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    Avec la chute de l’Empire Roémien — conquérant des royaumes de l’Ouest, dont la domination s’étendait jadis jusqu’au Continent Sud — débuta l’ère des seigneurs.

    L’empire fut divisé en Sept Royaumes : Wedon, Balto, Dristan, Osiriya, Sykan, Arex et Livadon. Les rois luttaient pour obtenir la loyauté de leurs vassaux*, tandis que ces derniers s’efforçaient d’étoffer leurs armées de puissants chevaliers et de sorciers, toujours plus nombreux.

    Le duc Ezion Croyso, père de Maxi, était l’un de ces seigneurs. Son ancêtre, le tout premier duc de Croyso, figurait parmi les seigneurs de Wedon ayant conquis les vastes territoires de l’Est. Au fil des générations, les ducs de Croyso participèrent à des dizaines de guerres afin de sécuriser des terres fertiles et des dizaines de milliers de serfs*, accumulant ainsi une immense richesse et un pouvoir considérable.

    Mais trente ans plus tôt, les Sept Royaumes signèrent un armistice, car les terres se voyaient de plus en plus envahies par des monstres. Dans le cadre de cet accord, le duc Croyso fut contraint de restituer à Dristan les territoires orientaux qu’il avait annexés. Refusant de céder la moitié de son duché, il élabora rapidement une solution. Il renforcerait la légitimité de sa domination en épousant une princesse issue de l’ancien Empire Roémien. Et dans cette entreprise, il réussit.

    Le duc trouva et épousa Arian Roem Girtha, une jeune femme descendante de la royauté déchue de Roem — et mère de Maxi. Arian était une femme belle et vertueuse, docile et respectueuse de ses devoirs. Mais surtout, elle était l’héritière d’une grande lignée : la Maison Roem, qui avait autrefois régné sur toutes les terres sous le soleil. Grâce à ce mariage, le duc parvint habilement à se dégager de tous les conflits territoriaux, à sa plus grande satisfaction.

    Cependant, il ne tarda pas à être confronté à ce problème ancestral, bien connu de tous les nobles : la succession. Comme tous les autres seigneurs, le duc Croyso rêvait d’un héritier qui recevrait ses titres, ses vastes terres et son château. Mais après six ans de mariage, Arian n’avait toujours pas donné naissance à un enfant. Toutes ses grossesses se terminaient en fausse couche.

    Le duc consacra tous ses efforts à obtenir un héritier en bonne santé. Il essaya tout : faire appel à des clercs* de haut rang, consulter des sorciers… Mais rien n’y fit. Sa quête ne lui apporta que frustration, jusqu’à ce qu’enfin, une décennie plus tard, Dieu semble répondre à ses prières : un enfant naquit, sain et sauf.

    Malheureusement, c’était une fille.

    Les espoirs du duc Croyso s’effondrèrent, le plongeant dans un profond désespoir. Lorsque la fillette atteignit l’âge de deux ou trois ans, une colère sourde, violente, s’était déjà enracinée en lui. Non seulement elle était totalement inutile, mais elle bégayait.

    Il abandonna les quelques attentes qu’il avait pu nourrir à son égard. Il avait rêvé de la marier à un prince de Wedon pour obtenir, de cette union, un héritier légitime. Mais jamais il ne permettrait à un enfant avec un défaut de prononciation de lui succéder. Il était convaincu qu’un héritier digne de porter le nom et l’héritage des Croyso devait être un garçon : parfait, en bonne santé, irréprochable.

    Arian mourut sans avoir donné naissance à un fils. Des grossesses à répétition, entrecoupées de fausses couches, avaient peu à peu consumé sa vitalité. Désireux d’un héritier portant le sang impérial de Roem, le duc ne tarda pas à épouser une cousine d’Arian. À sa grande consternation, sa seconde épouse succomba rapidement à une maladie… Et elle aussi ne laissa derrière elle qu’une fille.

    Les rumeurs commencèrent à courir : la maison Croyso était maudite. Dès lors, plus aucun membre de la lignée impériale de Roem n’accepta de lui donner sa fille en mariage. Le duc n’eut d’autre choix que de reporter tous ses espoirs sur sa seconde fille, Rosetta.

    Contrairement à son aînée, Rosetta était belle, vive d’esprit et dotée de talents remarquables. S’il parvenait à la marier au fils d’une famille de haut rang, il pourrait sauver le prestige de sa maison et consolider son autorité sur ses vastes terres.

    Dans ce but, le duc Croyso ne recula devant rien. Il lui offrit les meilleurs précepteurs, une armée de domestiques, des robes somptueuses, des bijoux étincelants… Tout ce que Rosetta désirait, il le lui accordait. Il mit tout en œuvre pour faire d’elle la fiancée la plus convoitée de Wedon.

    Quant à son autre fille, la futile Maximilienne, il ne lui accorda ni temps ni attention. Elle était le cadet de ses soucis. En vérité, Maxi aurait sans doute été plus heureuse si son père avait tout simplement oublié son existence.

    Après la naissance de Rosetta, le duc commença à voir en sa fille aînée une épine dans le pied. La plupart des nobles rechignaient à s’allier à une famille ayant engendré une enfant difforme. Certains allaient jusqu’à éviter complètement ce genre d’unions, persuadés que le sang en était souillé, maudit. Si la rumeur se répandait que l’aînée du duc Croyso souffrait d’un grave trouble de la parole, nombre de prétendants pourraient se détourner de Rosetta, quelle que soit sa perfection.

    Et sans mariage avantageux pour Rosetta, tous les projets d’alliances politiques du duc s’effondreraient.

    Cette pensée le hantait. Il craignait que l’état de son aînée ne devienne un obstacle insurmontable dans sa quête de pouvoir. Il en vint à souhaiter qu’une maladie ou une épidémie l’emporte, cette première-née qui lui avait infligé sa toute première humiliation. Non contente de lui avoir fait honte, cette fille inutile pouvait en prime compromettre l’avenir de la famille tout entière.

    À mesure que Maxi grandissait, la colère de son père s’intensifiait. Elle en subissait tous les contrecoups, jour après jour. Sous prétexte de lui inculquer les bonnes manières, il la battait sans relâche, jusqu’à ce que son corps soit couvert d’ampoules. Le moindre faux pas, le simple fait d’attirer l’attention d’un étranger, suffisait pour qu’un fouet vienne lui lacérer le dos.

    Le duc ne pardonnait aucune erreur, si minime fût-elle.

    Il voyait en ses défauts une menace directe à l’avenir de sa maison. Convaincu qu’il pouvait les extirper à coups de violence, il tenait Maximilienne pour responsable de tout. C’était sa faute si elle était née idiote. Sa faute si la réputation des Croyso vacillait. Il ne faisait que la traiter comme elle le méritait.

    Aucune réprimande, aucune punition ne parvenait à la corriger, et pour cela aussi, elle était tenue responsable. Elle n’était rien d’autre qu’une erreur. Une incapable, un fardeau qui n’aurait jamais dû voir le jour.

    Ces paroles, elle les entendit tant et tant de fois qu’elles finirent par s’enfoncer dans sa mémoire comme des clous tordus.

    « L’obstacle des Croyso ! »

    « Une honte pour notre maison ! »

    « Tu n’es qu’une vilaine sotte ! »

    « Tu ne vaux guère mieux qu’un rat ! »

    Sous les coups implacables de son père, écrasée par son regard plein de mépris, elle se flétrissait comme une feuille morte. Elle se résigna à vivre le reste de ses jours en tant que fille indésirable, l’idiote de la famille, la honteuse, la misérable Maximilienne.


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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