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    Josh s’assit sur le lit et enfouit sa tête dans ses mains. Il était dans cet état depuis qu’il avait couché Pete, plusieurs heures plus tôt. Mais peu importe le temps qui passait, ses pensées revenaient toujours au même point.

    « … Tu n’as pas vraiment envie non plus, n’est-ce pas ? Nous non plus. »

    La voix de Mark perça le brouillard dans son esprit. Ce n’est qu’alors que Josh, qui jusque-là n’avait fait que soupirer, laissa échapper un souffle bloqué dans sa gorge.

    « En fait, ça fait déjà une semaine que la proposition est arrivée… Mais je me doutais que tout le monde allait refuser, alors j’ai failli décliner moi aussi. Cela dit, les conditions sont vraiment bonnes. Ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit une telle somme… Miller claque son fric sans compter. »

    Josh n’avait besoin que d’une seule chose : de l’argent. Bien sûr qu’il devait accepter. Tout le monde l’aurait félicité pour une opportunité pareille. Dieu avait sans doute mis toute son énergie à façonner le corps de Chase Miller, avant de se désintéresser complètement de sa personnalité. Josh se rappela cette remarque cynique et esquissa un sourire amer.

    Mark se gratta la tête en silence.

    « Mais tu sais aussi bien que moi que c’est pas simple. Ce type… Il est difficile à gérer. Immature, capricieux. Rien d’étonnant, ceci dit. Tu crois que c’est pour rien que la demande a traversé tout le pays jusqu’à nous ? Tout le monde l’a refusée. Peu importe la somme, c’est Miller. Rien que pour ça, on hésite. Mais puisque tu dis être pressé par l’argent… Y a pas d’autre mission qui paiera autant. Si tu acceptes, bien sûr. La décision te revient. »

    Josh inspira profondément avant de demander :

    « Tu en as parlé aux autres ? »

    « Oui, je les ai tous appelés avant de venir. Je leur ai donné les grandes lignes, ils ont dit qu’ils allaient réfléchir. »

    Josh se souvenait encore de leurs insultes et de leurs refus véhéments. Et pourtant, à en croire Mark, ils n’avaient pas tous été si réticents.

    Est-ce qu’eux aussi ont des problèmes urgents, comme moi ?

    Il resta silencieux, troublé, et Mark reprit :

    « Ce serait pour une durée de trois à six mois. S’il faut prolonger, ils paieront un supplément. Si t’es pressé, vois ça comme une opportunité. Et si tu acceptes, ça aidera les autres à se décider aussi. Toute l’équipe devra y aller, de toute façon, alors ne te mets pas trop de pression… »

    Il lui conseilla encore une fois d’y réfléchir, puis s’éloigna.

    Depuis, Josh n’arrêtait pas de cogiter.

    Pourquoi… Pourquoi fallait-il que ce soit lui ?

    La réponse était évidente. Peu de gens étaient prêts à dépenser autant pour leur sécurité.

    Et Josh avait désespérément besoin de cet argent sale. C’était une réalité qu’il ne pouvait pas ignorer. Peu importe combien de fois il retournait la situation dans sa tête, il aboutissait toujours à la même conclusion.

    Lorsque le ciel commença à s’éclaircir, il s’était enfin résolu à accepter ce qu’il savait déjà : il n’avait pas le choix.

    Six mois, maximum. Il ne laisserait pas prolonger le contrat. Mark se débrouillerait pour trouver quelqu’un d’autre.

    Il attendit que Mark soit arrivé au bureau pour l’appeler. Sa première question fut :

    « Tu as eu des nouvelles des autres ? Combien ont accepté ? J’imagine qu’ils ne se sont pas tous désistés. »

    Un frisson lui remonta la nuque quand Mark répondit :

    « Moi, Seth, Henry et Isaac. »

    Tous, sauf Josh.

    Mark ajouta :

    « Henry s’est encore mis au jeu. Il a tout perdu. »

    Seth avait accepté dès qu’il avait entendu le montant. Isaac, lui, n’avait pas eu le choix : il avait « prêté » de l’argent à Henry, qui avait tout perdu.

    « Henry a tout misé, y compris l’argent d’Isaac. Enfin… C’est leur histoire. »

    Ce n’était pas la première fois qu’Henry le volait. Josh ouvrit la bouche, puis poussa un soupir amer.

    « Je viens aussi. »

    « Bien. Ça fait cinq avec toi, Joshua. »

    Josh savait que Mark avait déjà inscrit son nom avant même qu’il n’appelle. Il n’était ni surpris ni soulagé. C’était, hélas, une évidence. Il raccrocha après avoir demandé à recevoir le contrat par mail. En vérité, tant que l’argent tombait comme promis, les détails lui importaient peu.

    Une fois la décision prise, tout s’enchaîna. Il appela aussitôt sa sœur pour lui parler de son nouveau travail et lui dit de ne pas s’inquiéter, qu’il prendrait tout en charge.

    Heureusement, son poste se trouvait à trois ou quatre heures de route de la maison où vivaient sa mère et sa sœur. Grâce à cela, il pourrait confier Pete à sa famille et venir le voir pendant ses jours de repos.

    « Ne t’en fais pas pour Pete, Josh. Maman est ravie qu’il vienne vivre ici », lui dit Emma d’une voix lumineuse.

    Il poussa un long soupir après avoir raccroché. Le plus gros souci était réglé.

    Restait Pete.

    Il était hors de question que Chase apprenne son existence.

    Josh avait beau y réfléchir, il n’arrivait même pas à imaginer ce qui se passerait si la vérité éclatait. Il aurait dû le lui dire dès qu’il avait découvert sa grossesse. Le faire maintenant ? C’était absurde. Se pointer avec un enfant dans les bras… impensable.

    Ce n’est pas si difficile à cacher. Comme tout le monde, il pense que je suis un Bêta. Et il ne fera jamais attention à un simple garde du corps.

    Josh ne se rappelait même plus comment il avait pu laisser cet homme le marquer.

    « Tu es à moi. Rien qu’à moi. »

    Ces mots oubliés lui revinrent soudain en mémoire. Une douleur sourde lui traversa la poitrine, et, sans s’en rendre compte, Josh fronça les sourcils.


    Il devait laisser son fils chez sa famille ; il partit donc en avance pour les retrouver plus tard sur place, une fois les choses commencées. Cela faisait longtemps qu’il ne les avait pas vus, et il voulait profiter de quelques jours avec eux.

    Il alla dire au revoir à Mme Robert, la remercia sincèrement pour tout et lui promit de rester en contact. Elle serra Pete contre elle avec force, laissant transparaître sans détour sa tristesse.

    Après plusieurs jours de préparatifs éreintants, Josh fut enfin prêt à partir. Il se dirigea vers l’aéroport.

    Quand il monta dans l’avion, un enfant dans un bras et un bagage à main dans l’autre, les expressions des hôtesses devinrent hésitantes. Elles levèrent d’abord les yeux vers Josh avec un sourire lumineux, puis leur regard glissa vers l’enfant, leur sourire se figea un instant… Avant de retrouver aussitôt leur masque professionnel.

    Josh installa Pete dans un siège pour bébé, l’enroula soigneusement dans une couverture, puis lui donna quelques friandises. Satisfait, le petit s’installa sagement sans broncher.

    Alors qu’il plaçait son bagage dans le compartiment, le visage de l’enfant attira soudain son attention. Ses joues rondes et rosées, ses petites lèvres en mouvement… Cette image lui rappela irrésistiblement cet homme.

    Est-ce parce que je sais qu’il est son fils, ou est-ce qu’il lui ressemble vraiment tant que ça… ?

    Il ne pouvait poser la question à personne. Et à chaque fois, Josh devait faire taire cette curiosité tenace.

    Pete ne tarda pas à s’endormir. En essuyant le filet de salive mêlé à un reste de sucre fondu sur ses lèvres, Josh s’interrogea soudain :

    Est-ce qu’il va me reconnaître ? Est-ce qu’il se souviendra de moi ?

    Sans le vouloir, il se remémora leur toute première rencontre — ce regard perçant qu’il avait posé sur lui, ce froncement de sourcils. L’image qu’il gardait de lui n’avait jamais changé.

    Un homme hautain. Un narcissique.

    La plupart des Alphas extrêmes étaient proches du profil sociopathe. Quand leur nature se révélait avant la puberté, ils ne passaient pas par cette fameuse « période de tumulte émotionnel » et risquaient fort de devenir de véritables psychopathes.

    Dans le cas de Chase C. Miller, il s’était manifesté après la puberté. Il connaissait donc les émotions, mais elles semblaient toutes se concentrer sur une seule : la colère.

    Même les psychopathes ressentent de la colère, pensa Josh avec amertume.

    Il faut bien ça pour jouer la comédie, non ?

    Après tout, on ne devient pas acteur sans ressentir la moindre émotion, aussi splendide soit-on. Mais dans son cas, avec ce visage-là, il aurait pu se contenter de rester planté là, sans rien faire.

    Josh se rappela alors une vieille publicité pour du chocolat que Chase avait tournée à cinq ans. Sa toute première apparition. Le pays entier avait été bouleversé. Même aujourd’hui, on en parlait encore parfois. L’enfant qu’il était alors avait réussi à captiver même un garçon comme Josh.

    Il se souvenait à quel point il avait été déçu, en découvrant que c’était un garçon. Et il n’était pas le seul. Tous ces petits garçons de son âge, qui rêvaient d’histoires d’amour avec des filles aperçues à la télé… Tous, ce jour-là, avaient été confrontés à une première désillusion amoureuse d’ampleur nationale.

    Josh, lui, avait découvert que son premier amour ne serait jamais réalisable.

    Et encore aujourd’hui… Chase n’avait pas besoin de jouer. Il suffisait qu’il soit là. Mais Josh s’était souvent demandé : Pourquoi s’imposer ça ? Pourquoi jouer ?

    Jusqu’au jour où il l’avait vu à l’écran.

    Chase Miller se fondait dans ses rôles avec une intensité presque effrayante. Même dans une simple publicité.

    « Oh… »

    Un petit souffle s’échappa de ses lèvres. En levant les yeux, il aperçut le passager assis en face de Pete, complètement absorbé par son écran. Et soudain, sur ce même écran, apparut le visage qui hantait ses pensées.

    Josh en resta pétrifié.

    Oui, comme ça

    Un homme surgissait de la mer, les cheveux trempés, balayés d’un geste lent par ses longs doigts. Son regard violet, intense, fixait l’objectif avec une froideur insondable. Sa bouche, légèrement tordue par un sourire énigmatique…

    Le dieu de la mer était devenu un homme.

    Josh sentit son cœur s’emballer. Et il sut, avec une douleur tranquille, qu’il ne pourrait jamais oublier cet homme. Pas tant que son cerveau resterait intact. Pas même au seuil de la mort.

    L’écran changea, la publicité prit fin.

    Josh, lui, resta figé.

    Le moment où il devrait le revoir approchait.

    Et pourtant… Il aurait voulu tout faire pour le repousser encore un peu.

    Il ferma les yeux.


    «  Josh  !  »

    Emma, qui était venue le chercher à l’aéroport, s’exclama dès qu’elle aperçut son frère et se précipita vers lui.

    Josh portait Pete d’un bras et tirait sa valise de l’autre. Incapable de la serrer en retour, il la laissa simplement l’enlacer.

    Emma enfouit brièvement son visage contre lui comme pour retenir ses émotions, inspira profondément, puis leva les yeux vers lui sans le lâcher. Leurs regards se croisèrent. Josh sourit en premier. Emma éclata de rire. Cela faisait des années qu’ils ne s’étaient pas vus.

    «  Tu es toujours aussi moche.  »

    L’émotion s’arrêta là.


    «  De toute façon, personne ne sait à quel point on a un sale caractère.  »

    Emma grinçait des dents — elle avait déjà répété cette phrase plusieurs fois.

    Assis du côté passager, Josh regardait droit devant lui et répondit avec indifférence :

    «  Fais une queue de poisson*.  »

    «  La ferme, c’est moi qui conduis.  »

    «  Accélère, ce con essaie de nous doubler.  »

    «  Tu veux pas te taire, non  ? ! C’est MOI qui conduis, je te signale  !  »

    En même temps, Emma donna un violent coup de volant, s’insérant brusquement dans la file. Elle fixa la route avec intensité, jurant à voix basse. Encore un mot, et elle était prête à assommer Josh avec le volant.

    Josh se retourna discrètement : Pete roulait des yeux, visiblement angoissé. Josh lui fit un sourire, forma un oiseau avec ses mains et le fit voleter devant lui. Pete éclata de rire et applaudit, serrant fort Jason, sa peluche.

    Pendant ce temps, Emma continuait à marmonner des insultes.

    Les yeux clos, le visage baigné de lumière, Josh sentit enfin qu’il était vraiment rentré.


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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