entre ses mains. Avant qu’elle ne s’en rende compte, sa langue léchait les larmes aux coins de ses yeux. Son souffle chaud effleura ses joues et ses lèvres, la distrayant juste assez pour stopper ses pleurs.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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