Vous n'avez pas d'alertes.
    Header Background Image

    Le visage de l’homme vira au rouge vif et il parut troublé. Désemparé, il jeta des regards autour de lui avant de lever des yeux incrédules vers Dominic.

    « Je… Je suis venu… Vous faire une proposition. »

    Il tenta de parler, mais sa bouche sèche et son souffle court l’en empêchèrent. Ses genoux menaçaient de céder, et il s’efforça de les maintenir droits, tout en jetant des regards nerveux vers la porte. Il tint bon… Mais céda bien vite. Mais son esprit, saturé par les phéromones, avait déjà perdu tout sens rationnel.

    Pris de panique, il fit volte-face vers la porte, mais il était déjà trop tard. Après quelques pas, ses jambes se dérobèrent sous lui. Il tomba au sol et son corps se mit à trembler tandis qu’il peinait à reprendre son souffle. Son regard humide, implorant, se tourna vers Dominic. À présent, une seule pensée occupait tout son esprit.

    À quatre pattes, il revint vers lui en rampant. Ses mains tremblantes s’accrochèrent au bas de son pantalon et il se hissa tant bien que mal avant de serrer les jambes de Dominic contre lui. Avec peine, il releva difficilement la tête et le regarda avec un regard implorant.

    « Dominic… Je t’en prie… »

    « Monsieur Miller ? »

    La voix résonna de nouveau, posée, intriguée. Dominic cligna des yeux.

    L’homme n’était pas à genoux devant lui, ni agrippé à ses jambes et ne le suppliait pas, , les yeux pleins de larmes. Non, Ashley Dawson se tenait debout, solidement campé sur ses jambes, son éternel sourire professionnel aux lèvres, comme si de rien n’était.

    Rien n’avait changé. Sauf l’odeur dense et entêtante des phéromones de Dominic, qui emplissait l’air.

    « Vous. »

    Dominic prit enfin la parole. L’homme, toujours souriant, ne parvenait pourtant pas à dissimuler la légère tension qui s’empara brusquement de lui. Il attendait la suite.

    Dominic le fixa longuement avant de demander :

    « Quelle est votre nature ? »

    « Je suis un Gamma. », répondit l’autre dans un souffle, d’un ton désinvolte qui cachait à peine son rire.

    Dominic ne dit rien.

    Voilà donc pourquoi. Il comprenait à présent l’absence de réaction.

    C’était pour cela que le cabinet l’avait envoyé. Seuls les Gammas pouvaient supporter les phéromones d’un Alpha dominant. Même un Bêta aurait eu du mal et fini par céder sous une telle pression.

    Mais les Gammas étaient bien différents. Leur constitution ne se laissait presque jamais altérer, même par l’influence d’un Alpha dominant. Les faire muter relevait de l’impossible, à moins de les exposer durant une période prolongée à une dose massive de phéromones.

    En somme, c’était irréalisable.

    Qui irait jusqu’à séquestrer un Gamma et l’inonder de phéromones, au risque de commettre un crime ?

    C’est en raison de cette particularité que les Gammas travaillent souvent dans la sécurité. C’est un avantage certain, surtout dans le cas des Alphas dominants, qui engagent fréquemment des gardes du corps et les rémunèrent généreusement.

    Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne subissent jamais de mutation. La sensibilité des Gammas varie beaucoup. Ainsi, si l’un d’eux a le malheur d’être trop sensible aux phéromones, il existe un risque — certes rare, mais réel — de mutation, même s’il exerce comme garde du corps. C’est pour cette raison qu’il était courant de diviser les équipes de sécurité en deux groupes : ils travaillaient un certain temps, puis prenaient de courtes vacances afin de compenser leur exposition aux phéromones. Si cette précaution était négligée et qu’un Gamma mutait, il en mourait.

    Et s’ils avaient la chance de survivre, leur corps ne serait plus jamais le même. Ils seraient faibles, incapables de bien marcher, et leur espérance de vie serait réduite. Et s’ils tombaient enceints dans cet état, leurs chances de survie devenaient quasi nulles. Ne pas mourir dans de telles conditions relevait du miracle.

    À dire vrai, cet homme se tenait donc ici au péril de sa vie. Ou bien, à l’inverse, il se tenait là avec la certitude absolue de ne jamais muter. À en juger par son attitude, Dominic était convaincu que c’était la deuxième option.

    « C’est la première fois que vous voyez un Gamma qui n’est pas garde du corps ? » demanda-t-il avec son sourire habituel.

    Dominic resta silencieux, mais l’homme poursuivit comme s’il connaissait déjà la réponse.

    « J’imagine que oui. La plupart des gens qui partagent mon trait travaillent comme gardes du corps auprès des Alphas dominants. Cela surprend les gens, quand ils apprennent que je suis un Gamma, ils sont presque toujours surpris. »

    Ayant dit tout ce qu’il voulait, il observa attentivement le visage de Dominic. Devant son absence de réaction, il en conclut qu’il n’obtiendrait pas de réponse aujourd’hui.

    « Je prendrai rendez-vous comme il se doit la prochaine fois. »

    C’était un homme qui savait quand attaquer et quand se retirer. Voyant qu’il valait mieux battre en retraite, il fit un pas en arrière sans hésiter et ajouta :

    « Entre-temps vous pourriez me contacter, si jamais d’ici là vous prenez une décision. »

    Après cela, il se retourna. Dominic pensa qu’il allait quitter le bureau, mais contre toute attente, l’homme s’arrêta soudainement. Il fixait la table plutôt que la porte, et il fit quelques pas vers elle. Son regard se posa sur l’échiquier avec curiosité, puis il leva la tête.

    « Excusez-moi…  »

    Il hésita, comme s’il regrettait d’avoir parlé, et demanda avec un sourire un peu maladroit :

    « Est-ce que je peux déplacer le cavalier ? »

    À ces mots inattendus, Dominic fronça les sourcils, mais lui fit signe qu’il pouvait. Il connaissait déjà par cœur la position des pièces : alors cela lui importait peu.

    Dès qu’il eut la permission, l’homme saisit la pièce noire, comme s’il n’attendait que cela, et la déplaça. Ce que Dominic n’avait pas prévu, c’était l’éclat de malice qui illumina son visage tandis qu’il se penchait sur l’échiquier.

    Puis, après un dernier salut, il quitta le bureau d’un pas léger. Dominic resta immobile un long moment après la fermeture de la porte, avant de se lever. Il s’avança jusqu’à la table, s’arrêta à l’endroit exact où Ashley se tenait quelques instants plus tôt, et baissa les yeux vers l’échiquier. Son regard resta fixé sur les pièces, figé, comme happé par elles.

    Échec et mat.


    Alors que Dominic écoutait la Passacaille* qui s’élevait des enceintes et emplissait la pièce, il ouvrit l’humidor et en sortit un cigare. Il en huma le parfum avant de couper l’extrémité avec un coupe-cigare, puis l’alluma lentement, avec soin.

    Haa…

    Après avoir tiré une première bouffée, il se laissa tomber dans son fauteuil, allongea ses longues jambes sur l’ottoman et ferma les yeux. Le clavecin* avait toujours ce don de l’apaiser. C’était le remède parfait pour évacuer la fatigue, tempérer une humeur exaltée, calmer une humeur trop vive ou simplement remettre de l’ordre dans son esprit.

    Tout était prêt pour qu’il puisse prendre des vacances. En temps normal, il aurait posé congé dès le lendemain et serait parti dans une villa isolée, où personne ne pourrait le contact. Mais cette fois-ci, quelque chose ou plutôt quelqu’un était venue s’immiscer dans ses plans.

    Ashley J. Dawson.

    Son regard se posa sur le dossier qu’il tenait. Dedans se trouvait l’ensemble des informations concernant l’homme qui avait réussi, en un temps si court, à le troubler entièrement.

    Né fils unique dans une famille de classe moyenne, il avait hérité du trait Gamma de l’un de ses parents. Après avoir obtenu son diplôme dans une prestigieuse école de droit, il avait eu la chance d’être embauché dans un grand cabinet, où il travaillait désormais comme avocat.

    C’était sans doute la première véritable ’affaire’ qu’on lui confiait. S’il n’en avait pas entendu parler auparavant, c’était sûrement parce qu’on ne lui avait confié jusque-là que des tâches ingrates, des dossiers mineurs dont personne ne voulait. Mais si, au milieu de tout cela, on lui avait promis une grosse récompense en cas de succès, alors tout aurait été parfait.

    Un scénario prévisible, qui n’intéressait pas Dominic. Pourtant, il y avait un problème.

    Son audace. Son coup de génie.

    L’échiquier ne cessait de tourner en boucle dans son esprit. Pourquoi n’avait-il pas songé à placer sa pièce là ? La stratégie paraissait si évidente une fois révélée. Même s’il avait été accaparé par le procès, il n’avait pas réussi à trouver la solution de toute la semaine, alors que l’autre l’avait trouvé en un coup d’œil. Comment était-ce possible ?

    Le sourire candide qu’il lui avait lancé, au moment de partir, ne le quittait pas. Celui-ci l’avait bien plus troublé que ses remarques insolentes.

    Il devait être tout aussi arrogant au tribunal.

    Il brûlait de le traîner en justice et de l’anéantir. L’imaginer perdre le procès, le visage rouge, les yeux remplis de larmes… Cette simple pensée fit soudain monter la chaleur plus bas.

    Il fronça les sourcils, baissa les yeux et ne put que constater, incrédule, le gonflement évident de son entrejambe.

    La musique continuait de jouer, et Dominic restait assis, perdu dans ses pensées.


    Le bref tintement de la sonnette retentit en début de soirée, faisant lever les yeux de Dominic du verre qu’il venait de se servir. C’était l’alarme du bureau, qui venait de lui signaler l’arrivée d’un visiteur. On l’avait prévenu à l’avance de la venue de l’homme, si bien qu’il avait pu franchir le portail sans difficulté. Dominic pouvait l’imaginer sans peine : se présenter à la réception, où il devra donner son nom et son identité, puis être escorté par un agent de sécurité jusqu’à l’ascenseur privé, qu’il emprunterait d’un pas assuré pour rejoindre l’étage supérieur.

    Comme prévu, il atteignit le dernier étage peu de temps après. On entendit la porte d’entrée s’ouvrir, suivie du bruit de pas étouffés par des pantoufles.

    « Monsieur Miller, c’est Dawson. »

    Sa voix, légèrement aiguë ponctuée d’un subtil vibrato, trahissait sa nervosité. Dominic, impassible, savourait son verre et attendit tranquillement que l’homme finisse par le trouver. Les pas qui résonnaient dans le vaste penthouse se rapprochaient peu à peu, jusqu’à ce qu’il le trouve enfin, assis au bar.

    « Vous voilà. », lui dit-il, soulagé.

    Son murmure hésitant se raffermit bientôt pour prendre un ton plus assuré :

    « Merci de m’avoir invité. Je suis vraiment heureux que vous m’ayez contacté si rapidement. »

    Resté à bonne distance, il salua avec un visage légèrement empourpré. Malgré l’invitation soudaine, il avait accouru sans hésiter. Tel un chien qui avait attendu toute la journée d’avoir l’attention de son maître : empressé, ardent, et d’une spontanéité presque naïve. Ses épaules tendues et ses yeux brillants trahissaient sans détour ses véritables pensées.

    Dominic le scruta lentement. Comme lors de leur première rencontre, il portait un costume impeccable, sans le moindre pli. Ses cheveux, parfaitement plaqués en arrière, ne laissaient place à aucun désordre. Son regard glissa de ce visage soigneusement entretenu jusqu’à son cou mince et gracile, semblable à celui d’un jeune cerf.

    Qu’est-ce que cela donnerait de l’avoir nu, à genoux sur le sol, un collier de chien au cou ? Cet homme accepterait-il cela comme une évidence ?

    Plissant légèrement ses yeux allongés, Dominic l’écouta reprendre la parole :

    « Dois-je comprendre que le fait que vous m’ayez invité chez vous signifie que vous êtes intéressé par notre contrat ? »

    Bien sûr, il était naturel d’espérer. Un tel rendez-vous indiquait déjà un certain intérêt. Mais plus il laissait paraître son excitation, plus cela devenait une faiblesse.

    « Peut-être bien. »

    Dominic esquiva sa question avec un air presque moqueur, mais l’autre ne se démonta pas et répliqua avec ferveur :

    « Nous sommes prêts à accepter n’importe quelle condition. »

    Un étrange sourire étira les lèvres de Dominic. Sans rien dire, il se détourna, sortit un verre propre, y versa de l’alcool et le tendit à son invité.

    Celui-ci eut un instant d’hésitation, conscient du porte-documents qu’il tenait, et fit glisser un regard incertain autour de lui. Mais il n’osait pas poser ses affaires sans l’autorisation du maître des lieux. Et face à un tel homme, il fallait plaire à tout prix. Il préféra donc endurer l’inconfort plutôt que de commettre une faute futile. Tenant ses affaires d’une main, il s’avança jusqu’au bar et, de l’autre, saisit le verre tendu.

    « Merci. »

    Un sourire poli aux lèvres, il observa Dominic remplir son verre. Quand celui-ci vida le sien d’un trait, l’homme se crispa brièvement mais n’hésita pas. Sans même demander de quel alcool il s’agissait, il porta le verre à ses lèvres et le but d’un geste franc, comme si Dominic avait choisi exactement le breuvage qu’il désirait ardemment.

    Dominic ne le quittait pas des yeux. Il suivit le va-et-vient de sa pomme d’Adam, qui se soulevait et s’abaissait au centre de ce cou long et délicat, jusqu’à ce que le verre soit complètement vide. L’homme reposa ensuite le récipient vide dans un souffle bref.

    « Vous buvez sans même savoir ce qu’il y a dedans. »

    Sa voix coulait, douce mais teintée d’un sarcasme évident. Toute l’ironie visait la servilité* de son invité, mais celui-ci ne s’en offusqua pas.

    « Vous en avez bu aussi, n’est-ce pas ? »

    Comme si cela pouvait suffire à le rassurer. Dominic ricana.

    « Tu es un Gamma, après tout. »

    Ses mots semblaient chargés de significations multiples, mais la conclusion restait la même : entre eux, il n’existait aucune véritable similitude, hormis d’être tous deux humains.

    Puis, en songeant au fait que son interlocuteur n’était pas un Alpha ordinaire mais un Alpha Suprême* — doté d’une constitution insensible aux poisons et aux médicaments —, il reporta machinalement son regard sur le verre vide.

    Se pourrait-il que…

    Une tension nouvelle, bien différente du silence gêné de tout à l’heure, s’installa entre eux.


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

    Rejoignez-nous et soutenez la team sur

    0 Commentaire

    Laisser un commentaire

    Note