HL • Chapitre 04
by Ruyi ♡— Une nuit au clair de lune dans la grande capitale —
Hángzhōu a toujours été une cité d’érudits et de lettrés. Qu’ils soient talentueux ou médiocres, âgés ou jeunes, tous aspiraient à vivre près du lac de l’Est. Les plus fortunés y construisaient de somptueuses maisons de vacances, tandis que les moins aisés se contentaient de modestes cottages. Ainsi, chacun préservait son statut « d’homme instruit » sans froisser les convenances, tout en profitant de l’atmosphère supposée surnaturelle du lac pour nourrir ses rêves de gloire et de fortune.
C’est parmi ces résidences – grandes et petites – d’érudits confucéens, parfois aussi avares que vaniteux, que l’on retrouvait le célèbre maître de l’école Bái Wén, Bái Xù. Jouissant d’une renommée modeste mais respectée, il dirigeait la Société de Poésie Bái Wén, la plus réputée de tout Jiangnan. En dehors de cette fonction, Bái Xù excellait dans les « quatre arts » – musique, échecs, calligraphie et peinture* – et sa prétendue expertise en gravure rivalisait avec celle des plus grands poètes et écrivains contemporains.
(N/T : Musique, échecs, calligraphie, peinture (琴棋书画) – les quatre piliers de l’éducation artistique chinoise ancienne. La maîtrise de ces disciplines était considérée comme un symbole de raffinement. La musique faisait référence à la cithare, les échecs au jeu de Go, et la calligraphie et la peinture représentaient les traditions chinoises. Bien que ces compétences soient impressionnantes, elles n’assuraient pas toujours le succès dans la vie quotidienne, sauf peut-être dans le cas des courtisanes, pour gagner leur vie. Toutefois, ces passions raffinées étaient prisées des érudits.)
(N/T : Expertise en gravure (金石学) – étude et analyse des gravures anciennes, en particulier sur bronze ou pierre, un art prisé dans la Chine impériale.)
Ce jour-là, comme à son habitude, Bái Xù mit fin à son cours à midi et retourna chez lui, dans la Maison des Bai, située près du lac.
À peine avait-il franchi la porte que son jeune apprenti*, Bái Yuán, accourut vers lui.
« Maître, des invités vous attendent dans le hall d’entrée », annonça-t-il précipitamment.
(N/T : Apprenti – Le terme « shūtóng » (书童) désigne un garçon travaillant dans l’étude d’un érudit. Il ne s’agit pas tout à fait d’un serviteur, mais il ne bénéficie pas non plus du statut d’un véritable étudiant.)
Pensant qu’il s’agissait de visiteurs en quête de conseils littéraires, Bái Xù répondit d’un ton indifférent : « Dis-leur d’attendre. Je descendrai une fois changé. »
Cependant, au lieu de partir, Bái Yuán resta figé sur place, les yeux remplis de frayeur.
« Qu’est-ce qui t’arrive ? Fais ce que je t’ai dis ! » lança Bái Xù, légèrement agacé.
Bái Yuán s’approcha alors discrètement et chuchota : « Maître, vous devriez aller les voir tout de suite. Ils attendent depuis ce matin… Et ils n’ont pas l’air commodes. »
Voyant l’hésitation de son maître, il ajouta à voix basse : « Ces hommes sont armés… »
Le visage de Bái Xù pâlit aussitôt. Bien que sa réputation fût respectable, il ne faisait pas partie de l’élite influente de Hángzhōu et n’avait pas d’ennemis connus. Il ignorait donc pourquoi des hommes armés s’étaient introduits chez lui.
Il retrouva rapidement son calme avant de dire à Bái Yuán : « Viens avec moi dans le hall. »
Ils se hâtèrent d’y descendre, là où les hommes attendaient toujours. Dès son entrée, Bái Xù aperçut trois hommes grands et imposants, leurs expressions sombres et peu engageantes. Certains étaient debout, d’autres assis, mais tous dégageaient une aura intimidante.
Au centre du groupe, un jeune homme vêtu de robes en soie grise de qualité supérieure trônait sur le siège d’honneur. Une longue épée, finement travaillée, pendait à sa taille. À sa gauche se tenait un homme d’âge mûr, habillé à la manière d’un conseiller stratégique*, et derrière lui se trouvait un serviteur d’environ dix-huit ou dix-neuf ans, visiblement l’un de ses proches partisans.
(N/T : Conseiller stratégique (军师) – Dans la Chine ancienne, ce titre désignait un conseiller militaire, souvent au service d’un gouvernement ou d’un chef rebelle. Il est surprenant que l’auteur emploie ce terme pour décrire un groupe de bandits, mais le sens reste littéral : un stratège ou conseiller.)
Le jeune homme se leva dès qu’il aperçut Bái Xù, suivi de son conseiller. Il était manifeste que ce jeune inconnu était le chef du groupe et l’invité principal.
Lorsque Bái Xù atteignit le centre du hall, le jeune homme s’avança pour le saluer.
« Monsieur Bái*, ne prenez pas ombrage de notre visite. Nous avons simplement osé nous permettre de venir vous rencontrer. »
(N/T : Monsieur/enseignant (先生) – Dans la Chine ancienne, ce terme était un titre respectueux, souvent adressé aux enseignants. Aujourd’hui, il est davantage utilisé pour signifier « monsieur » ou « m. ». Ici, son emploi reste fidèle au sens ancien.)
C’est seulement en se rapprochant que Bái Xù réalisa à quel point le jeune homme était d’une beauté remarquable. Son visage ovale était parfaitement proportionné, ses longs sourcils effilés s’étendaient jusqu’à ses tempes, et ses grands yeux vifs semblaient scintiller comme des étoiles. Sa silhouette fine mais athlétique, mise en valeur par l’épée précieuse qu’il portait, dégageait une aura indéniablement charismatique.
« Ah, voilà ce qu’on appelle un véritable héros du Wu Lin* », pensa Bái Xù, presque impressionné.
(N/T : Héros du Wu Lin (武林) – Terme désignant un personnage héroïque du monde des arts martiaux chinois. Ces héros se distinguent par leurs compétences exceptionnelles, leur sens de l’honneur et leur engagement envers la justice. Ils incarnent souvent les idéaux de la chevalerie dans les récits traditionnels.)
(Note de Ruyi : Rebonjour à ces sourcils qui choquent (✧∀✧) /)
En hochant la tête en guise de réponse, Bái Xù s’assit sur le siège réservé à l’hôte avant de se tourner vers Bái Yuán :
« Pourquoi ne leur as-tu pas servi du thé— »
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que le jeune homme l’interrompit brusquement : « Monsieur Bái, ce n’est pas nécessaire. Je suis ici aujourd’hui pour une affaire urgente. »
Les sourcils de Bái Xù se froncèrent à cette interruption impolie. Quel manque flagrant de courtoisie, même pour quelqu’un ayant une requête ! pensa-t-il avec mécontentement.
Le jeune homme, remarquant la légère crispation sur le visage de l’érudit, esquissa un sourire arrogant. Une lueur de fierté passa dans ses yeux alors qu’il poursuivait d’un ton glacial :
« Je vais être direct, Monsieur Bái. Nous venons de la montagne Lù Cāng. Il serait imprudent pour nous de rester trop longtemps en ville. J’espère que vous comprendrez notre situation. »
Malgré ses paroles, le ton et l’attitude du jeune homme ne trahissaient aucune trace de supplication. Derrière lui, ses deux compagnons posèrent une main sur la garde de leurs épées, leurs regards laissant entendre qu’ils étaient prêts à intervenir au moindre signe de résistance.
Le simple nom de « Mont Lù Cāng » fit se glacer le sang de Bái Xù. Tout le monde à Hángzhōu connaissait cette montagne, repaire notoire d’une bande de bandits redoutés. Leur réputation de pilleurs invincibles s’était répandue dans toute la région de Jiangnan. Jamais il n’aurait imaginé que ces individus puissent débarquer un jour chez lui, un simple érudit.
Un frisson lui parcourut l’échine, et son esprit s’embrouilla sous l’effet de la peur. Totalement pris au dépourvu, il balbutia : « Je… Je suis désolé. Je ne savais pas… Vraiment pas… »
La panique alourdissait sa voix, rendant ses mots hésitants. Lui, un homme habitué aux joutes intellectuelles et aux élégances littéraires, se retrouvait maintenant démuni face à la brutalité de cette confrontation.
Ayant saisi la raison du bégaiement de Bái Xù, le jeune homme répondit avec une indifférence teintée d’assurance :
« Ne vous inquiétez pas, monsieur. Nous ne sommes pas là pour votre argent. Nous avons réellement besoin de votre aide. »
Ces mots, bien que rassurants, n’apaisèrent que partiellement l’érudit. Pourquoi une bande de bandits aurait-elle besoin de lui ? Toujours aussi troublé, Bái Xù répondit avec prudence : « Je ne suis pas certain de pouvoir vous aider… »
Visiblement agacé par le ton maniéré et les paroles soigneusement choisies de l’érudit, le jeune homme fit un geste brusque de la main, comme pour balayer ces fioritures. « Ne vous embêtez pas à réfléchir trop longtemps, monsieur. Dites-moi simplement : auriez-vous une chambre secrète dans votre maison ? »
(N/T : Petit info sur la façon dont Bái Xù s’exprime – Dans la Chine ancienne, la différence de langage entre une personne éduquée et une personne non éduquée était très marquée. Bái Xù incarne parfaitement l’archétype de l’érudit chinois, utilisant un langage extrêmement poli, maniéré, humble et fleuri, qui correspond à l’image classique des lettrés. Bien que cela reflète son éducation, ce style peut parfois sembler excessivement raffiné, voire déroutant pour ses interlocuteurs. En revanche, Lù Cāng, plus direct et pragmatique, n’a aucune patience pour ces manières et s’exprime de façon concise, sans détour. La dynamique entre ces personnages met en évidence ce contraste culturel. Un point amusant à noter : Jing, un autre personnage, ne s’embarrasse jamais de ce type de langage érudit, même lorsqu’il s’adresse à des intellectuels. Cela ne veut pas dire qu’il en est incapable (notamment lorsqu’il discute politique ou aborde des sujets sérieux), mais plutôt qu’il méprise les conventions sociales et préfère parler franchement. (づ ̄ ³ ̄) づ)
« Une chambre secrète ? » Bái Xù fronça légèrement les sourcils. Une question aussi incongrue lui sembla absurde. Il n’était qu’un simple lettré vivant modestement. Comment aurait-il pu posséder une chambre secrète ?
Le jeune homme, remarquant l’hésitation sur le visage de Bái Xù, reprit d’un ton détendu mais insistant : « Ce n’est pas un problème si vous n’en avez pas. Conduisez-moi simplement à votre chambre principale. »
(N/T : Maisons chinoises – Dans la Chine ancienne, les maisons (des personnes modérément riches à riches) étaient construites selon un style de « cour », et non comme un bâtiment unique. Elles se composaient de nombreuses maisons séparées, chacune comportant une ou deux pièces, séparées par un jardin et une cour. Les couloirs étaient extérieurs, bien que couverts, et les différentes sections de la maison, telles que la chambre du maître et les quartiers des serviteurs, étaient séparées par des murs et reliées par des portes. En gros, une vaste cour avec de petites maisons distinctes et des étangs de Feng Shui, etc.)
Bái Xù fut stupéfait par cette demande. Pourquoi un bandit des montagnes voudrait-il entrer dans ma chambre à coucher ? Ne me dites pas qu’il y a un trésor chez moi dont j’ignore l’existence !
« Ah… Ah, ah… » Bái Xù sortit enfin de ses pensées. Affichant une expression sombre, il répondit rapidement : « C’est bon, c’est bon. C’est tout à fait convenable, tout à fait convenable. »
À ces mots, les sourcils du jeune homme se détendirent légèrement. Faisant signe aux deux hommes derrière lui, il ajouta : « Attendez ici. Si je ne reviens pas dans deux heures… » Il lança un regard menaçant à Bái Xù, savourant la peur qu’il éprouvait.
« Par ici, je vous en prie, cher invité », dit Bái Xù d’un ton respectueux. Sachant qu’il ne pouvait se permettre de froisser le chef des bandits, son attitude devint immédiatement courtoise et polie.
En traversant le couloir, Bái Xù conduisit le jeune homme vers l’arrière-cour. Il remarqua, du coin de l’œil, l’expression grave sur le visage du jeune homme, comme s’il était préoccupé par quelque chose. Cela fit froncer les sourcils de Bái Xù.
En quelques instants, ils arrivèrent à la chambre de Bái Xù, cachée au milieu d’un petit bosquet de bambous verts.
Conduisant le jeune homme dans la chambre intérieure, Bái Xù le regarda fermer la porte, puis la verrouiller avec précaution. Un sentiment de nervosité s’empara de lui, ne sachant pas exactement ce qu’il allait faire.
« Avec quoi, voulez-vous exactement que je vous aide… ? » demanda Bái Xù en retirant distraitement sa robe extérieure et en la jetant sur le lit. Mais, lorsqu’il se tourna, la scène qui se présenta à ses yeux le glaça de peur.
Le jeune homme avait déjà dénoué son épée et jeté sa robe extérieure sur la chaise voisine. Il était désormais concentré sur la ceinture de son pantalon…
« Ah… ! Invité, que… Que faites-vous… » Pris au dépourvu et choqué, Bái Xù laissa échapper un cri involontaire.
Mais le jeune homme ne répondit pas. Il se contenta d’enlever son pantalon, puis de détacher sa robe intérieure et de la poser de côté. Faisant un geste discret vers l’intérieur de sa cuisse, il dit : « Monsieur, pourriez-vous jeter un coup d’œil à cela… »
Bái Xù, tremblant de peur, suivit du regard la direction du doigt du jeune homme…
Il sentit qu’il allait s’évanouir. Il était un homme parfaitement versé dans la littérature et la poésie, il avait de ce fait déjà lu au sujet d’individus bizarres qui prenaient un malin plaisir à se déshabiller devant d’autres personnes, surtout si c’était pour montrer leurs parties intimes… Cependant, il ne s’attendait pas à l’existence d’une sous-catégorie qui choisissait délibérément leur propre victime… Et ça dans le but qu’ils les matent.
Bái Xù détourna immédiatement le regard, d’une voix tremblante, il lui dit : « Invité, vous… Vous me faites une mauvaise blague. Je-Je ne suis pas une jeune femme… »
« Une jeune femme ? De quoi parlez-vous ? Que devrais-je montrer à une jeune femme ? Je suis ici pour que vous m’aidiez à examiner… » Dit-il tout en s’approchant de Bái Xù.
Bái Xù ne lui laissa pas le temps de finir, avant qu’il ne crie : « Invité… Invité… Vous vous trompez de personne ! Je ne fais pas partie des manches coupés*… Je n’aime pas cette pratique… D’un sursaut de peur, il s’effondra sur le lit, se recroquevillant face au malheur qu’il allait sûrement subir…
(N/T : Duànxiù (断袖) — Le terme « cut sleeve » (manche coupée) fait référence à une ancienne expression chinoise utilisée pour décrire l’homosexualité. L’origine de cette expression remonte à une histoire dans laquelle un homme aurait coupé sa manche plutôt que de déranger son ami endormi. C’est devenu un euphémisme poétique pour désigner l’homosexualité dans la littérature chinoise.)
« Que… ? ‘Manche coupée’ ? De quoi parlez-vous ? » Perplexe, le jeune homme s’arrêta devant lui. J’ai juste besoin de votre aide pour déchiffrer les caractères* de ce sceau. »
(N/T : Non, Lu Cang n’est pas illettré. La calligraphie chinoise est un art extrêmement complexe, qui comprend de nombreux styles différents, souvent influencés par l’époque à laquelle ils ont été créés. Certains styles — notamment ceux utilisés pour graver les sceaux (appelés « zhuanshu » ou style des sceaux) — sont très artistiques et stylisés, ce qui les rend difficiles à déchiffrer sans expertise. Ainsi, même une personne alphabétisée peut avoir du mal à lire certaines formes de calligraphie ancienne ou décorative.)
« Ah, vraiment ?… » Bái Xù abaissa lentement les bras qui protégeaient sa tête. Puis, à moitié convaincu, il dirigea son regard vers l’intérieur de la cuisse du jeune homme, près de son scrotum. À sa grande surprise, à la lueur vacillante d’une bougie, il distingua une minuscule marque nichée sur la peau couleur miel.
« Vous… Vous me demandez de lire l’inscription ? » Bái Xù poussa un long soupir de soulagement, bien qu’un léger trouble subsistât dans son regard.
« Eh bien, que pensiez-vous que je vous demandais de faire ? » Le jeune homme fronça les sourcils avec irritation, son expression sombre prenant des allures légèrement menaçantes.
« Oh… » Les craintes de Bái Xù s’apaisèrent un peu, et il continua avec hésitation : « Ah, c’est donc cela… » Tout en parlant, il tendit la main pour effleurer la petite marque, cherchant à déchiffrer les mots gravés.
« Que faites-vous ? ! » Le jeune homme recula brusquement à son contact, comme s’il avait été brûlé. Réalisant aussitôt que sa réaction était excessive, il ajouta précipitamment, d’un ton plus calme : « Je vais le faire moi-même. »
Rougissant sous l’embarras, il étira doucement la peau autour de la petite marque, s’approchant un peu plus pour mieux la lire.
« Je suis désolé de déranger le maître pour si peu… » murmura-t-il, sa voix teintée d’un mélange de gêne et de respect.
Bien qu’ils aient la même anatomie, Bái Xù était fasciné de voir cet endroit d’aussi près. Ce qui était inhabituel, c’étaient les ecchymoses rondes dispersées sur cet endroit qui ne voyait jamais le soleil, comme si quelque chose l’avait sournoisement mordu. Bái Xù jeta un regard en coin, vers le visage rempli d’amertume du jeune homme, du coin de l’œil, et ne put que faire comme s’il n’avait rien vu, réprimant le sentiment étrange qui montait dans sa poitrine. En examinant de près la petite marque, il constata que certains mots étaient écrits en xiǎo zhuàn*, et étaient incroyablement complexes. Ce serait un vrai défi de déchiffrer les mots, pour ceux qui n’étaient pas versés dans l’art de la gravure des sceaux. Il commençait enfin à comprendre pourquoi ce bandit des montagnes était venu le voir, lui, l’expert dans le domaine de la gravure.
(N/T : « Xiǎo zhuàn » (小篆), littéralement « petits sceaux », est une ancienne forme de calligraphie chinoise standardisée sous le règne de Qin Shi Huangdi (秦始皇), premier empereur de Chine, en 221 av. J.-C. Cette écriture, issue de la période des Royaumes combattants, est reconnaissable à ses lignes fines, allongées et harmonieusement incurvées. Elle servait principalement à graver des sceaux ou des inscriptions sur bronze.)
Quand il releva enfin la tête, le jeune homme demanda avec empressement : « Maître, avez-vous réussi à déchiffrer les mots ? »
Bái Xù était en pleine réflexion. Lentement, il répondit, « D’après ce que je sais, cette marque comporte deux mots ’Jìng Xǐ’. »
Avant qu’il n’ait fini, une d’épiphanie frappa le jeune homme. Aussitôt, une rage meurtrière s’empara de lui. « Donc, le nom de ce salaud est Jìng Xǐ ! » grogna-t-il avec une haine palpable.
Jetant un regard au maître, il remarqua que ce dernier semblait vouloir ajouter quelque chose. Mais avant qu’il ne puisse parler, le jeune homme afficha un visage terrifiant.
« Si un mot de ce qui s’est passé ici aujourd’hui sort de votre bouche, je veillerai à ce qu’aucun poulet ni chien de cette maison n’en sorte vivant ! »
Après avoir proféré cette menace glaciale, il ne prêta plus attention à Bái Xù. Il se dirigea calmement vers la chaise où étaient posés ses vêtements, s’habilla avec une élégance féroce, puis quitta la chambre, son pas empreint d’une puissance contenue.
Bái Xù observa sa silhouette s’éloigner en secouant légèrement la tête. Il était sur le point de lui dire que, dans le langage des sceaux, Xǐ* était un mot utilisé spécifiquement pour désigner les sceaux réservés à la famille royale. Et le nom de l’empereur actuel… N’était-ce pas justement Jìng* ?
(N/T : « Xǐ » (玺) désigne un sceau impérial. Le terme fait généralement référence au sceau royal par excellence, un énorme bloc de jade gravé, symbolisant l’autorité suprême de l’empereur. C’est ce sceau que l’on utilisait pour approuver les édits, les pétitions ou les documents officiels de l’État. Bien qu’on pense souvent à ce sceau en particulier — massif, impressionnant et chargé de pouvoir symbolique —, tout sceau utilisé par l’empereur peut techniquement être appelé « xǐ ».)
(N/T : Le nom personnel de l’empereur, aussi appelé « nom tabou » ou « nom interdit », ne doit jamais être prononcé à voix haute. Dans la tradition impériale chinoise, il est considéré comme un affront grave — voire un crime — de nommer l’empereur par son prénom. Seule sa mère (et parfois son père s’il est encore vivant, ce qui est rare) est autorisée à l’utiliser. Tous les autres doivent s’adresser à lui en disant « Sa Majesté », « l’Empereur » ou tout autre titre qu’il aurait expressément autorisé. Cette coutume remonte à l’Antiquité et a été observée tout au long des dynasties, bien qu’avec quelques exceptions (comme l’empereur Qianlong des Qing).)
Mais, après tout, il n’avait aucune obligation morale de partager cette information.
Une satisfaction subtile émergea en lui alors qu’il repensait à la scène. Répondre à l’impolitesse du jeune homme par une ruse indirecte faisait naître un sourire discret sur ses lèvres.
De son côté, le jeune homme, inconscient des pensées de Bái Xù, était tout à la joie d’avoir résolu ce qu’il considérait comme un grand mystère. Il retourna d’un pas vif dans le hall d’accueil, appela ses disciples, puis quitta la maison des Bái.
Sur le chemin du retour, il serra les poings, le regard déterminé.
Oh, Jìng Xǐ, Jìng Xǐ, odieux violeur… Si je ne mets pas fin à ta vie de mes propres mains, moi, Lù Cāng, je jure que je ne remettrai plus jamais les pieds dans le Jiāng hú* !
(N/T : Jianghu (江湖), littéralement « fleuve et lac », est un terme chinois utilisé pour décrire un monde de fiction associé aux arts martiaux, aux aventures et aux intrigues. C’est un concept souvent exploré dans la littérature, le cinéma et la télévision chinoise, mettant en scène des héros errants, des maîtres d’arts martiaux et des aventuriers.)
Inutile de dire que ce jeune homme était Lù Cāng, le roi des bandits de la montagne. L’horriblement malchanceux qui avait été pris de force par l’empereur coercitif*, nommé Jìng, qui s’était déguisé en femme. Depuis qu’il avait été humilié par Jìng, il n’y a pas eu un seul moment où il n’avait pas passé son temps à comploter sa vengeance.
(N/T : Le terme « coercitif » fait référence à quelque chose/quelqu’un qui exerce une contrainte, une pression sur une autre.)
Il avait lui-même essayé de dechiffrer le nom de son ennemi à partir du sceau entre ses jambes. Chaque jour, il passait donc des heures à essayer de lire cette marque en utilisant un miroir placé entre ses cuisses. Mais déchiffrer cette calligraphie complexe et sinueuse était presque impossible pour un artiste martial comme lui, qui n’avait qu’un niveau rudimentaire d’éducation.
À bout de patience et de désespoir, il n’avait eu d’autre choix que de recourir à une méthode sournoise : demander l’aide du célèbre maître graveur de Hángzhōu, Bái Xù. Et finalement, après bien des efforts, il avait obtenu une réponse.
Pourquoi ? Pourquoi ai-je dû m’abaisser à une chose aussi humiliante ?
Il serra les poings, la rage grondant en lui. Pourquoi me suis-je rendu chez un inconnu pour exposer la partie la plus intime de mon corps à cet étranger ? Ces pensées tourbillonnaient dans son esprit, attisant une colère qui ne cessait de croître. Lù Cāng sentit même ses yeux se remplir de larmes, signe de la frustration qu’il ne parvenait plus à contenir.
Les dix derniers jours avaient été une véritable épreuve. Une haine brûlante lui embrasait le cœur, le plongeant dans un calvaire quotidien. La région qui avait été souillée et pénétré de force était gravement déchirée, ce qui provoquait des saignements constants. Ses blessures rendaient toute toilette douloureuse, le forçant à se laver discrètement dans le lac de la montagne, uniquement au beau milieu de la nuit.
La douleur, vive et incessante, émanait de la zone marquée. Pourtant, il n’avait d’autre choix que de vérifier, encore et encore, cette marque maudite avec un miroir, comme s’il était soumis à une torture sans fin.
Mais tout cela n’était rien comparé à l’humiliation ultime.
Depuis que son intimité avait été souillée par cet homme monstrueux, il avait remarqué quelque chose de terrifiant : son corps semblait ne plus lui obéir. Son attribut masculin, autrefois fier et puissant, était désormais flasque, sans vie. Désespéré de prouver qu’il était toujours normal, il avait envisagé de recourir aux services d’une célèbre courtisane de Jiāngnán.
Cependant, à chaque fois, les souvenirs horribles de ce jour le rattrapaient, paralysant son esprit et son corps. Il n’avait pas pu aller au bout de son projet.
Et lorsqu’il avait été moqué cruellement pour son impuissance, la honte et la colère avaient failli le submerger.
Cette pensée seule suffisait à lui serrer la gorge et à raviver les larmes qu’il luttait si ardemment pour contenir.
Tout ceci était l’œuvre de cette bête monstrueuse !
Lù Cāng ressassait ces souvenirs, son esprit envahi par une haine viscérale et un dégoût si profond qu’il sentait son corps frémir. À chaque instant, il se projetait dans un futur où il pourrait enfin assouvir cette vengeance, une vengeance qui dépasserait l’entendement humain. Il n’avait plus qu’à attendre… Attendre jusqu’au quinzième jour de ce mois. Une nuit de pleine lune.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

0 Commentaire