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    « Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? »

    « C’est ce que je suis en train de faire. »

    De toute façon, il finirait bien par l’apprendre. Autant que ce soit lui qui le dise, plutôt que Yoonjae l’apprenne par quelqu’un d’autre ou par hasard, comme la dernière fois. Pour Gangwon, la réflexion n’allait pas plus loin.

    Mais apparemment, ce n’était pas aussi simple. Yoonjae restait figé, comme quelqu’un qui aurait oublié comment respirer. Il répétait seulement : « Encore… Encore…  », sans qu’on sache si c’était pour lui-même ou non.

    Il va encore pleurer et faire une scène ?

    À ce souvenir, Gangwon se frotta la joue d’un geste agacé.

    « … C’est qui ? On te l’a présenté ? »

    « Non. Je la connaissais déjà. »

    « Q-qui ? Tu… Tu allais au hagwon* avec moi… Et pour les cours particuliers aussi, t’étais toujours avec moi… T’avais même pas le temps de voir quelqu’un…  »

    « Je la connais depuis longtemps. Et depuis quand le fait que je sois avec toi pour me préparer pour le CSAT m’empêcherait-il d’avoir une vie ? »

    « T-tu faisais ça même en restant collé à moi toute la journée ? »

    « Qu’est-ce que ça change que tu sois là ou pas quand j’envoie des messages ? Tiens, mange une clémentine. »

    Face à cette question tout bonnement absurde, Gangwon laissa échapper un petit rire. Il prit une clémentine qu’il avait soigneusement pelée et la glissa dans la main tremblante de Woo Yoonjae. Il en profita pour récupérer celle que ce dernier avait à moitié pelée. C’était leur routine habituelle.

    « … Qui a fait le premier pas…  ? »

    « Elle. »

    « Et tu l’aimes ? »

    « Elle est belle et gentille. »

    Plutôt que de dire qu’il l’aimait, Gangwon se contenta d’énoncer les faits. Un silence lourd tomba. Il savait que quelque chose clochait chez Woo Yoonjae, mais aujourd’hui était un jour où il devait trancher.

    « Ce n’est pas pour ça que j’ai voulu étudier avec toi…  »

    « Et quel est le rapport entre mes études et ma vie amoureuse ? »

    « C’est… Ce n’était pas ce que j’espérais…  »

    Hébété, à moitié absent, il parvint à peine à articuler ces mots. Ils sortirent de ses lèvres comme un souffle amer, presque une plainte. Gangwon n’était pas parfaitement serein non plus. Mais ils allaient devenir adultes tous les deux, et il fallait bien sortir de cette carapace instable dans laquelle ils vivaient depuis trop longtemps. Avant ça, il fallait faire un dernier ménage, mettre de l’ordre, et régler leur vieux démon.

    Il avait espéré que Woo Yoonjae finirait par renoncer de lui-même. Il avait attendu. Rien n’avait changé.

    S’ils entraient à l’université, faisaient leur service militaire*, commençaient leur vie d’adultes… Et que malgré tout cela, Yoonjae ne parvenait à tourner la page sur ces sentiments, alors ils ne pourraient même plus rester amis. Et c’est un risque que Gangwon ne voulait pas prendre.

    Il ne voulait pas perdre des années d’amitié pour une émotion creuse, fugace, qui n’aurait jamais dû exister.

    C’est pour ça qu’il avait accepté, sans trop réfléchir, la confession de cette fille qu’il connaissait depuis longtemps. Pour forcer cet idiot à lâcher prise. Pour lui offrir enfin une porte de sortie.

    « Bref, je dois la voir samedi. Désolé, mais je vais devoir annuler notre sortie de ce jour-là. »

    « … On devait aller au cinéma. »

    « C’est pour ça qu’on y est allés aujourd’hui. Comme ça je pouvais te le dire en face. Et j’ai passé toute la journée avec toi, non ? Sérieusement, qui d’autre a une tel amitié ? »

    « Amitié ? »

    Le visage rond de Yoonjae s’était soudainement assombri d’un cynisme* que Gangwon ne lui avait jamais vu arborer auparavant. Avec le nœud à l’estomac, il observa son ami sans rien dire.

    « Je t’ai dit que je t’aimais. Et tu crois sérieusement qu’après ça, on peut encore parler d’amitié ? ! »

    « Et alors ? »

    « Toi aussi, tu…  ! »

    « Arrête un peu ! »

    Ne supportant plus cette dispute sans fin Gangwon explosa. Nerveux, il se mit à se gratter la nuque avec agacement.

    « Continuer à faire ta déclaration à quelqu’un qui n’a aucune intention d’accepter, c’est aussi une forme de violence. Y a une limite, même quand on abat un arbre à la hache. »

    « … Violence ? »

    « Oui. De la violence. Et moi, quoi ? Pourquoi tu t’inventes des histoires alors que je te dis non ? Arrête tes délires. Sauf si tu veux vraiment qu’on coupe les ponts. Choisis ce que tu veux défendre. »

    « Couper… Quoi ? »

    « T’as plus envie qu’on soit amis, peut-être ? »

    Une chaleur brutale monta en lui, comme si quelque chose s’était mis à s’embraser à l’intérieur de lui.

    « … Pourquoi tu dis ça…  »

    La clémentine qu’il tenait quelques instants plus tôt avait disparu de sa main qui tremblait misérablement. Elle avait dû tomber, et roulait encore quelque part sur le sol. Face à la stupeur de son ami, le cœur de Gangwon n’était pas serein.

    En vérité, il n’avait jamais eu l’intention d’annuler leurs plans du week-end. Au contraire : il avait passé une grande partie de l’après-midi à regarder quels films venaient de sortir, à comparer les notes, résumer les synopsis et préparer une petite liste. Comme ça, Yoonjae n’aurait eu qu’à choisir celui qu’il voulait voir.

    Si seulement il n’avait pas parlé de vivre ensemble…

    « Je n’arrive plus à supporter à te supporter. »

    « … Même… Nos numéros de téléphone…  »

    « Putain, arrête avec ces histoires de numéros, merde ! Tes « numéros de couple », là ! J’en peux plus ! »

    Son cri rompit le silence de la ruelle.

    « C’est ça que tu veux ? Tu es satisfait maintenant ? »

    Gangwon sortit son téléphone, pianota dessus avec des gestes brusques et le brandit sous le nez de Woo Yoonjae. L’instant d’après, les yeux de ce dernier se remplirent de larmes.

    « Pourquoi tu supprimes mon numéro ? »

    « Parce que j’en ai marre de te voir agir comme ça. Et j’en ai ras le bol de tes délires de numéros assortis ! »

    « Tu n’as qu’à me bloquer, alors ! »

    « Et pourquoi je ferais ça ? Je vais pas couper les ponts avec toi. Ce numéro n’a aucune importance. De toute façon, je change de numéro cette semaine. Et d’ici là, oui, je t’enlève de mes contacts. »

    « … Tu supprimes mon numéro juste parce que j’ai dit que c’était un numéro de couple ? »

    « Ouais. Et si tu t’amuses encore à calquer le mien, considère que cette fois c’est vraiment fini. Et puis quoi encore, « numéro de couple » ? Ça n’a strictement aucun sens, c’est juste le premier truc que le vendeur nous a filé au magasin. »

    « … C’est pas ça… C’est pas que pour ça…  »

    « Arrête de t’inventer une vie et redescends sur terre ! »

    Son agacement explosa enfin. Sa voix, semblable à un coup de tonnerre, fit sursauter Woo Yoonjae, qui resta muet. Entre eux, un long silence retomba. Peu à peu, de petits flocons se posèrent sur le manteau noir de Yoonjae.

    Ce manteau… Gangwon s’en souvenait. C’était son cadeau d’anniversaire, qu’il lui avait acheté il y a deux ans avec l’argent qu’il avait gagné de son petit boulot. Il revit le moment où Yoonjae avait sautillé, fou de joie, comme un gamin sous la neige. Après ça, son ami l’avait porté sans relâche de l’automne jusqu’au printemps, au point que Gangwon avait fini par le supplier d’en mettre un autre.

    Ce souvenir fit naître un léger sourire sur ses lèvres, malgré lui. Toujours ce décalage cruel entre les mots durs qu’il lançait et les pensées qui lui revenaient.

    « T’es toujours fâché… Mais…  »

    Sa voix était si faible qu’il fallait tendre l’oreille pour l’entendre.

    « C’est toi qui m’as toujours fait espérer. C’est toi qui m’as empêché d’abandonner. »

    Les flocons qui s’amassaient sur la tête et les épaules de Yoonjae l’agaçaient. Il avait envie de les lui retirer du bout des doigts. Mais il savait qu’il ne devait pas. Il ne voulait plus le voir pleurer en silence, les yeux fixés sur lui, l’air perdu.

    « … Arrête d’être aussi buté. »

    Gangwon glissa ses deux mains dans ses poches et serra les poings pour ne pas céder à l’impulsion d’avancer vers son ami.

    « De toute façon, j’ai tout dit. Et pour nos plans annulés, désolé, mais j’ai passé la journée à gérer toutes tes sautes d’humeur. Alors on va dire qu’on est quitte. »

    « … Tu ne m’aimes plus ? »

    « Pourquoi tu me sors ça d’un coup ? »

    « Parce que tu dis que mes déclarations sont une forme de violence… Alors tu me détestes ? »

    « … J’ai pas envie d’y répondre. J’ai peur de dire un truc que je regretterai. »

    « … Ou alors… Tu m’en veux ? »

    Ses yeux, qui brillaient de larmes contenues, fixaient Gangwon sans un reproche. Cette absence totale de colère lui brûla la gorge. Il lui répondit d’un ton sec :

    « Arrête tes conneries. Ça marche plus, ce genre de trucs. »

    « …  »

    « J’y vais. »

    Il tourna les talons, laissant derrière lui un Yoonjae figé comme une pierre. Ses pas étaient lourds, presque contraires à sa volonté. Tout à coup, il se sentit perdu. Un vertige léger le força à s’arrêter. Derrière lui, il entendit un reniflement.

    « Même quand tu me repoussais et me disais des mots blessant… J’étais convaincu que celui que tu aimais, c’étais moi. »

    Cette voix, tremblante de chagrin, l’attrapa encore une fois par les chevilles.

    « Tu le sais, ça ? »

    « … »

    « Chaque fois que j’essayais d’abandonner… Tu flippais à mort. »

    « Woo Yoonjae. »

    « Tu flippais tellement que tu me contactais toute la journée, et tu venais même me voir… Tout le temps… »

    « Tu es si injuste. »

    Sa voix se brisa et on n’y décelait presque aucune rancœur. Rien que de la peine. Ce qui s’ensuivit fut des pleurs déchirants. Gangwon resta impuissant face à cette détresse.

    S’il laissait son cœur s’attendrir et s’il continuait de repousser l’inévitable, il arriverait un jour où il ne pourrait plus se permettre de prendre la situation à la légère. Et à ce moment-là, il devrait couper tout contact pour de bon avec ce crétin.

    Il ne voulait pas ça. Il n’était pas prêt à accepter ses sentiments, mais l’idée même de rayer Woo Yoonjae de sa vie lui était insupportable.

    « Arrête d’être aussi borné. »

    Il était le seul, parmi eux deux, à pouvoir briser ce cercle vicieux. L’autre était bien trop fragile.

    « Tu dis toujours que je suis stupide… Mais le plus stupide d’entre nous deux, c’est toi. »

    Sa voix, encore tremblante mais résolue, traversa la neige et lui parvint dans le dos. Mais aucune parole, même déchirante, ne réussit à arrêter ses pas.


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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