Vous n'avez pas d'alertes.
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    Remettre le café sur pied n’avait rien d’une mince affaire. Rien que nettoyer les lieux et dégager les débris avait pris deux jours entiers. Mais Ivana ne s’était pas laissée abattre bien longtemps. Elle en avait vécu bien des choses dans sa longue vie et ce n’était pas cette épreuve qui allait briser son esprit. Fidèle à sa nature de battante, elle s’était relevée, avait secoué la poussière de ses épaules, et s’était remise au travail.

    C’est le troisième jour qu’elle fit irruption dans le bureau de Yiwon.

    «  C’est le moment ou jamais de refaire toute la déco  », déclara-t-elle en lui tendant une feuille de papier froissée que
    Yiwon accepta sans hésiter.

    Les anciennes tables et chaises, toutes en bois, étaient fendues, usées par le temps, et leurs pieds inégaux les faisaient vaciller dès qu’on s’y asseyait. Cette fois, Ivana voulait du mobilier en fer, du solide.

    «  Je peux vous faire ça, mais… Le métal risque d’être froid en hiver, non  ?  » fit remarquer Yiwon en examinant ses croquis.

    Ce détail la fit réfléchir. Dans un pays où l’hiver durait plus de la moitié de l’année, ce genre de chose ne pouvait être ignoré. Après que Yiwon lui eut promis de lui fabriquer d’autres meubles dès qu’elle en aurait besoin, Ivana accepta qu’il commence par un premier ensemble en bois.

    Le quatrième jour, Nikolaï retrouva enfin assez de forces pour oser descendre et participer.

    «  Tout ça, c’est de ma faute… Je suis vraiment désolé, Mme Ivana,   » dit-il, les yeux embués.

    Ivana, fidèle à elle-même, lui répondit d’un ton bourru :

    «  Bah, ce n’est rien. Ramène-moi une bouteille de vodka, et on sera quittes.  »

    Ce soir-là, Nikolaï vida toutes ses économies pour lui offrir une bouteille de vodka de qualité.

    Quant aux autres locataires de l’immeuble, la plupart étaient encore trop effrayés pour descendre et de leur offrir leur aide directement. Mais ils mirent en commun ce qu’ils pouvaient pour aider à financer les réparations.
    Personne ici n’était riche, mais chacun était prêt à tendre la main à ceux qui en avaient besoin.

    Grâce à cette entraide, le café d’Ivana retrouva bien plus vite que prévu son apparence d’antan.

    Le temps, contre toute attente, resta doux et dégagé les jours suivants. Pas un flocon à l’horizon.
    Tout le monde y vit un bon présage, et nombreux furent ceux qui vinrent souhaiter à Ivana une nouvelle ère de prospérité.

    Chaque matin, Yiwon se réveillait de bon humeur. Il sautait hors du lit, s’habillait rapidement, puis descendait au rez-de-chaussée.

    Son quotidien était devenu régulier  : il aidait au café pendant la journée, puis, une fois la nuit tombée, préparait le procès avec Nikolaï jusque tard dans la nuit. C’était leur seul recours à ce stade, et même si leurs chances étaient minces, Yiwon s’était juré de ne rien lâcher. Nikolaï, lui aussi, était décidé à aller jusqu’au bout.

    Quant à leurs voisins, ils avaient bien été solidaires pour reconstruire le café, mais ils ne pouvaient pas faire grand-chose de plus.

    L’usine de Nikolaï avait clairement été saisie de manière frauduleuse – il était facile de prouver que les documents étaient faux, tant ils étaient mal faits. Le vrai problème, c’était de prouver que c’était Zhdanov qui les avait falsifiés.

    Ils avaient beau chercher, il était pratiquement impossible de trouver des preuves recevables et personne n’était prêt à témoigner devant un tribunal contre quelqu’un d’aussi puissant que le conseiller Zhdanov.

    Le temps passa et, un soir proche de la date du procès, Yiwon se retrouva à couper du bois pour la dernière table qu’il se devait de finir avant leur dernière audience imminente. Ce n’était pas la première fois qu’il se surprenait à souhaiter qu’il soit suffisant de prouver la falsification des contrats et des actes. Mais ce n’était pas si simple, et l’injustice de tout cela le brûlait intérieurement.

    C’est alors qu’il entendit la porte du café s’ouvrir, juste au moment où un morceau de bois qu’il sciait avec rage s’étais enfin détacher avant de tomber au sol. Le café était fermé, mais il n’était pas rare que les habitants du quartier passent en dehors des heures d’ouverture. Yiwon leva donc la tête, prêt à lancer un salut rapide avant de se remettre au travail.

    Mais ce qu’il vit le fit reculer d’un pas avant de se figer, la scie suspendue en plein geste. La personne qui passait la porte était si grande qu’elle devait se baisser pour passer sous le linteau*, ce qui cachait son visage. Les cheveux, eux, ne trompaient pas.

    Ceaser.

    Yiwon le dévisagea avec méfiance tandis que Ceaser balayait l’atelier d’un regard indéchiffrable, avant de s’attarder en silence sur l’une des tables déjà terminées. Le projet avançait, même si tout le café était encore recouvert d’une fine couche de sciure. Finalement, l’attention de Ceaser se posa sur Yiwon.

    « Cela fait un moment. »

    « Qu’est-ce que vous faites ici ? » demanda Yiwon en relevant le menton d’un air de défi. Il n’avait pas prévu d’y mettre autant de venin, mais il ne regretta pas son ton.

    Ceaser resta impassible.

    « J’ai quelque chose pour vous. Et je pense que cela pourrait vous plaire. »

    Le regard de Yiwon glissa vers l’épaisse enveloppe en papier kraft, hermétiquement scellée, que Ceaser tenait à la main. Sa méfiance s’accentua immédiatement, et Ceaser le remarqua.

    « Votre affaire contre Zhdanov va bientôt passer devant le tribunal. »

    « Et alors ? » répliqua Yiwon, sans chercher à masquer son irritation.

    « Un conseiller municipal… Ce n’est pas un adversaire à sous-estimer. Et il a des amis haut placés. »

    « Va droit au but, Ceaser. » lui dit Yiwon en jetant un regard appuyé vers la porte, comme pour signifier qu’il n’avait aucune intention de lui dérouler le tapis rouge.

    Une lueur amusée traversa le regard gris acier de Ceaser face à ce défi.

    « Vous avez tout ce qu’il faut pour gagner, monsieur L’avocat ? » demanda-t-il d’un ton narquois.

    Yiwon serra la mâchoire, mais garda le silence.

    Ceaser reprit, sa voix prenant un timbre presque enjôleur, comme un pêcheur qui venait de jeter un appât :

    « Vous n’auriez pas besoin… De preuves supplémentaires, par hasard ? »

    Yiwon sursauta et fixa l’homme en face de lui.

    Le ton de Ceaser demeurait désinvolte.

    « Aucune mauvaise action ne passe inaperçue. »

    Il secoua légèrement l’enveloppe.

    « Je garde toujours un œil sur tous ceux avec qui je travaille… Juste au cas où. »

    Yiwon inspira profondément, son regard rivé sur l’enveloppe. C’est peut-être ça… Si Ceaser détenait une preuve irréfutable de la corruption de Zhdanov, cela importait peu que le jury ait été en grande partie acheté : les preuves comptaient avant tout au tribunal. Et c’était exactement ce dont il avait besoin.

    Une petite voix, cependant, lui soufflait qu’il y avait quelque chose de louche dans le fait que Ceaser surgisse précisément maintenant, alors qu’il était au plus bas… Mais s’il disait vrai, il ne pouvait pas prendre le risque de passer à côté.

    « Si vous la voulez, vous avez exactement… Vingt minutes. Pas question de vous emmener dans cet accoutrement, et encore moins là où je compte vous mener. Et je déteste par dessus tout être en retard. »

    Le regard de Ceaser glissa avec dédain sur le jean poussiéreux et la chemise usée de Yiwon.

    « En retard ? » répéta Yiwon, abasourdi.

    « Pour le dîner. J’ai une réservation. Nous pourrons parler pendant que nous mangeons. »

    Les sourcils de Yiwon se froncèrent, mais il ne bougea pas.

    Ceaser jeta un coup d’œil exagéré à sa montre.

    « Dix-neuf minutes. »

    « Pourquoi devrais-je te faire confiance ? »

    « Je n’emploie jamais deux fois la même méthode. »

    Yiwon n’aimait pas la lueur qui passa dans ses yeux.

    « Donc, je suppose que vous n’avez pas besoin de ça ? » dit-il en agitant l’enveloppe sous son nez.

    Yiwon se mordit la lèvre, conscient qu’il n’avait pas le choix. Il se détourna brusquement, marmonnant une série de jurons en montant l’escalier à toute vitesse.

    « Dix minutes de pénalité pour avoir utiliser un langage grossier, monsieur l’avocat. »

    « Oh, pour l’amour du ciel… De tous les putains de…  »

    « Cinq minutes. » Ceaser se dirigea calmement vers la porte.

    « Je partirai quand ses cinq minutes seront écoulées, que vous soyez là ou non. Et vous avez intérêt à avoir l’air présentable. Ces guenilles que vous portez sont répugnantes. »

    Il ricana puis jeta un dernier coup d’œil à Yiwon avant de sortir et de rejoindre sa voiture sans se presser.

    Yiwon serra les dents pour retenir d’autres insultes lorsqu’il l’entendit crier par-dessus son épaule :

    « Cinq minutes, monsieur l’avocat ! »

    Il monta les escaliers à toute allure.


    Yiwon se glissa dans la voiture au moment où le moteur se mit à ronronner et ils filèrent à toute allure vers un restaurant huppé du centre-ville. Leur destination se révéla être un bâtiment devant lequel Yiwon était déjà passé une ou deux fois, sans jamais imaginer qu’il s’agissait d’un restaurant. L’architecture russe suivait une règle d’or «  plus c’est grand, mieux c’est  », et si les constructions imposantes n’étaient pas rares, un restaurant d’une telle ampleur était une première pour lui.

    «  Bonsoir, tsar  », les salua le maître d’hôtel en s’inclinant avec respect à l’entrée.

    Le maître d’hôtel les accueillit à la porte en leur disant « Bonsoir, tsar » et en s’inclinant poliment. Yiwon s’étonna de ce traitement de faveur, mais Ceaser se comporta comme si tout ceci était normal. Sans doute était-ce effectivement le cas : qui prendrait le risque d’offenser un syndicat mafieux puissant  ? Ce serait un véritable suicide financier.

    Il roula intérieurement des yeux mais suivit le maître d’hôtel jusqu’à leur table après avoir donné son manteau. Un serveur s’empressa de les suivre pour tirer leurs chaises et leur tendit les menus avant de s’éclipser à son tour.

    Yiwon parcourut rapidement la carte. Les prix étaient imprimés en petits caractères simples, et s’étalaient en colonne sur un côté. Chaque article coûtait plus que ce que Yiwon dépensait en un mois. Il leva les yeux et regarda autour de lui. Malgré la taille impressionnante du lieu, toutes les tables étaient occupées. Pour ces clients-là, ces chiffres astronomiques n’étaient qu’une somme dérisoire pour un simple repas.

    Son regard glissa vers Ceaser, qu’il observa du coin de l’œil, tandis que celui-ci faisait signe au serveur qui se précipita vers leur table pour prendre sa commande de vin. Il opta pour un Château Pétrus 1982, tout en jetant un coup d’œil à Yiwon comme pour chercher son approbation. Ce dernier se contenta de froncer les sourcils. Qu’il serve de l’eau du robinet ou un vin à un demi-million de roubles, cela m’est bien égal… Ce qu’il voulait, c’était cette enveloppe.

    Pourtant, le temps d’un battement de cils, elle avait disparu de la main de Ceaser. Qu’y a-t-il à l’intérieur  ? L’envie de la récupérer lui nouait l’estomac. Il se força cependant à patienter, son regard se posant sur le couteau de table comme pour se donner du courage. S’il se fout de moi, je lui tranche la gorge avec.

    « Le vin géorgien est bon, mais j’ai toujours eu un faible pour les crus français. » Ceaser jeta un autre regard à Yiwon, qui se contenta de cligner des yeux, pas vraiment intéressé.

    « Je ne bois pas beaucoup de vin », dit Yiwon d’un ton cassant.

    Imperturbable, Ceaser reprit : «  Certains prétendent même que l’art de la vinification serait né en Géorgie.  »

    Yiwon lui lança un regard sombre.

    «  Et savoir cela, ça rend le goût meilleur ou quelque chose du genre  ?  »

    Ceaser eut un léger sourire. «  Le savoir aiguise les sens. Un bon palais ne se forme qu’avec un esprit bien entraîné.  »

    Cette absurdité ne reçut en retour qu’un regard encore plus impassible. Yiwon n’avait aucune envie de devenir un connaisseur en vin et aimait bien son palais tel qu’il était, merci bien. Ce qu’il voulait, c’était cette enveloppe, et il lui fallut toute sa volonté pour ne pas hurler à Ceaser de la lui donner sur le champ.

    Ceaser, apparemment indifférent à son agacement, continuait de parler vin.

    « Vous verrez la différence avec une vraie dégustation de vin. Chaque vin a sa personnalité. Le vin français est élégant, mais complexe, subtil. Les vins américains sont plus puissants, plus audacieux. Quant au vin géorgien… Comment dire  ? La première fois qu’on y goûte, il paraît fade, rigide, comme une gamine maladroite qui essaie de vous séduire. Mais une fois qu’on s’y habitue… C’est comme si la plus voluptueuse des tentatrices venait vous envoûter. »

    Heureusement, le serveur était enfin revenu avec la bouteille, ce qui offra à Yiwon un bref répit face au bourdonnement incessant de Ceaser. Celui-ci vérifia l’étiquette, goûta en prenant une petite gorgée, puis hocha la tête d’un air satisfait avant de faire signe au serveur de remplir leurs verres.

    Ceaser leva le sien une fois le serveur parti et fit un petit signe de tête à Yiwon.

    « Essayez-le. Seuls les incultes sont incapables d’apprécier l’art de la gastronomie. »

    Yiwon porta le vin à ses lèvres, marmonnant intérieurement qu’il ne savait pas que l’art était réservé aux salauds de la haute société.


    « C’est dommage que le climat russe ne convienne pas aux voitures de sport… Mais que voulez-vous, c’est plus fort que moi. Pourtant, je ne peux pas me permettre d’en abîmer une en l’exposant à ce temps difficile, alors j’ai dû agrandir mon garage pour toutes les accueillir. »

    Yiwon sentait sa patience se consumer. Ceaser mettait vraiment sa patience à rude épreuve. Il pensait que la discussion sur le vin était mauvaise, mais Ceaser était passé au football, puis à la génétique, ensuite à un auteur qui avait gagner un prix Nobel, et maintenant… Ils en étaient aux voitures de sport. Cela faisait plus d’une heure qu’ils parlaient de tout sauf de l’enveloppe.

    Yiwon était à deux doigts de faire du lancer de couteau son nouveau passe-temps et d’utiliser le visage de Ceaser comme cible d’entraînement.

    Il cherchait des signes qui pourrait lui indiquer que l’enveloppe se trouvait sur Ceaser, mais c’était comme si elle avait vraiment disparu. Pendant que Ceaser parlait de la perfection des voitures de sport européennes, Yiwon faisait tout ce qu’il pouvait pour ne pas attraper Ceaser par le col et l’étrangler.

    Certes, c’était en partie de sa faute, car il était trop gentil. Quelque part entre le vin et le football, il avait hésité à lui demander l’enveloppe, mais il s’était ensuite convaincu qu’il était tout à fait poli d’avoir une petite conversation puisqu’il avait été invité à dîner. Il était cependant à bout de nerfs et bien décidé à mettre un terme à cette absurdité si Ceaser essayait de lui faire perdre encore plus de temps avec une conversation banale et unilatérale.

    « Le dessert va être servi », annonça le serveur.

    Une petite lueur d’espoir s’alluma dans la poitrine de Yiwon…

    « Le premier plat…  » – pour s’éteindre aussitôt. Apparemment, le dessert dans cet établissement consistait en cinq petits plats. Le premier, une glace, arriva, et Ceaser se remit à parler.

    « Les origines de la glace remontent à…  »

    Yiwon était épuisée.

    « J’en ai assez de perdre mon temps. Si vous n’avez rien à me donner, alors je vais m’en aller. »

    Ceaser cligna lentement des yeux, d’un air nonchalant. Yiwon fronça les sourcils et fit un pas pour partir, mais s’arrêta net. Un serveur venait d’apparaître et tendait une enveloppe à Ceaser.

    « Elle est juste là. »

    Yiwon bondit par-dessus la table, mais Ceaser écarta l’enveloppe d’un simple mouvement de bras, la gardant hors de portée.

    « Ah, ah, ah… Vous ne l’aurez pas gratuitement, cher avocat. »

    Yiwon plissa les yeux. Tout ça pour ça ? Une heure de torture pour en arriver là ?

    « Elle est à vous. » Ceaser haussa un sourcil, narquois. « Pour un baiser. »

    Le restaurant, bondé en cette heure de pointe, était très animé. Le personnel et les clients ne manquaient pas de jeter des regards furtifs à leur table, les chuchotements se faisant plus insistants à mesure que la tension montait.

    Yiwon n’hésita pas.

    Toujours debout, il se pencha par-dessus la table et posa ses lèvres sur celles de Ceaser. Des lèvres douces, pleines, qui se pressèrent fermement contre les siennes. Pris par surprise, Ceaser ferma instinctivement les yeux. Un soupir semblable à un gémissement lui échappa.

    Il ne sentit la main de Yiwon s’emparer de l’enveloppe que lorsque celle-ci disparut de ses doigts.

    Le baiser prit fin aussi vite qu’il avait commencé.

    Yiwon se redressa, le visage impassible.

    « Sur ce…  » Il fit un salut désinvolte. « Ce fut un plaisir. »

    Il se retourna et quitta le restaurant d’un pas assuré, laissant derrière lui Ceaser et une salle entière figée dans la stupeur.

    Ceaser suivit du regard sa silhouette qui s’éloignait. Un sourire en coin s’étira lentement sur son visage. Un serveur, après un moment d’hésitation, s’approcha discrètement, retira le dessert entamé et déposa à la place une élégante portion de gelée au vin rouge. Ceaser ne lui prêta aucune attention. Il plongea la main dans la poche intérieure de sa veste, en sortit un cigare, l’alluma, et aspira profondément la fumée âcre.

    Qu’est-ce qu’il est fascinant cet avocat.

    Il relâcha un nuage de fumée lent, presque paresseux, un sourire satisfait toujours accroché aux lèvres — plus satisfait qu’il ne l’avait jamais été.


    « C’était incroyable ! Vous avez été incroyable ! » s’écria Nikolaï en sortant de la salle d’audience. Pour lui, ce procès avait été ce qui se rapprochait le plus d’un miracle. Il avait été si convaincu qu’il n’y avait plus aucun espoir qu’il avait sérieusement envisagé d’en finir plutôt que de continuer à souffrir.

    Et pourtant, on ne sait comment, Yiwon l’avait sauvé. Submergé par la joie, il ne parvenait pas à contenir ses émotions.

    Yiwon lui répondit par un sourire, comme pour lui rappeler de ne pas se réjouir trop vite : rien n’était encore joué. Il était soulagé que l’audience se soit bien déroulée, mais il était bien trop préoccupé pour savourer ce moment.

    Les preuves qu’il avait obtenues de Ceaser étaient choquantes. Apparemment, Zhdanov avait eu recours exactement aux mêmes méthodes il y a plus de dix ans : falsification de documents, saisie abusive de biens… Le contenu de l’enveloppe en manille en apportait la preuve irréfutable. Zhdanov et son faussaire avaient tout pris à leur victime, sans que personne n’intervienne. Résultat : cette personne et toute sa famille avaient fini par se donner la mort.

    Tout ce dont Yiwon avait besoin était là, sous ses yeux. Pourtant, il savait qu’à l’époque, même avec toutes ces preuves, les victimes n’auraient probablement rien obtenu. Même dix ans plus tard, rien n’était garanti. La Russie restait profondément gangrenée par la corruption.

    Mais malgré tout, tenir ces preuves entre ses mains, c’était comme apercevoir enfin un minuscule rayon de lumière au bout d’un tunnel long et sans fin.

    « Ce n’est que le début », dit Yiwon à Nikolaï. « Préparez-vous mentalement. Il est fort probable qu’ils nous réservent des coups bas auxquels nous ne nous attendons pas. »

    Nikolaï hocha gravement la tête, encore rougi par l’excitation. « Oui, je comprends. »

    À ce moment-là, Zhdanov sortit de la salle d’audience accompagné de ses avocats. Il jeta un regard noir à Nikolaï et Yiwon, ses yeux plissés pleins de menace, puis s’engouffra dans le couloir et disparut.

    « Mes félicitations. Cela étant dit…  » commença Yiwon.

    « Oui, oui, merci infiniment Maître Jeong ! Merci, merci ! Il faut que je rentre au plus vite pour l’annoncer à ma femme. Je vous suis sincèrement reconnaissant ! »

    Yiwon regarda Nikolaï s’éloigner en courant, un sourire un peu amer au coin des lèvres. Il avait justement été sur le point de lui proposer de commencer à préparer la prochaine audience. Eh, tant pis. Il peut bien souffler un jour ou deux.

    Avec un léger rire et un haussement d’épaules, Yiwon se dirigea à son tour vers la sortie.

    Ils pouvaient bien se permettre de patienter un jour. Le départ avait été bon. Mais ce qui inquiétait vraiment Yiwon, c’était ce qui les attendait désormais.

    Ils avaient déjà présenté toutes les preuves recevables à l’audience du jour. Et il ignorait encore si cela suffirait à faire pencher la balance du côté de Nikolaï.

    Un long soupir lui échappa.

    Soudain, un frisson lui parcourut la nuque. La désagréable sensation d’être observé.
    Il se retourna, plissant les yeux sous le soleil.

    De l’autre côté de la rue, une berline haut de gamme était stationnée. Les vitres teintées si sombres qu’on ne distinguait rien de l’intérieur. Mais Yiwon savait qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur. Il ralentit le pas, puis s’immobilisa.

    Il reconnut cette voiture.

    Il s’approcha lentement, sur ses gardes. L’une des vitres s’abaissa sans un bruit.

    « Bonjour, monsieur l’avocat. »

    La voix traînante était familière. Yiwon grimaça sans chercher à dissimuler sa lassitude.

    « Oh, notre cher avocat aurait-il passé une mauvaise journée ? » lança Ceaser, moqueur.

    « J’ai connu pire », répondit Yiwon d’un ton sec.

    « Hm… Dans ce cas, peut-être que ceci pourra vous remonter un peu le moral. »

    Ceaser leva lentement la main, tenant une nouvelle enveloppe.

    Yiwon ne bougea pas. Il n’avait pas besoin d’ouvrir cette enveloppe pour savoir ce qu’elle contenait. Ceaser avait toujours ce dont ils avaient désespérément besoin, au moment exact où ils en avaient besoin.

    Il entendit alors le déclic des portières qui se déverrouillent. Celle du côté passager, en face de Ceaser, s’ouvrit doucement.

    Yiwon la regarda, silencieux. Ceaser, lui, souriait, la tête légèrement penchée de côté comme pour lui poser une question muette. Alors ? Qu’allez-vous faire ?

    L’instant d’après, la porte se referma dans un claquement sourd.

    La voiture démarra, emportant avec elle un Yiwon devenu passager à contrecœur.


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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    2 Commentaires

    Laisser un commentaire

    1. Lily
      Aug 13, '25 at 8h31

      Merci pour cette belle traduction. Je l’attendais avec impatience <3

      1. Ruyi ♡
        Chef de team
        @LilyAug 13, '25 at 12h50

        Non, merci à toi pour ce doux commentaire (ノ◕ヮ◕)ノ*:・゚✧

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