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    Yiwon était en retard.

    Il filait à toute vitesse dans les rues, les poumons en feu à chaque inspiration alors qu’il se hâtait vers sa destination. D’ordinaire,il ne se serait pas autant pressé, ni soucié d’avoir à marcher un peu plus, mais son retard actuel ne lui en laissait pas le luxe. Il aurait peut-être dû attendre le prochain tram quand le sien est tombé en panne. Mais… non, il n’en avait pas les moyens. Chaque centime comptait.

    Jetant un œil à la montre usée à son poignet, Yiwon puisa dans ses dernières forces et se mit à courir à pleine vitesse. Il n’était qu’à un arrêt de là ; il pouvait y arriver. Évidemment, c’est à ce moment-là que le vent décida de se lever, fouettant ses joues d’un froid mordant. « Fous-moi la paix », marmonna-t-il entre ses dents, tête baissée, refusant de ralentir. Les bâtiments défilaient dans un flou indistinct tandis qu’il ne regardait presque plus devant lui.

    Et une fois de plus, il était en retard.

    Il ne remarqua l’homme grand devant lui qu’au moment où l’impact devint inévitable. Dans les quelques secondes précédant la collision, Yiwon était sûr qu’il allait rentrer de plein fouet dans ce pauvre type et envoyer valser le téléphone qu’il tenait à la main. Il se prépara au choc.

    Mais au lieu de ça, il y eut une inspiration rapide, un pas de côté habile, et soudain, une poigne ferme vint encercler la taille de Yiwon. Une nausée brutale lui monta à la gorge.

    Ce n’était pas que les réflexes de l’homme n’étaient pas impressionnants, ni que ce n’était pas gentil de l’avoir empêché de s’étaler en pleine rue ; mais le bras qui le retenait fermement le plaquait aussi contre le torse de son sauveur, et la pression lui donnait franchement envie de vomir.

    « Désolé… » haleta-t-il en levant les yeux. Puis en les levant encore. C’est là qu’il réalisa à quel point l’autre homme était grand. Il était rare que Yiwon croise quelqu’un de plus grand que lui, et ce gars-là devait bien le dépasser d’une tête.

    Quand enfin son regard atteignit le visage du mystérieux inconnu, Yiwon eut l’impression que son cerveau buggait. Il n’arrivait pas à détacher les yeux de sa chevelure blond platine, éclatante, qui lui retombait sur le front, ondulant légèrement au vent. Il secoua la tête, força ses yeux à descendre… pour croiser des prunelles d’un gris argenté qui le fixaient sans détour — et il se sentit de nouveau couler.

    Il y avait quelque chose de résolument prédateur dans ce regard. Des images de loup gris parcourant la toundra sibérienne envahirent l’esprit de Yiwon, et il eut soudain du mal à respirer.

    « Ça va ? » demanda l’homme, rompant le charme de cette étrange scène figée.

    « Ouais… ouais, ça va. » Yiwon se rendit compte qu’il n’était plus maintenu par l’autre et recula d’un bond. Un bref sourire effleura les lèvres de l’inconnu avant de disparaître, mais son regard de loup resta rivé sur lui. Il avait l’immobilité d’une statue de marbre, presque luminescent sous la lumière diffuse du nord, et Yiwon ne pouvait s’empêcher de se demander ce que faisait un type en costume ultra chic et énorme manteau de fourrure dans une ruelle aussi miteuse.

    Des canines bien nettes apparurent entre ses lèvres pleines lorsqu’il esquissa un sourire en coin, et Yiwon réalisa qu’il le fixait avec une insistance plutôt impolie.

    « Vraiment, je suis désolé », bredouilla-t-il.

    « Aucun souci. »

    Le regard de l’homme cloua Yiwon sur place un instant. Comme si ses yeux ne suffisaient pas, sa voix élégante et son aura intense achevèrent de le déstabiliser.

    « Bon, eh bien… au revoir. » Ce n’était pas la sortie la plus gracieuse, mais Yiwon n’avait qu’une envie : partir. Il fit volte-face et s’éloigna d’un pas rapide.

    « Attendez. »

    Yiwon se figea, puis se retourna, perplexe.

    « Vous devriez penser à vous acheter des lunettes de soleil. »

    Yiwon cligna des yeux. Pardon ? Il était presque certain que le regard de l’autre n’avait pas bougé d’un millimètre ; il continuait à le transpercer de la même intensité, ce qui rendait toute réflexion difficile. Des souvenirs flous lui revinrent à propos de la lumière UV réfléchie par la neige, dangereuse pour les yeux.

    L’hiver en Russie durait quasiment la moitié de l’année, donc c’était peut-être juste un conseil banal, entre hommes. Mais… pourquoi ? Aucun des deux ne portait de lunettes de soleil. Pourquoi dire ça à quelqu’un qu’on vient littéralement de heurter dans la rue ? Et puis, les yeux clairs (comme le gris ! pensa Yiwon en grommelant intérieurement) étaient plus sensibles, alors vraiment, ça n’avait aucun sens. Il se rappela cependant que les Russes avaient tendance à faire des remarques ou donner leur avis à n’importe qui, sans se soucier du degré de familiarité, et il rejeta la remarque comme une simple habitude culturelle.

    Il afficha un sourire qu’il espérait vaguement poli, se retourna et décida d’oublier toute cette rencontre. Puis, il jura et se remit à courir.

    Cette fois, il allait être vraiment en retard.

    L’homme blond n’avait pas bougé d’un pouce, le regard toujours rivé sur Yiwon qui s’éloignait à toute allure. Il porta de nouveau son téléphone à son oreille, une voix déformée demandant ce qu’il se passait.

    « Dmitri. Oui, je suis là. Un imprévu. Non, tout va bien. »

    Il laissa échapper un petit rire, les yeux toujours fixés sur l’endroit où Yiwon avait disparu.

    « Une véritable incarnation du porno. »


    « Tu es complètement con ou quoi ? On t’a dit de foutre le camp d’ici aujourd’hui ! Dégage, bordel ! »

    Des hommes hurlaient, renversaient les tables, balançaient des chaises, détruisaient tout ce qui leur tombait sous la main. Une femme était recroquevillée dans un coin, sanglotante, se tassant autant que possible contre le mur. Un petit attroupement s’était formé autour du vacarme, mais personne n’intervenait.

    Les types s’en prenaient maintenant aux assiettes et aux verres, les envoyant valser au sol dans une sorte de jubilation sauvage. Le bruit assourdissant du verre brisé résonnait dans tout l’espace.

    « On t’a prévenue ! On t’a dit que si tu ne voulais pas qu’on t’égorge, tu avais intérêt à disparaître ! » cria l’un d’eux en s’approchant de la femme. « Peut-être qu’un peu de bon sens, ça se cogne dans le crâne, hein ? Une bonne raclée, ça devrait faire l’affaire ! »

    Il leva le poing, ce qui déclencha des exclamations choquées dans la foule.

    Mais le coup ne partit jamais. L’homme tourna la tête, surpris de sentir son bras figé en l’air. Une ombre gigantesque l’enveloppait soudainement.

    « C’est quoi ce délire ?! »

    Il se retourna un peu plus — et aperçut une silhouette, dos au soleil, dont les traits restaient indiscernables dans la lumière aveuglante.

    Il fallut quelques battements de paupières pour que sa vue s’ajuste et qu’il comprenne que l’étrange silhouette penchée sur lui était celle qui retenait son bras.

    L’inconnu était plutôt grand, mince mais pas frêle — une musculature élégante parfaitement mise en valeur par un costume sur mesure, qui soulignait les lignes délicates de son visage. Ses cheveux noir de jais aux reflets bleu cobalt et ses yeux d’un noir profond n’avaient rien de slave. Il était clairement métis, sinon carrément étranger.

    Les yeux sombres se plantèrent dans les siens. Et tout ce que le type réussit à penser, c’est que c’était la personne la plus belle qu’il ait jamais vue. Peut-être même la plus belle du monde. Était-il censé ressentir ça pour un homme ? Est-ce qu’un homme avait le droit d’être aussi beau ? Il n’avait jamais utilisé le mot érotique pour parler d’un type, mais là, c’était le seul mot qui lui venait. Il suffisait d’un regard pour fondre entre ses mains.

    L’homme aux cheveux noirs ne prêta aucune attention à l’expression hébétée de celui qu’il tenait. Il avait l’habitude.

    « L’extorsion est un crime, » dit-il d’une voix calme. « Je vous conseille de passer par les voies légales si vous voulez obtenir quelque chose. »

    « H-hein… ? »

    L’autre était encore sonné, tout comme ses acolytes, restés figés par la scène. Il fallut un moment avant qu’ils reprennent leurs esprits et se mettent à crier à leur tour.

    « Ivanov ! Putain, qu’est-ce que tu fous ? Dégomme-le ! »

    Mortifié, Ivanov tenta un coup de poing maladroit avec son autre bras, mais il n’eut pas le temps d’aller bien loin. L’homme en face lui tordit brutalement le bras dans le dos, le faisant grimacer de douleur.

    Les autres restèrent un instant sidérés par la scène, puis se ruèrent enfin au secours d’Ivanov, les poings en l’air.

    Le bel inconnu repoussa Ivanov au sol et se mit en position, prêt à encaisser la suite.

    De nouveaux soupirs choqués s’élevèrent parmi les badauds qui assistaient à la scène, médusés. Un homme contre quatre — et pourtant, le combat était à sens unique.

    L’homme aux cheveux noirs esquiva souplement un dernier coup de pied avant d’enfoncer le sien entre les jambes de son adversaire. Les voyous s’enfuirent en geignant, l’air bien plus amochés qu’en arrivant.

    Le nouveau venu les observa déguerpir, s’assurant qu’ils étaient vraiment partis avant de redresser la veste de son costume et de faire craquer sa nuque. Il se retourna ensuite pour chercher la femme toujours réfugiée dans un coin.

    Elle était restée exactement là où elle s’était accroupie, et elle sursauta lorsqu’ils échangèrent un regard. Son visage était livide. Il s’approcha lentement, la main tendue pour l’aider à se relever, un sourire avenant aux lèvres.

    « Vous allez bien ? Je suis désolé d’être arrivé en retard. Mon tram est tombé en panne, j’ai dû courir le dernier pâté de maisons. »

    La femme regarda sa main sans la prendre, hésitante. Son regard glissa vers le haut. Les cheveux de l’homme, humides de sueur, collaient à son front.

    « Vous… » Elle hésita, déglutit, puis reprit : « Vous savez ce que vous venez de faire ? Vous savez qui c’étaient ? »

    « J’ai saisi l’essentiel, mais je serais ravi d’en apprendre plus. »

    L’expression de la femme devint méfiante.

    « Vous ne saviez même pas ce qui se passait, et vous avez foncé en plein milieu d’une bagarre ? Mais qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? »

    « Je refuse de laisser des brutes faire la loi, » répondit-il calmement. « Ils ont eu ce qu’ils méritaient. Œil pour œil, dent pour dent, violence pour violence. »

    Toujours sur la défensive, la femme se releva lentement, en ignorant la main qu’il lui tendait.

    « Mais pourquoi m’avoir aidée ? Pourquoi êtes-vous ici ? »

    Elle se raidit quand il glissa la main dans sa veste, mais il ne sortit qu’une carte de visite toute neuve qu’il lui tendit. Elle la prit, intriguée, et lut ce qui y était inscrit.

    « Excusez-moi de ne pas m’être présenté plus tôt. Vous avez appelé mon cabinet hier. Je suis Jeong Yiwon. Prénom Yiwon, nom de famille Jeong. »

    Ses yeux s’écarquillèrent sous le coup de la surprise. Il lui adressa un sourire modeste.

    « Je suis avocat. »


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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