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    — 2009, Le Présent —


    Changju, une ville portuaire nichée sur la côte sud du pays.

    Le printemps y régnait, illuminant cette citée réputée pour ses couchers de soleil envoûtants, ses eaux d’un bleu céruléen et ses plages de sable fin.

    C’était un jour de printemps ensoleillé.

    Ouaaah !

    Yook Gichul, chef du département de recouvrement* chez Kiki Cash, bâilla à s’en décrocher la mâchoire.

    Essuyant la larme qui perlait au coin de son œil, il jeta un regard au rétroviseur rectangulaire. À l’arrière, Taehwa — son supérieur, de six mois son aîné — contemplait silencieusement le paysage par la fenêtre, les bras croisés.

    Gichul admira son profil : robuste, mais sans défaut. Il avait beau être un usurier qui jurait comme un charretier dès qu’il ouvrait la bouche, le visage de cet homme était une véritable chef-d’œuvre. Tant qu’il restait immobile et silencieux, il aurait pu sortir tout droit d’un magazine de mode. Même avec l’expression morose qu’il arborait à cet instant, il avait quelque chose de profondément touchant.

    Du moins… jusqu’à ce qu’on regarde plus bas.

    Le problème venait de sa moitié inférieure. Sa jambe droite tapait frénétiquement le plancher, tandis que le haut de son corps demeurait parfaitement immobile — presque élégant, oserait dire Gichul. Et comme Taehwa était un homme immense, chaque mouvement de cette jambe faisait vibrer la voiture tout entière.

    Si j’étais né avec un visage pareil, je n’aurais jamais eu une telle vie, songea Gichul.

    À ses yeux, la beauté de Taehwa était gâchée et passait inaperçue la plupart du temps. Souvent les gens ne voyaient en lui qu’un colosse intimidant, sans vraiment prêter attention à l’harmonie de son visage. Mais Taehwa semblait s’en moquer éperdument — comme s’il avait oublié sa propre beauté. Conscient de son apparence, il ne l’exploitait jamais. Si Gichul avait eu un visage pareil, il en aurait su faire bon usage.

    Un grondement sourd rompit sa rêverie.

    Son estomac protesta pour la troisième fois.

    Il se frotta le ventre et jeta un coup d’œil à l’horloge du tableau de bord : 12 h 38. À cette heure-là, il aurait déjà dû être attablé quelque part. Mais depuis qu’ils étaient coincés ici, son ventre n’avait cessé de le harceler.

    Bientôt, un quatrième rappel se fit entendre. Incapable de supporter la faim plus longtemps, Gichul se risqua à parler d’une voix prudente :

    « Hyungnim, et si on allait manger à l’endroit qui s’appelle Soupe de Grand-mère ? Il paraît qu’ils existent depuis cinquante ans, et leur bouillon… un vrai délice. Ils mettent même plein de viande— »

    Une réprimande sèche lui coupa la parole.

    « Sale porc. Tu ne vois pas ce qui se passe ici ? »

    Aïe.

    Gichul se tassa sur son siège comme s’il venait de recevoir une gifle. Ses larges épaules se contractèrent, son cou rentra comme celui d’une tortue : le spectacle aurait pu être comique si l’ambiance ne l’avait pas interdit. Taehwa n’avait pas tort — Gichul n’avait aucune idée de la situation.

    Le « sale porc » qui avait eu le malheur de parler de déjeuner se mit enfin à réfléchir à leur position actuelle.

    Peut-être valait-il la peine de se demander comment, exactement, ils en étaient venus à rester coincés dans cette voiture exiguë depuis deux heures, alors qu’ils auraient pu être dans leur bureau spacieux et climatisé. Pour le comprendre, il fallait revenir un peu en arrière.

    Ils revenaient tout juste d’un aller-retour d’une heure à Yeosu, où ils s’étaient occupés d’un client dans la matinée.

    En général, c’était Gichul qui gérait les recouvrements. Mais dans les rares cas où il ne parvenait pas à résoudre l’affaire, le président — Taehwa — intervenait personnellement. Ce jour-là en faisait partie. Et lorsqu’il se déplaçait lui-même, les probabilités de voir du sang couler grimpaient en flèche.

    Cependant, il fallait préciser une chose : si Taehwa était capable de violence, il n’y prenait aucun plaisir. Autrefois boxeur, il avait fini par gagner sa vie comme homme de main, avant d’en avoir assez de distribuer des coups.

    Avec sa carrure imposante dépassant allègrement les un mètre quatre-vingt-dix, ses poings étaient plus dangereux qu’un couteau ou un marteau. Le nombre de crânes qu’il avait fracassés à mains nues se comptait par dizaines. Même Gichul, pourtant costaud, n’osait pas le défier.

    Mais le paradoxe, c’était que Taehwa était un maniaque de la propreté. Tout le monde détestait la saleté, certes, mais chez lui, c’était devenu maladif. Il classait les fluides corporels — sang, sueur, salive, et même la peau morte — dans la catégorie du « sale ».

    Or, la violence, par essence, impliquait le contact. Et ce contact menait inévitablement à un bain de sang. Voilà pourquoi, bien qu’il s’en serve pour vivre, il n’en tirait aucun plaisir. C’est aussi pour cette raison qu’il avait quitté le monde de la boxe, pourtant lucratif, pour entrer dans le secteur financier.

    Qu’on ne s’y trompe pas, toutefois : il ne fuyait pas la violence. Si la situation l’exigeait, il écrasait quiconque se trouvait sur sa route — sans la moindre hésitation. C’est grâce à cela, d’ailleurs, qu’il avait survécu dans le métier depuis plus d’une décennie.

    Aujourd’hui n’avait rien de différent. Un rat criblé de dettes, qui se cachait depuis six mois sans rembourser ce qu’il devait, osait maintenant se plaindre de soi-disant pratiques illégales et avait même l’audace de les menacer d’un procès.

    Taehwa n’avait au départ aucune intention d’en venir aux poings ; si les circonstances l’avaient permis, il aurait résolu l’affaire avec des mots. Généralement, recouvrer une dette par la parole était bien plus rentable : un corps intact rapporte plus d’argent.

    Malheureusement, le débiteur perdit à la fois sa peur et sa raison, et cracha au visage de Taehwa. Pire que du sang, cette salive dégageait une odeur nauséabonde.

    Comment Taehwa se sentit-il face à ça ? Eh bien, comme une merde, évidemment.

    Un homme au tempérament de feu devient un chien enragé lorsqu’il est confronté à ce qu’il déteste. Et Taehwa ne comptait certainement laisser passer cela. Un coup. C’est ce qu’y a suffi pour littéralement fracasser la mâchoire du débiteur. L’os se brisa, les dents et le sang jaillirent, et le visage se transforma en un chaos sanguinolent méconnaissable. Un étranger aurait cru qu’il avait reçu un coup de marteau, et non un poing dans la gueule.

    Mais le dégoût persistant prit le dessus. Pour bien faire les choses, il y ajouta une jambe casée. La scène fut si brutale que même Gichul ne put retenir un grognement de sympathie.

    Ce n’est qu’après que la mâchoire et la jambe furent brisées, et que le débiteur eut mouillé son pantalon, qu’il supplia désespérément pour une dernière chance, leur promettant de tout rembourser dans le mois qui suivrait, quoi qu’il arrive.

    Taehwa ne lui offrit pas de dernière chance. À la place, il lui présenta un nouveau contrat. Si la dette n’était pas remboursée dans un mois, le rein de l’homme serait à lui. Bien sûr, cette clause n’avait aucune valeur légale, mais quelle arme plus efficace qu’une menace psychologique pour faire plier un débiteur ? À contrecœur, l’homme apposa son pouce ensanglanté sur le contrat. Et ainsi tout se termina.

    Par la suite, les deux reprirent la route vers Changju. Gichul prit place au volant et programma la destination : le bureau. Logique, puisqu’ils n’avaient rien d’autre au programme et qu’il était trop tôt pour déjeuner.

    Pourtant, à peine avaient-ils franchi le péage que Taehwa ordonna :

    « Conduis au parc marin*. »

    Gichul tourna le volant sans dire un mot. Son patron avait sans doute besoin de se débarrasser de toute trace de saleté en prenant l’air.

    Une promenade… quelle idée absurde. Ils étaient encore loin de leur destination quand Taehwa lui demanda soudain d’arrêter la voiture. En plein milieu d’une route chaotique, au beau milieu d’un chantier de réaménagement.

    Deux heures plus tard, ils étaient toujours là, coincés dans la voiture, à observer quelque chose — ou peut-être rien du tout — par la fenêtre.

    Voilà où ils en étaient. Comment était-il censé comprendre ça ? Quelle logique pouvait bien se cacher derrière cette scène absurde ? On aurait dit deux flics en planque… sauf que ces flics-là n’avaient même pas le droit de grignoter pendant leur surveillance.

    Gichul, qui avait choisi de gagner sa vie avec son corps justement parce qu’il détestait trop réfléchir, dut se creuser les méninges pour la première fois depuis longtemps. Mais son cerveau abandonna vite. À la place, ce fut son estomac qui se fit entendre à nouveau, grondant bruyamment pour réclamer le déjeuner.

    Merde… je ne pige rien, mais il pourrait au moins me nourrir.

    Un léger mouvement derrière lui coupa court à sa plainte intérieure, accompagné d’un son sourd. Surpris, il se retourna.

    Il ne lui fallut qu’une seconde pour en deviner la cause : rien de grave, simplement Taehwa, qui, appuyé contre le dossier, venait de se redresser.

    Un geste banal, en apparence. Ce qui l’était moins, c’était la tension qui raidissait sa nuque, la manière dont il tendait le cou vers la fenêtre, le dos droit comme un piquet, les yeux fixés avec une intensité presque prédatrice.

    Qu’est-ce qu’il regarde comme ça… ?

    Face à cette réaction inhabituelle, Gichul se figea malgré lui. Par réflexe, il suivit la direction de ce regard.

    De l’autre côté de la rue, les ouvriers quittaient le chantier de démolition pour aller déjeuner. La poussière, la sueur et la chaleur montaient ensemble dans l’air, formant une brume épaisse où tout semblait flou. Même à distance, l’odeur du béton et du fer lui fit froncer le nez.

    Juste au moment où il allait détourner les yeux, son regard tomba sur un homme qui se distinguait nettement parmi les autres. Ses yeux s’écarquillèrent. Gichul écarquilla les yeux. Il n’eut pas besoin de réfléchir pour le reconnaître.

    Ce visage — ce visage-là — était impossible à oublier.

    « Hein… ? »

    Il en était certain. C’était bien le client qui était venu emprunter de l’argent la semaine passé.

    Mais comment s’appelait-il déjà ?

    Gichul fronça les sourcils et s’efforça de se rappeler le nom du client lorsque—

    « Ce putain d’inconscient… » cracha Taehwa.

    Le chauffeur tressaillit, son regard se porta aussitôt sur son patron dans le rétroviseur. Le visage de Taehwa n’avait pourtant rien perdu de son calme. Ses traits demeuraient impassibles et pourtant… Gichul sentait qu’il se concentrait intensément sur quelque chose.

    Et, compte tenu des circonstances, il ne faisait aucun doute que ce « quelque chose » n’était probablement autre que le client au visage si parfait.

    Bien sûr, la tête de Taehwa suivait le client comme un aimant. Après deux longues heures de surveillance apparemment absente, l’objet de toute cette attention se révéla enfin.

    À cet instant précis que le nom du client surgit dans l’esprit de Gichul.

    Moon Chunghyun.

    La première fois qu’il l’avait entendu, et même maintenant en s’en souvenant, ce nom lui avait procuré une sensation étrange, presque vivifiante. L’homme, d’ailleurs, correspondait à merveille à son nom. Même vêtu d’un bleu de travail défraîchi, il se distinguait avec une élégance naturelle — la démarche droite, les gestes mesurés, une prestance qu’aucune poussière de chantier ne pouvait entacher. Il avait l’air d’un jeune gentleman égaré, un être qu’on aurait davantage imaginé dans un jardin parfaitement entretenu que dans le vacarme d’un chantier de construction. C’était peut-être justement pour cela qu’il ressortait autant du décor.

    Lorsque la pause fut annoncée, les ouvriers se dirigèrent tous d’un seul mouvement vers l’allée où se trouvaient les stands de nourriture. Chunghyun, lui, resta légèrement en retrait avant de bifurquer dans une autre direction. Le regard de Taehwa le suivit aussitôt — tout comme celui de Gichul.

    Chunghyun se dirigea vers une supérette qui se trouvait non loin de là. La porte était naturellement à la limite exacte du champ de vision de Taehwa.

    « Tsk… ! »

    Gichul comprit instinctivement qu’il s’agissait d’un signe d’agacement et d’insatisfaction. Il démarra rapidement le moteur et se gara de l’autre côté de la route, d’où la vue sur le magasin était parfaitement dégagée.

    Au même instant, Chunghyun s’assit à un comptoir de rue, face à un cup ramen et un kimbap* triangulaire. Il déballa le kimbap et commença à le manger lentement, avec une sorte de calme naturel.

    « Hé, qu’est-ce qu’il bouffe, bon sang ? » lâcha soudainement Taehwa.

    Pourquoi me demande-t-il ça alors qu’il voit aussi bien que moi ? songea Gichul, perplexe.

    Malgré sa surprise, il répondit docilement :

    « Euh… un cup ramen et un kimbap triangulaire. Le ramen ressemble à du yukgaejang*, et je pense que le kimbap est au kimchi et au porc. »

    Il prit même soin de détailler l’inutile, mais Taehwa ricana : « Des conneries. Il croit qu’il va pouvoir faire du travail manuel toute la journée avec ce truc dans le ventre ? »

    La remarque claqua comme une étincelle. Il était comme une bombe à retardement prête à exploser, et le pauvre Gichul, confus, se retrouvait seul à ramasser les débris.

    « Ce putain d’idiot a l’air à un souffle de se briser en deux. Il verra ce que c’est que de casser quelque chose, ce petit prétentieux. »


    ・.ʚ Voilà la fin de la première partie du chapitre 02 ɞ .・

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