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    Le jour s’était levé froid et gris, comme si le ciel avait estimé qu’un seul jour de beau temps leur suffisait amplement.

    Le temps morose de la journée avait laissé place à une soirée tout aussi grise, ponctuée de rafales glaciales qui balayaient régulièrement les rues. Yiwon rabattit le col de son manteau et se mit à courir à grandes enjambées, voulant à tout prix protéger son cou contre les bourrasques mordantes qui le fouettaient sans répit.

    Il avait pourtant pris le tramway, mais comme cela arrivait souvent, celui-ci était tombé en panne… À deux stations de sa destination. Plutôt que d’attendre dans le froid un autre tram hypothétique, Yiwon avait serré les dents et foncé à pied, courant comme un dératé dans les rues gelées.

    Essoufflé, le visage rougi par l’effort et le froid, il franchit enfin les portes du théâtre. À l’entrée, il salua l’hôtesse d’un bref mouvement de tête, sans ralentir.

    Ce n’est qu’après avoir confié son manteau à la consigne qu’il prit enfin le temps de regarder autour de lui et fut instantanément happé par le décor. Peu à peu, ses pensées, figées par le froid, recommencèrent à circuler.

    Le Théâtre Bolchoï, fidèle à sa réputation, respirait la grandeur et l’histoire. L’architecture était somptueuse : les murs ornés de dorures, les lustres étincelants, les hauts plafonds sculptés… Tout évoquait l’opulence. Et c’est dans ce décor que des groupes de personnes élégamment vêtues bavardaient tout en formant une foule compacte et animée sous les lumières tamisées.

    Yiwon balaya la salle du regard. Comment allait-il retrouver Ceaser dans cette marée de visages inconnus  ?

    Ses craintes s’évanouirent aussitôt. Même au milieu des marbres sculptés et des robes luxueuses, Ceaser était impossible à manquer. Il était assis sur un canapé, une longue jambe croisée sur l’autre, parcourant distraitement le programme de la soirée. Vêtu d’un costume parfaitement taillé, d’un taupe profond, il ne bougeait presque pas — seule sa main tournait les pages avec une lenteur élégante, hypnotique. Et pourtant, ce simple geste suffisait à capter tous les regards.

    Son unique ornement était une imposante épingle à cravate en diamant, fixée à une cravate sobre, mais de bon goût. L’ensemble, discret et sophistiqué, semblait incarner Ceaser tout entier — d’une sobriété impeccable, mais doté d’un charme qui captait immanquablement le regard.

    Yiwon remarqua sans peine les regards volés que les gens autour du canapé lui lançaient. Que feraient-ils s’ils savaient vraiment qui il était Il se posa la question, mais n’osa imaginer la réponse. Il chassa bien vite cette pensée et traversa le foyer d’un pas décidé, avant de s’arrêter juste devant le canapé.

    La main de Ceaser resta en suspens, figée en plein milieu d’une page. Yiwon observa la manière dont les lustres doraient délicatement ses cheveux blond argenté d’un éclat chaud et irréel.

    «  Ceaser,  » dit-il à voix basse, voyant que l’autre ne levait pas la tête.

    Alors seulement, ses yeux pâles remontèrent vers lui. Et dans leur éclat, Yiwon crut revoir les cieux orageux au-dessus d’une plaine enneigée, balayée de vent et de silence.

    Ceaser referma le programme dans un froissement doux, un léger sourire naissant sur ses lèvres.

    «  Vous voilà.  »

    Ce n’était pas du tout le genre d’accueil auquel Yiwon s’était préparé. Ce sourire calme, presque tendre, le prit complètement au dépourvu. Il dut se rappeler — non, se convaincre — qu’il se tenait face à un haut responsable de la mafia. Et pourtant, à cet instant, Ceaser avait l’air si désarmant, presque innocent, que Yiwon en resta figé, le regard vide, incapable de faire le lien entre cet homme et ses actes.

    Comment quelqu’un d’aussi fondamentalement immoral pouvait-il sourire avec autant de candeur ?

    Heureusement, ce charme fragile se brisa aussitôt que Ceaser se leva. En un instant, sa silhouette imposante le surplomba et projeta une ombre écrasante sur Yiwon — une ombre qui le ramena brutalement à la réalité.

    Il prit une grande inspiration, comme pour se recentrer. Lorsqu’il reprit la parole, sa voix avait retrouvé son assurance.

    «  J’aimerais que vous me répondiez maintenant  », dit Yiwon à Ceaser, heureux que sa voix reste calme et posée.

    Une cloche retentit, annonçant aux spectateurs qu’il était temps de rejoindre leurs sièges. Distrait, Yiwon tourna la tête un instant — quand il regarda de nouveau Ceaser, celui-ci était déjà tourné vers l’auditorium.

    «  Ça va commencer. Nous devrions y aller.  »

    «  Quoi ? !  » s’exclama Yiwon un peu trop fort, pris de court.

    Ceaser, imperturbable, saisit le programme d’une main, attrapa le bras de Yiwon de l’autre, puis se mit en marche.

    «  Hé, attendez une seconde…   » dit Yiwon, déboussolé, tandis qu’il se laissait entraîner. «  Je suis venu uniquement pour vous parler, je n’avais pas prévu de…   »

    «  Vous aurez votre réponse après le spectacle.  »

    Yiwon s’immobilisa net et planta ses pieds au sol pour résister à l’élan. Il fixa Ceaser, mécontent d’être ainsi tiré comme un sac de pommes de terres.

    «  Votre délai, c’était aujourd’hui, non ?  » demanda Ceaser d’un ton neutre.

    «  D’après mes calculs, il me reste encore cinq heures. Vous pouvez bien patienter jusque-là.  »

    C’était subtil, mais dans la voix de Ceaser, il y avait une infime inflexion — suffisante pour que Yiwon comprenne qu’on se moquait de lui.

    Repoussant au fond de son esprit toute panique ou montée d’hystérie, il releva le menton et adopta sa meilleure imitation d’indignation.

    «  Je n’aime pas qu’on me fasse perdre mon temps.  »

    Ceaser arqua un sourcil.

    «  Seuls les incultes diraient que Giselle est une perte de temps.  »

    Yiwon soutint son regard, les yeux brillants d’une obstination farouche.

    «  Mon temps est précieux. J’aimerais le consacrer à des choses qui en valent la peine.  »

    Les coins des yeux de Ceaser se plissèrent légèrement — un infime changement qui trahissait une véritable amusement. Il était sincèrement diverti par cet échange.

    «  Je peux vous garantir que Giselle en vaudra la peine.  »

    La cloche retentit une seconde fois, et tous deux pénétrèrent dans l’auditorium au moment même où les portes se refermaient.

    Assister à une représentation du Ballet du Bolchoï était, en temps normal, une occasion rare et précieuse — un véritable enchantement. Et ça l’aurait été pour Yiwon, si l’homme assis à côté de lui n’avait pas été Ceaser.

    Le premier acte, tragique, dépeignait l’histoire de Giselle, une jeune paysanne qui meurt de chagrin après avoir été séduite et abandonnée par un noble. La mise en scène était superbe, l’interprétation poignante, les mouvements d’une grâce irréelle… Pourtant, Yiwon ne parvenait pas à s’immerger dans le spectacle.

    Il était incapable de se détacher de la présence de Ceaser à ses côtés, et encore moins de chasser de son esprit l’angoisse lancinante que provoquait l’attente de sa réponse.

    Durant l’entracte, il fit de son mieux pour apaiser ses nerfs à vif.

    Tout ira bien. Il me parlera après. Rester tendu, c’est exactement ce qu’il veut. Tu ne dois pas lui donner cette satisfaction, se répéta-t-il, fermement décidé à se ressaisir.

    Il prit une grande inspiration, redressa légèrement les épaules, et tourna son regard vers la scène, résolu à profiter du second acte.

    La seconde partie du ballet était bien plus sombre que la première. La ballerine qui incarnait Giselle tordait son corps dans des postures presque irréelles. Celle-ci Incarnait la pauvre villageoise revenue à la vie sous forme d’esprit, fragile et désespéré. Et même trahie, Giselle choisissait de pardonner son amant, tentant de le sauver des esprits vengeurs d’autres femmes abandonnées.

    Le public retenait son souffle, Yiwon y compris. Mais soudain, un murmure glissa à son oreille.

    « Vous voulez votre réponse  ? »

    La tête de Yiwon se tourna d’un coup vers Ceaser, oubliant aussitôt la scène.

    Ceaser laissa passer un instant, comme s’il se délectait de l’attente, avant de répondre d’une voix basse  :

    « Vous devriez savoir que je ne crois ni aux négociations, ni aux compromis. »

    Yiwon se figea. À cet instant, les lumières s’allumèrent et la salle fut inondée d’applaudissements.

    Le public tout entier se leva pour acclamer la performance, sous un tonnerre d’ovations. Mais Yiwon resta cloué sur son siège, les yeux rivés sur Ceaser, tentant de comprendre ce qu’il venait de vivre. Avait-il vraiment supporté tout un ballet uniquement pour que ce type lui dise non  ?

    Ses yeux suivirent Ceaser lorsqu’il se leva. Ce dernier le regarda de haut, un petit sourire moqueur accroché aux lèvres.

    « Un dîner ? »

    Un rire incrédule échappa à Yiwon. Il se leva d’un bond, incapable de se contenir plus longtemps.

    « Vous croyez que je vais juste… Dîner  ? Avec vous  ? Maintenant  ? »

    « Oui. Pourquoi pas  ? » répondit Ceaser, sincèrement perplexe.

    Ridicule.

    Yiwon souffla bruyamment et lui tourna le dos, furieux. J’aurais dû lui enfoncer ce foutu stylo dans la gorge, grogna-t-il en se dirigeant vers la sortie.

    Ceaser le laissa partir sans un mot, un sourire énigmatique aux lèvres.

    Et, dans un coin discret de la salle, un homme qui les observait depuis le début recula dans l’ombre et passa un appel.

    « Conseiller Zhdanov  ? C’est moi. Il faut que je vous parle. »


    Yiwon se sentait misérable.

    Avec un profond gémissement, il se retourna dans son lit et enfonça son visage dans l’oreiller.

    J’ai merdé.

    Cette pensée n’apaisa en rien sa gueule de bois. Il savait très bien qu’il n’aurait pas dû s’enfiler autant d’alcool bas de gamme sous prétexte qu’il était en colère, mais à présent, tout ce qui lui restait, c’était le regret – et un crâne qui semblait prêt à éclater. Il laissa échapper un nouveau râle, persuadé que sa tête allait littéralement exploser.

    Un coup à la porte interrompit son agonie.

    « Yiwon ? Tu es réveillé ? »

    Même étouffée par le bois, la voix d’Ivana lui transperça le crâne. Elle devait s’inquiéter de ne pas l’avoir vu descendre pour le petit-déjeuner. Il expira longuement par le nez, puis répondit :

    « Oui, oui… Je suis réveillé. »

    Mais sa voix était méconnaissable, rauque, éraillée, presque douloureuse à entendre. Il n’eut même pas le temps de s’en rendre compte qu’Ivana entrait déjà dans la chambre, claquant la langue en le voyant dans cet état.

    « Combien as-tu bu, imbécile ! »

    Yiwon gémit à nouveau, tentant de s’expliquer.

    « J’ai eu… Des problèmes. Ça va maintenant. »

    Mensonge. Il n’allait clairement pas bien. Et son ton honteux ne trompait personne. Il sentait contre sa peau chaque pli de la chemise et du pantalon dans lesquels il s’était endormi. Ivana, les bras croisés, le fusilla du regard.

    « Repose-toi aujourd’hui. Je vais te faire du thé. » Elle sortit en soupirant.

    « Se défoncer comme ça… À quoi ça m’a servi, hein ? Tsk. »

    Sa voix s’estompa tandis qu’elle descendait l’escalier. Peu après, elle revint avec une tasse de thé au miel, mais Yiwon s’était déjà rendormi.


    Un fracas assourdissant le tira brusquement de son sommeil.

    Il fronça les sourcils, l’esprit encore engourdi. Un nouveau bruit sourd éclata, suivi des cris d’Ivana. Cette fois, il se leva d’un bond — et regretta aussitôt. Tout tournait. Il se retint de justesse de vomir alors que sa tête s’e’écrasa contre le sol. Mais le vacarme ne cessait pas. Il se redressa tant bien que mal et fonça hors de sa chambre.

    Il dévala les escaliers à toute vitesse et fit irruption dans le café.

    « Mme Ivana ! Vous…  »

    Il s’interrompit net, figé devant la scène.

    C’était le chaos.

    Le café était méconnaissable : des chaises brisées gisaient à terre, les tables étaient renversées, des éclats de tasses et d’assiettes jonchaient le sol. Les clients, apeurés, s’étaient réfugiés dans les coins, les yeux écarquillés.

    Au centre du désordre, des hommes se retournèrent vers Yiwon. Et c’est à cet instant qu’il aperçut Ivana, qui luttait de toutes ses forces pour repousser les agresseurs.

    « Mme Ivana ! » cria-t-il en la tirant rapidement vers lui pour la mettre à l’abri derrière son dos.

    Puis, les yeux braqués sur les voyous, il s’écria :

    « Hé ! Vous vous croyez où, là ? Qu’est-ce que vous foutez ? »

    Les hommes échangèrent un regard.

    « T’es l’avocat, pas vrai ? »

    Yiwon se tendit, mais se jeta en avant pour intercepter Ivana.

    « Sales brutes ! Lâchez-le ! Foutez-nous la paix ! » hurla Ivana alors que l’un d’eux levait le poing pour la faire taire.

    Yiwon la repoussa sur le côté et écrasa son pied dans le ventre de l’homme.

    « Stop ! Bande de sauvages ! Je vous ai dit d’arrêter ! » continuait Ivana.

    C’est alors que Yiwon aperçut Nikolaï, étendu au sol, inconscient. Il balaya la pièce du regard. Cinq types semaient la panique dans le café. Aucun client n’osait bouger. Deux des cinq hommes se dirigeaient vers lui, tandis que les autres continuaient à tout saccager.

    Yiwon comprit qu’il n’avait pas d’allié. Il fit ce qu’il fallait.

    « Approchez, bande de lâches. »

    Son poing s’abattit sur une mâchoire, s’enfonça dans des côtes, percuta un visage. Les types s’effondrèrent sans même un cri, crachant des dents.

    Il enjamba les corps, fonça vers les autres. Une main se referma sur son épaule. Il pivota d’un coup, frappa à l’aveugle, et le type s’écroula à son tour.

    « Non ! Touchez pas à ça ! » hurla soudain Ivana.

    Un des voyous brandissait une vieille théière, prêt à la jeter.

    Yiwon se jeta en avant pour l’en empêcher, bras tendus, mais un autre l’attrapa et le projeta au sol.

    Trop tard.

    La théière éclata dans un vacarme aigu, projetant des éclats dans tous les sens.

    Pendant un instant, il ne vit plus que le visage d’Ivana, livide, ravagé par le désespoir.

    Les hommes qu’il avait mis à terre se redressèrent bientôt et commencèrent à encercler Yiwon.

    Il serra les dents.

    Et ses poings repartirent.


    Les malfaiteurs venaient de s’enfuir. Yiwon ne courait pas souvent après les criminels, encore moins en distribuant coups de poing et de pied dès qu’il en avait l’occasion. Mais cette fois, il avait fait une exception. Il avait même sprinté sur près d’une centaine de mètres derrière leur voiture avant d’abandonner, courbé en deux, les mains sur les genoux, le souffle court. Il n’avait pas détourné les yeux une seule seconde du véhicule qui s’éloignait.

    Il retourna au café à pas lents. Observer les dégâts dans le silence pesant de l’après-coup rendait la scène encore plus sinistre. Il ne restait plus rien.

    Ivana était recroquevillée, ses mains ridées serrant un fragment de la théière brisée. Yiwon savait que c’était un cadeau de mariage de son défunt mari, l’un des rares souvenirs qu’elle gardait encore de lui.

    Depuis qu’il la connaissait, Ivana avait toujours été une femme digne et forte. La voir ainsi, aussi petite et brisée, repliée sur elle-même au milieu des décombres, le frappa violemment. Des larmes silencieuses coulaient sur ses joues, mouillant ses mains tremblantes.

    Son regard glissa vers Nikolaï. Sa femme s’était effondrée contre lui en sanglotant. Quelque chose se brisa alors en Yiwon.

    Il attrapa un manteau et sortit du café sans dire un mot. Il n’avait qu’une seule destination en tête — un seul homme pouvait être derrière tout ça. Et ça, il ne le lui pardonnerait jamais.


    Pour beaucoup de Russes, une boisson dominait toutes les autres : le thé. Fort d’une tradition séculaire et de multiples tasses quotidiennes, il était même considéré par certains comme la boisson nationale. Ceaser en faisait très probablement partie.

    Dans son bureau flottait le parfum envoûtant d’un bon thé fraîchement infusé. Il tenait à sa tasse du matin comme à un rituel sacré, et la qualité de cette dernière influençait souvent son humeur pour le reste de la journée. Il ôta sa veste de costume, dévoilant un gilet impeccablement repassé, et la tendit à Urikh.

    Celui-ci l’observa s’asseoir, saisir sa tasse, et en humer délicatement les effluves.

    «  Alors, comment vous allez aujourd’hui, tsar  ? » demanda-t-il prudemment.

    Après un moment, Ceaser prit une gorgée et laissa la saveur se répandre dans sa bouche avant d’avaler. La tension légère autour de ses yeux s’effaça, ce qui répondit à la question Urikh. Mais Ceaser ajouta tout de même, d’un ton posé :

    «  Ludmila ne déçoit jamais. »

    Mais elle est épouvantable pour tout le reste, pensa sèchement Urikh. Elle oubliait sans cesse de transmettre des mémos importants, ses documents étaient truffés de fautes, et la convaincre de tenir l’emploi du temps de Ceaser relevait du supplice. Sa seule qualité, c’était de préparer le thé exactement comme le tsar l’aimait — et c’est pour cela qu’elle était encore là.

    D’une certaine manière, Urikh ne pouvait s’empêcher de l’admirer. Mauvaise secrétaire, certes, mais son thé offrait à tous des matinées paisibles.

    Ce matin-là, pourtant, l’humeur du tsar semblait particulièrement bonne. Sans doute à cause du ballet de la veille, supposa Urikh. Il jugea le moment propice pour aborder le sujet du fameux avocat.

    Il était loin de se douter qu’il allait en entendre parler plus tôt que prévu, qu’il le veuille ou non.

    Un déclic attira leur attention vers la porte. Ludmila entra sans frapper. Même pour elle, aussi maladroite soit-elle, c’était inhabituel. Son visage verdâtre confirma qu’il se passait quelque chose.

    «  Il y a… Quelqu’un…   »

    La pauvre femme, au bord des larmes, haletait de peur. Une silhouette élancée émergea derrière elle. Urikh reconnut l’avocat – et vit qu’il pressait quelque chose contre son dos.

    «  Hé  ! Qu’est-ce que…   »

    Il voulut lui demander ce qu’il faisait, mais Yiwon se décala déjà, révélant qu’il ne tenait qu’un gros stylo à plume.

    Ludmila comprit qu’elle n’avait jamais été menacée par une arme, et son visage devint plus cramoisi encore. Pâle et tremblante, elle jeta un regard affolé à Ceaser, terrifiée à l’idée d’être punie pour avoir laissé passer un inconnu armé… D’un simple stylo.

    «  Je m’excuse pour cette entrée dramatique  », déclara Yiwon en inclinant légèrement la tête.

    Ludmila pâlit davantage, mais Yiwon fixait déjà Ceaser à travers ses cils.

    «  Il fallait que je vous voie. »

    Urikh voulut intervenir, mais Ceaser parla avant lui.

    «  Et pourquoi donc, si tôt le matin  ? » demanda-t-il, la voix aussi détachée que d’habitude.

    Yiwon se redressa.

    «  Nous devons parler. »

    «  Mais pour qui…  »

    «  Du thé pour notre invité, Ludmila. »

    Ceaser lança un regard à Urikh qui comprit immédiatement qu’il était congédié. Il hésita un instant, puis entoura l’épaule de Ludmila et la guida hors du bureau.

    La porte se referma doucement. Ils étaient désormais seuls.

    Toujours assis dans son fauteuil, Ceaser, impeccable dans sa chemise et son gilet, désigna d’un geste calme un canapé moelleux un peu à l’écart. Yiwon le fixa un instant avant de s’y asseoir, sans un mot. Ludmila revint peu après avec le thé, déjà bien plus calme. Yiwon tenta un sourire désolé, mais les yeux rougis de la secrétaire ne se posèrent sur lui qu’un bref instant avant qu’elle ne s’éclipse en silence.

    «  Commencer la journée par une tasse de thé, c’est un des plaisirs simples de la vie  », commenta Ceaser en sirotant sa tasse, l’air satisfait.

    Il fixa Yiwon, comme pour l’inviter à goûter. Mais ce dernier ne bougea pas. Il le fixait, impassible. Seuls ses yeux, remplis de rage, trahissaient ses émotions.

    Quelque chose clochait, Ceaser en était sûr. D’abord, Yiwon avait forcé l’entrée de son bureau en manipulant une secrétaire apeurée. Ensuite, en y regardant de plus près, il paraissait presque méconnaissable. D’ordinaire, ses tenues étaient simples mais soignées. Aujourd’hui, sa chemise froissée pendait hors de son pantalon, son manteau mal ajusté n’était même pas fermé, et il avait oublié son ushanka* malgré le froid mordant. Ses cheveux en bataille semblaient indiquer qu’il s’était levé en catastrophe et était parti sans jeter un œil à son miroir.

    Ceaser se demanda s’il y avait eu un tremblement de terre pendant la nuit, avant de remarquer l’énorme ecchymose sur le côté du visage de Yiwon, ainsi que le sang séché sur ses phalanges. Il fronça légèrement les sourcils. Une bagarre  ? Et cela, moins de vingt-quatre heures après leur dernière rencontre…

    Mais il n’insista pas. Il reprit, l’air détaché :

    «  Ce n’est pas un thé très onéreux, mais lorsqu’il est infusé comme il faut, c’est une merveille. Ludmila est la seule à réussir une telle perfection. Je n’ai jamais trouvé personne d’autre capable de ça. »

    Il esquissa un sourire.

    «  Une seule compétence, lorsqu’elle est exceptionnelle, peut faire oublier toutes les autres lacunes. »

    Yiwon le regardait, à la fois écoeuré et sidéré. Cet homme avait détruit des vies quelques heures plus tôt et se permettait de bavarder paisiblement autour d’un thé. Comment pouvait-on être aussi inhumain  ? Sans doute un prérequis pour devenir chef de la mafia, pensa-t-il avec amertume.

    Ceaser continuait de parler. Mais Yiwon ne l’écoutait plus.

    « Je ne suis pas venu ici pour bavarder autour d’une tasse de thé. »

    Ceaser lui jeta un coup d’œil par-dessus sa tasse. Depuis qu’il était entré dans le bureau, l’avocat ne l’avait pas quitté des yeux et ll’avait fixer comme s’il voulait le transpercer du regard. Ceaser savoura une dernière gorgée de son thé, désormais tiède, puis reposa calmement sa tasse.

    « Vous n’avez même pas cinq minutes pour prendre un thé en ma compagnie ? »

    Il détourna son regard de la tasse que Yiwon n’avait pas daigné toucher, puis planta ses yeux dans les siens.

    « Très bien. Qu’est-ce que vous voulez ? »

    Yiwon se mordillait la lèvre, conscient que Ceaser le jaugeait du regard, probablement qu’il était en train de juger son apparence bien trop négligée. Il garda alors le silence et soutien son regard. Ceaser, lui, demeurait d’un calme glaçant, d’une sérénité si dérangeante qu’elle lui donnait la chair de poule. Qu’est-ce qu’un homme comme lui peut bien penser de moi, à me voir débarquer ainsi, hors de moi ?

    Un homme capable de tuer sans ciller, puis de revenir siroter son thé dans un costume parfaitement ajusté, comme si de rien n’était.

    Yiwon relâcha lentement sa lèvre, la gorge serrée, puis prit la parole d’un ton ferme :

    « Je savais déjà que tu étais prêt à tout pour garder ton précieux conseiller. »

    Il continua à soutenir son regard, impassible, et poursuivit, la voix plus dure encore :

    « Mais s’attaquer à des innocents ? Détruire la vie et les moyens de subsistance d’une vieille dame ? Là, tu es allé trop loin. Ça n’a fait que renforcer ma détermination. »

    Les yeux pleins de haine, il lança :

    « Nous irons jusqu’au bout. Et nous gagnerons. Ce n’est pas fini. »

    Ceaser resta un instant silencieux, clignant des yeux comme s’il venait d’entendre une étrangeté.

    « Attaquer ? » demanda-t-il enfin, l’air perplexe.

    Yiwon releva le menton, un rictus méprisant aux lèvres.

    « Ne joue pas les innocents. Je ne suis pas dupe »

    Ceaser fronça les sourcils, visiblement perdu. Depuis l’instant où Yiwon avait fait irruption dans son bureau, rien de ce qu’il disait ne faisait le moindre sens.

    « Vous l’avez peut-être rêvé ? » tenta-t-il, sur un ton étonnamment calme face à l’hostilité qui lui faisait face.

    « Pardon ? » Yiwon se hérissa, les yeux écarquillés d’indignation, comme s’il venait d’entendre la chose la plus absurde au monde.

    « J’ai supposé que vous aviez fait un rêve… Disons un peu trop réaliste. Et que c’est pour ça que vous êtes venu ici. Vous devez sûrement être en pleine crise délirante. J’avoue que c’est une expérience inédite, même pour moi », dit Ceaser avec une désinvolture polie.

    Il laissa planer un silence, puis ajouta d’un ton doucereusement moqueur :

    « Vous m’ouvrez vraiment les yeux sur le gouffre qui sépare nos mondes. C’est fascinant de voir ce qu’un avocat aussi estimé que vous peut considérer comme une cause digne de son temps. »

    Ses paupières se plissèrent tandis qu’il ajoutait, d’un ton chargé d’un mépris à peine voilé :

    « À moins que tout cela ne soit qu’un stratagème désespéré… Parce que vous savez pertinemment que vous allez perdre. »

    « Quoi…  ? ! »

    La provocation fit mouche. Comme s’il avait versé de l’huile sur un feu qui ne demandait qu’à s’embraser, Ceaser l’avait poussé à bout et l’explosion fut immédiate.

    Yiwon, hors de lui, se leva brusquement, attrapa sa tasse – restée intacte jusqu’alors – et en jeta le contenu à la figure de Ceaser. Il ne réfléchissait plus. Tout ce qu’il voyait, c’était ce visage moqueur, ce regard condescendant, ce mépris dégoulinant dans chaque mot. Il voulait que ce thé éclabousse ce masque imperturbable, que les gouttes laissent des marques sur cette façade immaculée.

    Jusqu’à ce que Ceaser se lève.

    Eh… Merde.

    Et c’est alors que Yiwon reprit ses esprits.

    Mais il était déjà trop tard.

    Comme un mauvais déjà-vu, il vit Ceaser esquiver la tasse au ralenti, un sentiment d’effroi identique à celui de leur première rencontre l’envahissant de nouveau. À la différence qu’au lieu de rester figé, Ceaser se leva d’un bond, évita le liquide avec agilité, attrapa son bras et le tordit dans son dos avant de le plaquer face contre le canapé.

    « Aah ! » gémit Yiwon, le souffle coupé par la douleur.

    Ceaser était penché au-dessus de lui, une main appuyée sur le dossier du canapé, tandis qu’il appuyait tout le poids de son corps contre lui, l’enfonçant encore plus dans les coussins.

    « Quel sale caractère tu as », commenta-t-il d’un ton traînant, du haut de sa position.

    Yiwon se débattit de toutes ses forces. Il lui donna des coups de pied et se tordit dans tous les sens pour se libérer.

    « Lâche-moi, espèce d’enfoiré… Tu n’es qu’un lâche ! »

    Ceaser claqua doucement de la langue.

    « Un langage aussi grossier… Il faudra que je punisse celui qui te l’a appris. »

    « Évidemment. Tu ne sais qu’utiliser de la violence et de chantage, pas vrai ? »

    Même écrasé sous Ceaser, Yiwon ne perdit rien de sa verve. Ceaser le regarda se débattre, et un sourire effleura ses lèvres.

    « Tu t’es vraiment levé du lit et es venu tel quel. »

    Yiwon se figea.

    La main posée sur le canapé glissa lentement vers l’arrière de sa tête et effleura doucement ses mèches en désordre.

    « Tu portes encore ton costume d’hier… Et il sent encore l’alcool. Tu as dû beaucoup boire. »

    « Et qu’est-ce que ça peut bien te faire ? ! »

    Il recommença à se débattre avec rage, mais Ceaser continua comme s’il n’avait rien entendu :

    « Le corps humain dégage son odeur la plus forte juste après le réveil. »

    Puis, tout à coup, il se pencha et enfonça son nez dans les cheveux de Yiwon, murmurant à son oreille :

    « Maintenant, je connais la tienne. »

    Il inspira profondément, lentement, comme s’il voulait imprimer cette odeur dans sa mémoire.

    Yiwon se crispa à la première inspiration, puis se figea complètement. Dans le silence pesant du bureau, le souffle régulier de Ceaser semblait assourdissant.

    Inspire… Expire… Et pourtant, toute son attention restait rivée sur cette unique sensation : Ceaser, étendu sur lui, son corps pesant contre le sien.

    Même à travers l’épaisseur de son manteau, Yiwon pouvait sentir chaque ligne, chaque contour de ce corps contre le sien.

    Une main descendit le long du dos de Yiwon et repoussa le tissu bon marché du manteau qui les séparait. Sous ce geste brusque, leurs corps finirent par se toucher. Ceaser roula des hanches vers l’avant, et Yiwon se rendit compte pour la première fois à quel point le tissu de son pantalon était mince : il aurait aussi bien pu être nu tant la pression était distincte. Il n’y avait aucun doute sur ce qui s’enfonçait contre ses fesses.

    Ceaser remonta jusqu’à son visage et posa doucement ses lèvres contre le haut de son oreille. Ses dents relâchèrent lentement le lobe qu’il venait de mordiller, puis il chuchota :

    « Écarte les jambes. »

    Le visage ciselé de Ceaser s’assombrit, comme si une ombre y était tombée. Une bête sublime, plus belle que n’importe quel ange, menaçait de le dévorer. Yiwon ressentait cette présence dans chacun de ses pores, dans chaque cellule de son corps, comme un frisson acéré sous la peau. Le battement furieux du cœur de Ceaser vibrait jusqu’à lui. La chose raide et brûlante qui le pressait dans le dos ne laissait aucun doute.

    Yiwon tourna lentement la tête, les muscles raides, jusqu’à croiser le regard glacial d’argent qui l’attendait déjà. Au moment où leurs yeux se rencontrèrent, un éclair de satisfaction mêlé de déception traversa le visage de Ceaser.

    Il n’y avait pas la moindre trace de peur dans les yeux de Yiwon. Au contraire, c’était de la colère — du mépris, même — qui assombrissait son regard. Ses sourcils fins étaient froncés, son expression déformée par le dégoût.

    «  Ça t’excite, hein  ? De briser les gens, de les pousser dans leurs retranchements pour leur faire tout ce que tu veux  ?  »

    Mais les paroles de Yiwon glissèrent sur Ceaser sans l’égratigner. Rien ne venait altérer la lueur prédatrice qui flamboyait dans ses yeux alors qu’il le surplombait. Sa voix descendit d’un cran, grave et dangereuse.

    « Pauvre petit avocat… Tu as eu une matinée bien difficile. »

    Sa main caressa lentement la taille de Yiwon, avec une douceur cruelle.

    « Mais tu es bien trop joli pour qu’on t’abîme. »

    Yiwon éclata d’un rire amer.

    « Alors quoi ? Tu baises tout ce qui te plaît, c’est ça ? Pratique, quand tu refuses qu’on te dise non. »

    Ceaser ne répondit pas immédiatement. Il leva un de ses longs doigts fins, attrapa le menton de Yiwon entre ses doigts, puis laissa lentement glisser son pouce sur sa lèvre inférieure.

    « Couvert de sang… Tu serais exquis. »

    Le pouce s’arrêta et appuya doucement là où la lèvre où Yiwon s’était fendu et était déjà rouge et irritée. Il appuya juste assez pour que la peau prenne une teinte plus sombre et se gorge de sang. Son regard se fixa sur la blessure, et il se pencha un peu plus, fasciné, presque trembler.

    Un soupir rauque lui échappa, chargé d’un désir tordu, presque obscène. Yiwon sentit son souffle froid caresser le sang encore tiède de sa plaie.

    Au lieu de s’en offusquer, Ceaser laissa échapper un petit rire. Puis, sans prévenir, le poids qu’il faisait peser sur le torse de Yiwon disparut. Il relâcha le bras de Yiwon. Ce dernier recula d’un bond, par pur réflexe, les yeux fixés sur lui.

    « Imagine un peu… À quel point tu serais exquis, couvert de mon sperme. »

    «  Tu ferais alors mieux d’imaginer ton propre enterrement.  »

    Mais Ceaser avait déjà retrouvé son calme. Imperturbable, il ouvrit l’humidificateur posé sur la table, en sortit un cigare et s’appliqua à le couper.

    «  Revenons à nos moutons. Le café, disiez-vous… Il s’y est passé quelque chose, n’est-ce pas  ?  »

    Yiwon fulminait. L’agacement et la colère lui remontaient à la gorge comme un poison.

    «  Tu es mieux placé que moi pour le savoir.  »

    Ceaser haussa un sourcil, sans lever les yeux.

    «  Ah oui  ? Et pourquoi cela  ?  »

    Le regard de Yiwon s’assombrit aussitôt.

    «  Parce que tu protèges Zhdanov…   »

    Mais il s’interrompit net, une pensée froide comme la glace lui traversant l’esprit.

    Et si ce n’était pas lui  ?

    Ceaser se pencha légèrement, un sourire discret aux lèvres.

    «  C’est pour cela que votre visage est dans cet état  ?  »

    La bouche de Yiwon se referma aussitôt. Cette blessure n’avait rien à voir avec Ceaser ni Zhdanov. Il s’était simplement cogné la tête en tombant du lit — et ça, jamais il ne l’avouerait.

    Alors il évita la question.

    «  Tu veux dire que ce n’est pas toi  ?  »

    Le regard de Ceaser se fit plus tranchant.

    «  Qui sait. Peut-être bien. Peut-être pas.  »

    Il se laissa tomber dans son fauteuil et tapota l’accoudoir d’un geste absent.

    «  Je m’étais dit qu’en venant me déranger à une heure pareille, vous auriez au moins des preuves. Manifestement non.  »

    Yiwon sentit l’agacement se mêler à une pointe d’inquiétude. Non. Pas maintenant. Ne commence pas à douter. Mais malgré lui, le doute s’insinuait, doucement.

    «  Dis-moi juste la vérité. C’était toi, oui ou non  ?  »

    Ceaser tira une bouffée de son cigare. Une épaisse volute de fumée s’éleva dans la pièce, âcre et envahissante. Yiwon fronça le nez.

    Ceaser continua de le fixer d’un regard calme.

    «  Et si je vous disais que c’était moi… Qu’est-ce que vous feriez  ?  »

    «  Je te poursuivrai.  »

    Yiwon répondit sans la moindre hésitation. Ceaser, lui, resta parfaitement calme.

    «  Vos preuves  ?  »

    Yiwon se figea. Ceaser poursuivit d’un ton tranquille, presque didactique.

    «  Vous savez mieux que quiconque que porter une accusation sans fondement relève de la diffamation. On ne condamne pas quelqu’un sur un simple coup de tête. Alors, allez-y. J’aimerais voir toutes les preuves selon lesquelles j’aurais ordonné quoi que ce soit, ainsi que votre récit détaillé des faits.  »

    La situation venait de se renverser. Ce n’était plus Ceaser l’accusé, mais Yiwon qui se retrouvait acculé. Il resta sans voix.

    Voir l’avocat ainsi réduit au silence tira un sourire à Ceaser. Il porta son cigare à ses lèvres.

    «  Tsk, tsk. Cher monsieur l’avocat… Une réclamation aussi creuse ne tiendrait jamais devant un tribunal.  »

    Et il avait raison. Yiwon ne pouvait pas le nier. C’était une erreur de débutant, et pour lui, c’était une humiliation. Il aurait dû garder son sang-froid, mais ses émotions avaient pris le dessus et embrouillé son jugement.

    Il inspira profondément et se rendit à l’évidence.

    «  Je vous prie de m’excuser pour cette intrusion.  »

    Il redressa le dos, retrouvant son calme habituel.

    «  Je reviendrai avec des preuves solides, la prochaine fois.  »

    Sa voix était dénuée d’émotion. Il ajouta un simple «  au revoir  » par politesse, puis se retourna pour partir.

    «  Cher avocat.  »

    Yiwon s’arrêta aussitôt, priant intérieurement pour que Ceaser ne dise pas ce qu’il craignait. Il se retourna lentement. Ceaser était adossé à son bureau.

    «  Concernant ce que nous disions plus tôt… Quand on s’en prend à vous, les bleus ou une lèvre fendue, ne sont qu’un début. Tympans percés, cornées arrachées… Et parfois, on n’en sort tout simplement pas vivant.  »

    Le ton de Ceaser était d’une tranquillité glaçante, comme s’il parlait de la pluie. Il n’avait pas besoin de hausser la voix ni d’insister  : la menace était claire et sans appel.

    Et Yiwon le savait. Ceaser ne serait jamais une victime. Il doutait même qu’il existe qui que ce soit capable de l’écraser.

    «  J’imagine que vous préférez écarter les jambes plutôt que de finir aveugle. Mais après tout… C’est votre choix.  »

    «  Très bien,   » répondit sèchement Yiwon.

    Ceaser pencha légèrement la tête, un éclat dur dans le regard.

    «  À votre tour. Vous préférez quoi ? Être dévoré par un lion affamé, ou enterré vivant, les bras liés dans le dos ?  »

    Il resta un instant figé, puis éclata soudainement de rire.

    Yiwon cligna des yeux, surpris par cette réaction. Ceaser riait toujours, avec cette lueur perverse au fond des yeux.

    «  C’est embêtant. On ne peut pas vraiment tester ce genre de chose quand on n’a qu’une seule vie.  »

    « Vous n’aurez ma réponse que lorsque vous aurez fait votre choix. » ajouta Yiwon d’un ton détaché, comme s’il s’y attendait depuis le début.

    Sur ces mots, il se détourna sans un regard en arrière et quitta le bureau. Il ne jeta un coup d’œil qu’au moment de refermer la porte. Ceaser était toujours là, appuyé contre son bureau, et avait nonchalamment levé une main dans un faux geste d’adieu, comme pour le narguer une dernière fois, jusqu’à ce que Yiwon disparaisse derrière la porte qui se referma dans un clic sec.


    «  Tsar  !  » appela Urikh.

    «  Vous êtes blessé  ? Il s’est passé quelque chose  ? Pourquoi est-ce que cette salope d’avocat continue de—  »

    «  Urikh.  »

    Il se figea aussitôt. Il s’était précipité dès qu’il avait vu l’avocat sortir, à moitié affolé à l’idée que le tsar ait pu être agressé en son absence.

    Ceaser parla calmement, presque à mi-voix.

    «  Je veux que tu suives Zhdanov. Découvre ce qu’il prépare.  »

    «  Zhdanov… Le conseiller  ?  »

    Urikh resta bouche bée, mais Ceaser ne répondit pas. Il tira une longue bouffée sur son cigare.

    Il me demande de l’aide… Et pendant ce temps, il prépare un coup dans mon dos.

    À travers les volutes épaisses de fumée, ses yeux gris, pâles comme des cendres, se rétrécirent dans une lueur froide et menaçante.

    Je les détruirai. Un par un.


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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