Vous n'avez pas d'alertes.
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    Peu importait qu’il l’insulte, s’énerve ou résiste : celui qui perdait toujours, c’était Gangwon. C’en était à devenir fou, mais il ne pouvait tout de même pas laisser ce génie hors du commun — un vrai talent national — postuler* dans une école inférieure juste pour se mettre à son niveau. Puisque c’était déjà peine perdue pour l’admission anticipée, Gangwon se décida de tout miser sur la session régulière.

    Une fois qu’il s’était lancé dans la préparation intensive à l’examen d’entrée universitaire, il se plongea dans ses études et ses livres comme un dément, ne s’accordant au passage que le strict minimum de sommeil. Il n’avait jamais autant travaillé de sa vie : naturellement, tout ce qui n’était pas études passa au second plan. Les rendez-vous, les messages, les appels… Il ne pouvait même plus y penser.

    Et c’est exactement un mois plus tard qu’il a rompu avec sa première petite amie.

    « Tu es devenu obsédé par tes études. Je ne comprends même plus pourquoi on sort ensemble. On devrait arrêter là. »

    « Comme tu veux. »

    Gangwon accepta la rupture sans offrir la moindre excuse. La séparation fut assez correct.

    Les semaines qui suivirent furent un véritable enfer. Gangwon pouvait affirmer sans trembler qu’il avait condensé en une seule année toutes les études qu’il ferait dans sa vie. Dans une routine réduite à réviser et dormir, il se creusait à vue d’œil… Ce qui n’empêchait pas Woo Yoonjae d’afficher un sourire radieux dès qu’il le voyait.

    Je me vengerai, sois-en sûr.

    À chaque fois qu’il croisait ce visage pâle qui s’illuminait dès qu’il le voyait, Gangwon en grinçait des dents.

    Les études, mon cul. L’université, mon cul.

    Faisant fi de la nécessité de se concentrer sur le CSAT, Woo Yoonjae passa une année entière à lui faire un nombre de déclarations si absurdes qu’on pouvait tout simplement les qualifier d’attaque. À peine leurs regards se croisaient dans un couloir, au moment de manger, sur le trajet de l’école, ou même en pleine rue, qu’il se mettait à lui chanter qu’une seule phrase : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime », sans fin, sans pause, sans vergogne. Au point même où Gangwon dût se rendre à l’évidence.

    « Je te plais à ce point ? »

    Un jour, la façon dont il criait « je t’aime, je t’aime » tout le long du chemin du retour lui parut si ridicule qu’il ne put s’empêcher de lui demander. Woo Yoonjae, qui mangeait son hot-dog, s’arrêta, sourit vivement et hocha la tête.

    « Oui. »

    « Hah. »

    « Je t’aime tellement. Je t’aime putain. Je t’aime ! »

    « Espèce de taré… Laisse tomber. »

    Même s’il lui tapait sur les nerfs, Gangwon ne le trouvait jamais répugnant. Il le trouvait juste… Stupide.


    L’État de Canberral*, situé dans le Midwest américain, est depuis longtemps envahi par les accros au HLP*, une nouvelle drogue de synthèse. Jadis florissante, la ville n’est plus qu’une coquille vide où la majorité des habitants se comportent comme des zombies. Les usines ont cessé de tourner, les grandes entreprises désertent peu à peu la région. Dans les rues, imprégnées d’odeurs et d’excréments, on ne croise plus que des gens qui hurlent ou se grattent jusqu’à s’arracher la peau des os. Les policiers qui patrouillent injectent un antidote dès qu’ils aperçoivent un malade, mais sans aucun effet. C’est d’ailleurs pour cette raison que le HLP a hérité du surnom de « drogue zombie », succédant au fentanyl.

    « Wow, Gangwon. Regarde-moi ça. Comment son dos peut se plier comme ça ? On dirait que sa colonne va se rompre. »

    Les silhouettes figées des toxicomanes dans des postures grotesques, qui s’affichait à l’écran, n’avaient rien à envier aux zombies des séries.

    « On dirait The Walking Dead, sérieux. »

    « Promets-moi qu’on ne touchera jamais à ça… Je crois que cela me détruirais si tu en devenais accro. »

    « Mais qu’est-ce que tu racontes encore… Pfff…  »

    Gangwon ne put s’empêcher de soupirer en voyant son ami, toujours rivé à l’écran, le visage consterné par ce qui s’y déroulait.

    « Sérieux, c’est pas toi qui nous a menacés de te droguer si tu devais partir étudier à l’étranger juste parce que tu ne pouvait pas aller dans la même fac que moi. »

    « Hé, mais je disais ça comme ça, t’abuses…  »

    « Ah, donc monsieur me faisait du chantage en carton ? »

    « Mais qu’adviendra-t-il de ma mère si je devenais un junkie…  »

    Son rire, si léger et enfantin, sonnait encore plus jeune que certains mecs de leur âge. Gangwon leva les yeux au ciel alors qu’il épluchait et taillait les fruits avec adresse. Parmi tous les fruits, celui que Woo Yoonjae préférait le plus c’était la pomme.

    « Tiens, mange. »

    Il lui tendit une pomme découpée en forme de petites lapin. Woo Yoonjae s’illumina aussitôt et ouvrit les bras.

    « Une pomme lapin… C’est de l’amour, ça. Si ce n’est pas de l’amour, alors c’est quoi ? »

    Ses yeux — sans double paupière mais auréolés d’un aegyo-sal* bien marqué — se courbèrent de façon attendrissante. Avec ses longs coins de paupières tombants, il rayonnait d’une douceur infinie. Même si, intérieurement, son côté immature semblait encore s’égarer dans le tunnel sans fin de l’adolescence.

    « L’amour, et puis quoi encore ? »

    « Nos numéros de téléphone sont aussi des numéros de couple. »

    « Putain, qu’est-ce que tu racontes encore ? Des numéros de couple, sérieusement ? Parle normalement. »

    « Bah, le milieu de mon numéro et la fin du tien, ont les mêmes chiffres. Les gens pourraient croire qu’on est ensemble, tu sais ? Dis-moi, n’es-tu pas le seul à nier l’évidence de notre amour, toi qui refuses de voir la vérité en face ? Et si tout cela n’était que le destin ? »

    Il n’avait pas complètement tort. Les quatre chiffres qui se trouvait au milieu du numéro de Woo Yoonjae étaient identiques à ceux qui se trouvaient à la fin du numéro de Gangwon. Ça n’avait aucune signification particulière : le jour où ils avaient acheté leur premier portable ensemble, le vendeur avait simplement assorti leurs numéros pour plaisanter, leur disant de ne pas se chamailler et de rester amis.

    Cela faisait sans doute plus de cinq ans qu’ils utilisaient ces numéros. L’autre persistait toujours et guettait chaque moment d’inattention pour tenter sa chance — ce qui était tout bonnement pathétique. Jamais de la vie. Gangwon, qui ricanait dans son coin, fit un geste de la main comme pour chasser un insecte.

    « Tu recommences avec tes bêtises. Je préfère te prévenir maintenant : je rejette toutes tes attaques de confession. Je m’oppose à cette prétendue union du destin. Et évidemment je compte changer de numéro dès qu’on sera à l’université. »

    Face à son ton faussement suave et moqueur, Woo Yoonjae fit la moue. Il fit mine de se replonger dans les informations, mais sa voix qui s’était soudainement assombrie, retentit presque aussitôt.

    « Je suis sérieux, et toi tu tournes ça en ridicule. »

    « Oui, oui. Je refuse. »

    « Et qu’est-ce que tu entends par « attaque de confession », alors que je n’ai absolument rien fait ? Pourquoi tu dis ça ? »

    « C’était juste une blague, pourquoi tu dramatises toute ? »

    « Et puis merde ! J’étais censé dire quoi quand tu m’as annoncé de nulle part que tu allais changer ton numéro ? Quoi, mon numéro te dégoûte à ce point ? »

    « N’est-ce pas toi qui tâtais le terrain en parlant de « numéro de couple » ? »

    « Putain, c’est vraiment mesquin et dégueulasse… Hng…  »

    « Hé, je rigolais, pourquoi tu te remets à pleurer ? »

    Les mots durs qu’il avait lâchés sous la colère se muèrent bientôt en plaintes noyées de sanglots. Le voir renifler, la bouche pleine de morceaux de pomme, était franchement cocasse, mais Gangwon savait très bien que s’il le lui disait, il dépasserait une certaine limite d’où il n’y aurait pas de retour en arrière. Il poussa un léger soupir, l’attira fermement contre lui et lui tapota doucement le dos.

    « Hic… Hng… Tu te moques de mes sentiments… Pour toi, tout ceci n’est qu’une grosse blague. T’es qu’un salaud… Pourquoi il a fallu que je tombe amoureux de toi, hein… Sniff…  »

    « Ouais, c’est de ma faute. Tout est de ma faute. Mon charme est si dingue que c’en est un crime, tu vois. »

    Bien que son ton se voulût taquin et moqueur, le regard de Gangwon, fixé dans le vide, était lourd d’inquiétude. Une intuition sombre lui traversa l’esprit : Et si, au moment même où j’avais baissé ma garde, pensant que tout s’était enfin calmé, les sentiments tordus de cet idiot avaient continué de grandir ?

    Ce qui ne doit pas arriver… N’arrivera pas.

    Le mieux était de le laisser régler ça seul, tant qu’il pouvait encore prendre la chose à la légère. De toute façon, le temps a toujours raison des sentiments immatures… Enfin, c’est ce que Gangwon essayait de se convaincre.

    Il était sur le point de plonger davantage dans ses réflexions, quand—

    Les symptômes des personnes accros au HLP se résument le plus souvent à rester immobile en plein milieu de la rue. Mais on les voit parfois foncer dans des bâtiments ou hurler des insultes aux passants. Avec l’augmentation fulgurante de ces incidents, les autorités de l’État de Canberral sont complètement dépassées.

    La drogue, hein.

    « Regarde-moi ça. On dirait vraiment des putains de zombies. »

    « Hngg, hic-hic, hng, khng… Qu… Quoi…  »

    « Regarde. On dirait des monstres, totalement ravagés par la came. Je te le répète encore une fois : ne t’avise jamais de prendre cette merde sous prétexte que tu n’as plus envie de vivre parce que je t’ai rejeté. Si tu en deviens accro, je te zappe définitivement. »

    « Putain… Mais qu’est-ce qu’il raconte ce con…  »

    Incrédule, il le fixait des yeux comme s’il n’en croyait pas ses oreilles, avant que ceux-ci ne s’embrasent de colère.

    « Je vais te rayer de ma vie dès que je serai à l’université… Hic, hic… Gros con…  »

    « Merci. »

    « Ne viens donc pas pleurer après… Hng, hic…  »

    « Ah vraiment, merci. »

    « Si… Si je tombe amoureux de quelqu’un d’autre… Sniff, sniff… Je ne regretterai pas… Un type comme toi…  »

    « Oui, oui. Merci beaucoup. »

    « T’es qu’un putain d’enfoiré… Tu verras… Tu regretteras vraiment de m’avoir perdu… Sniff…  »

    « Ouh là là, j’ai peur. »

    « … Et puis merde. »

    Ses menaces en carton étaient tout simplement hilarantes : il pleurait comme une Madeleine tout en continuant à lui rentrer dedans avec agressivité. Oui, il était évident qu’avec un tel tempérament, rien ne pourrait l’atteindre au point d’en faire une loque…

    Ce n’est qu’à ce moment-là que Gangwon, visiblement rassuré, prit le visage de Woo Yoonjae entre ses mains et se mit à lui essuyer les joues.

    C’était leur dernier hiver avant l’âge adulte*. Et pour que même cette drôle de relation puisse continuer à exister, Woo Yoonjae devait maintenant mettre de l’ordre dans ses sentiments.

    Pour ça, Gangwon était prêt à l’aider autant qu’il le faudrait.


    Par la suite, les jours s’écoulèrent dans leur calme habituel. Woo Yunjae continuait à s’immiscer dans la vie sentimentale de Gangwon, laissant transparaître, malgré tous ses efforts, une affection qu’il ne parvenait pas à masquer à son égard. Gangwon, quant à lui, restait indifférent et l’ignorait tout simplement. Rien n’avait vraiment changé. Rien n’avait changé — du moins, jusqu’à cet événement-là.

    Tout bascula le jour où il reçut enfin la confirmation de son admission à l’université qu’il visait.

    Et la cause n’était autre que… La deuxième relation amoureuse de Gangwon.

    « Tu sors encore avec quelqu’un ? »

    La nuit était exceptionnellement froide. Comme l’avaient annoncé les prévisions, de fins flocons se mirent à tomber. Gangwon leva la tête et regarda la neige recouvrir la rue peu à peu d’un voile blanc avant de simplement hocher la tête.

    « Ouais. »

    Juste avant cet échange, ils parlaient encore de faire une colocation ensemble après leur entrée à l’université.

    Contrairement à Gangwon, qui n’y avait jamais vraiment réfléchi, Woo Yunjae se voyait déjà vivre un quotidien idyllique dans un petit studio, rien que tous les deux sous le même toit.

    Il en décrivait les détails avec un sérieux tellement appliqué que Gangwon s’était soudainement dit qu’il valait mieux couper court : il lâcha donc, sans ménagement, qu’il n’avait aucune intention de vivre avec lui.

    Quand Yunjae lui demanda pourquoi, il répliqua qu’il devait sortir avec sa petite amie — alors comment pourrait-il cohabiter avec lui ?

    Et c’est cette phrase-là qui mit le feu aux poudres.

    « Depuis quand ? »

    « Aujourd’hui. »


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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