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    Les matinées à Tóng’ān n’étaient pas si différentes de celle d’Hángzhōu.

    L’auberge qu’il avait choisie était située juste à côté d’une rue très fréquentée. Lù Cāng, qui s’était réveillé tôt le matin, s’était très vite habitué à la prospérité de cette cité impériale de Dà tóng.

    Tout en se frottant ses yeux fatigués, Lù Cāng s’habilla avec les quelques vêtements qu’il avait et alla se mettre devant une fenêtre qui donnait directement sur la rue en contrebas où se trouvait un marché. Les rues étaient bondées, avec de nombreuses femmes qui étaient venues tôt pour faire leurs courses et des marchands qui déposaient leurs paniers remplis de légumes devant leurs étals, attirant les clients en criant dans un dialecte nordique* que Lù Cāng comprenait à peine.

    La forte fragrance des petits-déjeuners, préparés dans un étal de l’autre côté de la rue, venaient lui chatouiller les narines vague après vague.

    Cependant, cette scène de vie quotidienne ensoleillée et joyeuse était incapable de remonter le moral d’un Lù Cāng dont la poitrine était remplie jusqu’au sommet de sombres pensées.

    Hier, dans une petite maison située dans une ville inconnue, a eu lieu un contact physique qu’il ne pourrait que décrire comme cruelle, entre lui et le bel homme dont il ne connaissait pas le nom complet. De manière plus crue, Lù Cāng s’est, pour la deuxième fois, fait xxx* par le même homme…

    C’est en effet hallucinant que des choses improbables, comme celui-ci, n’arrivait toujours qu’à lui, un souverain hors-la-loi largement reconnu dans tout le sud de Wulin*. Il n’est donc pas surprenant que Lù Cāng, avec une aussi haute estime de lui-même, ait du mal à accepter la situation.

    Même s’il avait du mal à accepter la situation, il n’avait pas le courage de partir sur un coup de tête vers Hangzhou, située à mille milles* d’ici, sur un simple élan d’héroïsme. Il devait un minimum s’assurer que la drogue que cet homme avait utilisée sur lui était bel et bien ce qu’il prétendait être.

    Il plongea sa main dans les plis de ses vêtements, quand celle-ci rentra en contact avec la boîte richement ornée qui contenait la pilule. Ce serait peut-être mieux s’il essayait le médicament…

    Et si tout ça était faux…  ?

    Plus il y pensait, plus il se disait qu’il y avait de fortes chances que ce soit le cas. Une étincelle d’espoir s’éveilla dans le cœur de Lù Cāng. Après avoir repensé aux comportements de l’étrange bel homme, il est possible que celui-ci ait utilisé une simple pilule comme leurre.

    Rien que de penser à comment il tremblait sous l’effet de la drogue, alors que cet homme sans vergogne se cachait quelque part, probablement en train de se moquer de lui, fit monter en lui une colère dominante, submergeant toutes ses pensées.

    « Il faut que tu te calmes… Calme-toi…  », se répéta-t-il comme un mantra, tandis qu’il prit sa décision :

    Il serait judicieux de trouver un chien et d’essayer la drogue sur lui. Si c’est faux, tant mieux pour moi ; je pourrais rapidement m’échapper de cet endroit dépréciatif et retourner à la montagne.

    Après avoir pris sa décision, il n’hésita plus. Il termina rapidement sa routine matinale puis quitta précipitamment l’auberge pour trouver le cobaye idéal sur lequel il allait tester la drogue.

    C’est seulement après avoir déambulé dans les rues de Tóng’ān que Lù Cāng réalisa que son plan infaillible, n’était pas si infaillible que ça. Malgré la grandeur de Tóng’ān, il était rare de voir des chiens dans les rues. Les deux seuls chiens qu’il avait aperçus étaient en laisse, se faisant promener par des serviteurs. Bien qu’il soit confiant dans sa capacité à gérer ces roturiers sans compétence en arts martiaux, dérober des chiens à des gens en plein jour était quelque chose que sa fierté ne pouvait tout simplement pas accepter.

    Après avoir tourné en rond, sans but, il finit par céder à l’impatience. Il interpella un vieil homme au hasard qui se promenait.

    « Monsieur, pouvez-vous me dire pourquoi, bien que Tóng’ān soit si vaste, je ne vois ni chats, ni chiens ? »

    Le vieil homme scruta Lù Cāng, puis lui demanda, «  J’ai l’impression que vous n’êtes pas d’ici, jeune homme. »

    « Je suis arrivé hier d’Hángzhōu. » 

    “Alors, ça s’explique… Le mois dernier, l’empereur a émis un décret. Pour des raisons d’hygiène à Tóng’ān, les familles qui n’ont pas de serviteurs dédiés aux soins des chiens n’ont pas le droit d’en élever un…  » À en juger par l’expression du vieil homme, celui-ci semblait être en accord avec le décret de l’Empereur Jìng Zōng.

    « Quoi ? », s’exclama Lù Cāng, ne pouvant plus se contenir. Son âme tourmentée, qui à ce stade était trop fragile pour supporter ces attaques répétées.

    Après avoir dit au revoir au vieil homme, il retourna à l’auberge, la tête baissée et désespéré. Il soupira face à toute la malchance qu’il subissait.

    Alors qu’il passait dans une étroite ruelle, ses yeux se posèrent soudainement sur une boule de poil, d’un brun-roux cannelle…

    N’est-ce… N’est-ce pas ce qu’il cherchait depuis ce matin ? ! Un chien, qui de plus avait une belle fourrure. Celle-ci était douce et brillante. Ça se voyait que ce n’était pas un chien errant. Le fait qu’il soit sans surveillance est un vrai miracle. Ces yeux s’illuminèrent, et son visage se remplit de joie.

    C’était trop parfait ! !

    Dans un élan de joie assez sauvage, il se jeta directement sur le chien. Bien qu’on pourrait considérer ce chien comme menaçant, qu’aurait-il pu faire face au kung-fu de Lù Cāng ? En seulement deux, trois mouvements, le chien fut capturé. Il le souleva comme un sac à patate et l’emmena vers l’auberge.

    Ne pensant qu’à sa propre poire, Lù Cāng ne fit donc pas attention à ce qui se trouvait autour de lui. La maison devant laquelle il avait  « récupéré » le chien était délimité par d’énormes murs et sur le fronton* était suspendu une grande bannière dorée sur laquelle était écrit « Le manoir Ducal des Tóngxīn*. »

    En effet, ce chien bien aimé, nommé Fúqī, appartenait justement aux résidents de ce manoir. Le résident en question était un homme riche, puissant et « au-dessus de tous les autres* », n’était nulle autre que le frère royal de l’empereur actuel.

    Comptant sur le fait que personne n’avait le courage de toucher le chien de la famille Tóngxīn, le serviteur en charge de celui-ci l’avait laissé se balader librement. Malheureusement, le chien fut simplement « ramassé » par un Lù Cāng qui venait tout juste d’arriver en ville. Pour lui, le chien était une bénédiction du ciel…

    Bien sûr, les gens autour de lui reconnurent le chien royal des Tóngxīn. Ainsi, en voyant Lù Cāng se promener dans les rues avec Fúqī sous le bras, il eut des curieux qui allèrent à toutes jambes rapporter les faits au manoir ducal et ça en quête d’une récompense.

    Ne sachant rien de tout ça, Lù Cāng continua sa route jusqu’à l’auberge avec sa « bénédiction ». Arrivé, il se dirigea directement vers sa chambre et il s’y enferma.

    Lù Cāng attacha rapidement le chien sur la table, puis fourra un morceau de tissu dans la gueule de l’animal, qui s’était à ce moment-là mis à aboyer frénétiquement. Il se frotta les mains, satisfait, tout en regardant le chien se débattre comme un forcené. « Ah, mon cher toutou, je n’ai vraiment pas envie de faire ça. Tout ceci est de la faute de ce foutu Jing Xi…  »

    Il sortit la pilule vert émeraude de ses vêtements, puis il s’approcha du chien…

    Le chien, sentant qu’il lui voulait du mal, prit peur. Mais à ce moment-là, Lù Cāng ne ressentit aucune peine pour l’animal dans son cœur. Il prit une grande inspiration avant d’enfoncer la pilule à l’intérieur du chien qui se mit à gémir…

    Il eut de la résistance au début. La petitesse du « canal » du chien n’était pas faite pour être pénétrée par des doigts humains. Mais comme il était allé trop loin, il était trop tard pour faire marche arrière. Il saisit le courage qu’il lui restait et prit une autre inspiration avant d’enfoncer davantage son doigt.

    Lù Cāng sentit le chien trembler en dessous de lui. S’il ne lui avait pas muselé, il serait probablement en train d’aboyer comme si le ciel lui tombait dessus. Lù Cāng sentit la bille lui monter en bouche, il avait l’impression d’avoir avalé un truc pourri. Tout ceci le mettait mal à l’aise.

    « Sois maudit, je veux que tu crèves !  Je te hais du plus profond de mon âme. Tu m’as poussé à faire ceci ! » Non seulement les grands yeux du chien étaient remplis de larmes, à cause de la douleur qu’il lui faisait subir, mais Lù Cāng était aussi au bord des larmes.

    Pourquoi… Mais pourquoi…  ? En vingt-et-un ans de vie, Lù Cāng n’a qu’entendu des acclamations et des éloges.  Depuis le jour où il a commis le plus grand vol de tout Jiāngnán. À ses dix-huit ans, il est devenu un célèbre « hors-la-loi* » aux yeux du public. Malgré tout ce palmarès, que faisait-il ici ? Et pourquoi faisait-il tout ça à ce pauvre chien ? !

    Il bouillonnait de colère face à la situation dans laquelle il se trouvait. Poussé par la colère, il enfonça son doigt plus loin. Sentant la pilule fondre, il se dépêcha de retirer son doigt. Quelle drogue étrange, aussi étrange que son propriétaire… Elle fond dès qu’elle est bien placée !

    Mais, à l’instant suivant, le visage de Lù Cāng perdit toute couleur : le doigt qu’il avait enfoncé avec peine à l’intérieur du chien… Était coincé.

    Les entrailles abusées du chien, qui avait atteint leur limite, se contractèrent d’un coup. Se resserrant et emprisonnant le doigt de Lù Cāng. Bien qu’il puisse retirer son doigt en utilisant de la force brute, il ne le fit pas de peur de tuer le chien. Tout l’effort qu’il aurait fourni cette matinée, ne serait-il pas vain ?

    Poussé par ces pensées, il fit de son mieux pour libérer sa main, peu importe la manière dont il s’y prenait puisque chaque tentative se résolvait en échec. Sa main resta bloquée dans une position inconfortable, car il était dans l’incapacité de se mouvoir.

    Fin de l’avertissement.

    Soudain, des cris retentirent de derrière sa porte. C’était comme s’il y avait un attroupement qui se dirigeait à son étage. J’espère qu’ils ne sont pas là pour moi… Si ?

    Alors que ces pensées lui traversaient l’esprit, il essayait encore désespérément de retirer son doigt… Mais plus il paniquait, plus la situation devenait catastrophique ; il lui était maintenant impossible de bouger le doigt ne serait-ce qu’un iota.

    Il y a un proverbe qui dit que « Quand une personne a de la malchance, même en buvant de l’eau froide, elle peut se coincer les dents* ». Cela décrivait parfaitement sa situation. De plus, le bruit irritant, mais persistant, s’arrêta pile devant sa porte. Puis avec un « Clang ! » et la porte fut défoncée. Les hommes se retrouvèrent face à l’homme qui se trouvait à l’intérieur…

    Ces hommes se figèrent. Et pour la première fois de sa vie, Lù Cāng eut qu’une envie, s’était de disparaître. Le visage de Lù Cāng pouvait rivaliser avec celui d’un cadavre. À en juger par l’expression du jeune homme qui se trouvait devant lui, celui-ci était richement vêtu et semblait être à la tête du groupe, Lù Cāng était sûr qu’il avait traumatisé (à vie). 

    « Que… Qu’est-ce que tu faisais…  » Dit le jeune homme après ce qu’il paraissait de millier d’années, d’une voix tremblotante et incrédule face à scène qui se déroulait devant lui.

    « Ah… Euh… J’étais juste… Juste…  », Lù Cāng semblait avoir contracté un affreux bégaiement, se retrouvant dans l’incapacité de formuler ne serait-ce qu’une phrase.

    « Sale monstre ! Comment oses-tu voler le chien adoré de mon seigneur ? ! » Un serviteur sortit soudainement de derrière le jeune homme. Puis, il attrapa la main de Lù Cāng et tenta en vain de retirer la main de celui-ci. « Retire ta sale main ! »

    Alors c’est donc lui, le maître du chien… À en juger par la posture droite et la dignité de l’homme qui se tenait devant lui, ainsi que l’aura aristocratique qui émanait de lui, cet homme devait surement faire partie de la royauté ou était un noble… Il me semble que le serviteur l’a appelé « seigneur »…

    Le serviteur tenta de nouveau de retirer sa main, mais cette fois-ci avec plus de force. Mais avec si peu de force, comment aurait-il pu réussir ? Les sourcils du jeune maître se froncèrent face à cette situation des plus étranges.

    « Vite, attachez-lui les mains et ramenez-le au manoir ! Nous réglerons cette histoire là-bas. Évitez de me mettre la honte ici…  »

    « Aiya, que faites-vous ? J’essayais juste… Juste de…  » Son regard se posa sur la foule qui pouvait à tout moment l’engloutir, mais Lù Cāng ne se laissa pas faire et se débâta comme un forcené. Malheureusement, que pouvait-il faire avec une main fasse à dix gardes impériaux hautement entraînés. Inutile de dire qu’il a fini ligoté comme un dumping.

    « Mettez-le dans le palanquin* ! Ne laissez personne dans la rue le voir ! », ordonna le jeune homme en se retournant avant de descendre les escaliers. Lù Cāng fut poussé et traîné puis les autres lui emboîtèrent le pas.

    Forcé à l’intérieur du palanquin, il fut transporté le long du chemin cahoteux jusqu’au manoir ducal. Arriver, il fit tirer hors de la voiture, avant d’être attaché mains et pieds liés à un pilier. Un état bien pitoyable, me diriez-vous.

    « Sir, comment allons-nous le punir ? », demanda un garde quand il eut fini de ligoter leur malheureux prisonnier.

    Zhēng* fronça les sourcils alors qu’il scruta l’homme confus en face de lui. L’homme avait de beaux yeux et des sourcils finement tracés, il possédait aussi une silhouette bien proportionnée… Il n’avait pas vraiment l’apparence d’un méchant…

    Mais quand son regard glissa vers sa main, toujours enfoui à l’intérieur de son chien bien-aimé, il changea bien vite d’avis.


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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