Chapitre 03
par Ruyi ♡Rien que la répétition m’a intrigué. Elle sonnait bizarrement. Un peu comme une énigme. En même temps, ça réveillait un vague souvenir, quelque chose que j’avais peut-être lu ou entendu auparavant.
Poussé par la curiosité, j’ai cliqué.
[Vous avez déjà entendu parler des alphas latents ? Ces individus naissent avec les marqueurs génétiques alpha, mais leurs traits restent dormants. En général, l’« éveil » survient à l’adolescence, déclenché par l’exposition aux phéromones d’un oméga. Mais il arrive, rarement, que ce processus se produise bien plus tard. Une fois éveillés, ils subissent des transformations si radicales qu’on parle parfois de « super ultra alphas ».]
Je connaissais déjà cette légende urbaine. Un truc qui circulait dans les forums spécialisés : une sous-catégorie d’alphas dits « hyper-dominants », si rares qu’on les comparait à des créatures mythiques. Leur existence même était débattue.
Un super ultra alpha, hein… ?
Je me suis surpris à imaginer à quoi ils pouvaient ressembler. Deux mètres de haut. Carrure de bodybuilder. Et leur… Truc devait aussi être gigantesque, non ?
(Note de Ruyi : Une arme blanche le truc… (ᓀ ᓀ) )
Je me perdais dans ces pensées absurdes quand un cri strident déchira l’air.
Tout le monde dans le restaurant sursauta. Les visages se tournèrent vers les vitres comme un ballet bien rodé. À travers la buée, on distinguait à peine ce qui se passait dehors. Profitant de ma place près de la fenêtre, j’ai passé la manche de mon manteau sur le verre pour y voir plus clair.
Sous les lampadaires, une scène se dessinait clairement de l’autre côté de la rue.
Un jeune homme était au sol, les cheveux épars. Un autre, plus grand, campait au-dessus de lui, le dominant de toute sa masse. L’alpha attrapa une poignée de cheveux, fit pivoter la tête de l’oméga sans ménagement, puis le projeta violemment sur le côté.
Je ne pouvais pas entendre ce qu’il disait, mais son expression parlait d’elle-même. Un rictus mauvais, satisfait. L’oméga au sol avait les joues rouges — pas de gêne, ni de froid — non, c’était une chaleur bien plus familière. Une chaleur qui ronge de l’intérieur.
Il était en chaleur.
Et l’alpha, lui, libérait ses phéromones sans retenue. C’était une agression.
Je regardai l’oméga haleter, les paupières tremblantes, les mâchoires serrées. Il résistait de toutes ses forces, mais son corps commençait déjà à réagir.
Un frisson d’angoisse grimpa le long de ma nuque. Je connais cette sensation. Trop bien.
Mon estomac se contracta.
Presque malgré moi, je me levai et sortis du restaurant.
L’air froid me frappa aussitôt. La route à quatre voies me parut immense, infranchissable. Et si ses phéromones me touchaient aussi ? Je n’étais pas protégé. Pas maintenant. Pas sans mes inhibiteurs.
« U-Ungh… Laissez-moi tranquille ! » cria l’oméga.
Sa voix déchira la nuit comme une lame, m’atteignant de plein fouet. Je fis un pas. Puis un autre.
L’alpha l’attrapa encore, plus violemment cette fois. L’oméga se débattait, désespéré, accroché au bitume gelé comme si sa vie en dépendait. Autour d’eux, trois types riaient. Des amis de l’agresseur, apparemment. Aucun ne bougeait pour l’arrêter.
Mon regard fut attiré par les doigts de l’oméga, crispés, les jointures blanchies, s’agrippant aux fissures du trottoir.
Je sentis mes jambes se tendre, prêt à courir. Mais avant même que je bouge, tout bascula.
Une ombre traversa la rue.
Un bruit sourd.
Le grand alpha fut projeté en arrière, comme une poupée de chiffon. Il s’écrasa contre le sol, roula, puis glissa jusqu’au milieu de la route.
Tuuut tuut—
Des klaxons stridents et des crissements de pneus éclatèrent dans l’air. Une voiture s’arrêta de justesse, manquant de le percuter. Autour de moi, la foule s’agita, fascinée par le chaos.
Je ne compris pas tout de suite ce qui s’était passé. Mais les regards convergeaient tous vers le même point.
Un homme venait d’apparaître à côté de l’oméga.
Grand. Imposant. Il se tenait là, immobile, tel une statue de marbre. À première vue, il aurait pu passer pour un simple spectateur. Mais sa présence écrasait tout autour de lui. Il dégageait une autorité naturelle, presque royale. Sa carrure, accentuée par une doudoune bordée de fourrure, rappelait celle d’un lion prêt à bondir.
Son visage, d’une neutralité glaçante, inspirait autant la crainte que le respect.
Un alpha dominant.
Mon instinct me souffla cette vérité avant que je ne la comprenne pleinement. Même si ses phéromones ne m’atteignaient pas, je fis un pas en arrière, suffoquée par son aura.
Les camarades du type projeté se précipitèrent pour l’aider. L’un d’eux tenta d’ouvrir la bouche face au nouvel arrivé. Mais l’alpha ne dit rien. Il avança d’un pas.
Ce fut suffisant.
Les autres reculèrent comme des chiens grondés, le visage tendu d’humiliation. Quelques rires nerveux s’élevèrent dans la foule — probablement des bêtas, fascinés par cette démonstration de force.
Moi, je ne riais pas.
Je connaissais trop bien ces jeux de domination. Aujourd’hui vainqueur, demain vaincu. Mais je ne pouvais détourner les yeux de lui.
Quand il tourna les talons, je retins mon souffle, redoutant absurdement qu’il me remarque. Il s’approcha d’un taxi qui venait de s’arrêter, ouvrit la portière et y installa doucement l’oméga. Il referma sans un mot.
Quelques passants s’étaient regroupés autour, comme s’ils le connaissaient. Lui souriait-il ? Je ne pouvais le dire. En un instant, il disparut dans la foule.
De retour à ma table, mon ramyeon avait refroidi. Le kimbap aussi. Je mâchai machinalement, incapable de chasser une question de mon esprit :
Quel goût a la vie, quand on est né pour dominer ?
De vivre sans peur, comme lui ?
La soupe me brûla la langue. Je secouai la tête.
Arrête. Ce genre d’homme et moi…
… N’appartenons pas au même monde.
— Aujourd’hui, le 5 décembre —
Chaque mois de décembre m’apportait ce même sentiment de soulagement. Le simple fait de savoir que l’année touchait à sa fin me procurait une étrange sensation de liberté. Mais cette année, c’était différent. Cette année, je retournais enfin à l’école.
Cela faisait trois ans que j’avais mis mes études entre parenthèses, comme si je fuyais ce monde-là. Avec du recul, cette pause s’était révélée être une bénédiction déguisée. Grâce à l’argent que j’avais patiemment économisé en deux ans de travail, j’avais pu aider ma famille à traverser une crise l’année précédente. Notre maison avait échappé à la saisie, et ma mère n’avait pas eu à risquer sa santé en reprenant un travail physique.
Le seul revers, c’est que cet argent était initialement destiné à mes frais de scolarité. Une fois mes économies épuisées, j’avais été contrainte de repousser mon retour à l’université d’une année supplémentaire. Mais je ne regrettais rien. Absolument rien.
Le 1er décembre, j’ai quitté la maison de mon oncle à Pohang pour rentrer chez mes parents. J’avais envisagé de rester jusqu’à la rentrée afin de continuer à travailler à l’entrepôt, mais un simple appel de ma mère a tout fait basculer.
« Si les notes de Yura sont aussi catastrophiques ce semestre, elle n’aura qu’à tout laisser tomber et venir vivre à la campagne. Elle pourra se consacrer à répandre du fumier dans les rizières au lieu d’user ses yeux sur des manuels. »
J’avais éclaté de rire en l’entendant menacer ma sœur sur ce ton. Mais en y repensant, c’était moi qui risquais de finir dans les champs. Cela faisait trois ans que je n’avais pas ouvert un seul manuel. Très vite, la panique m’a gagnée, et je suis retournée à Séoul précipitamment, bien décidée à reprendre pied.
Officiellement, c’était pour étudier. Mais au fond, je voulais retrouver une part de moi-même. Redevenir cette étudiante ordinaire que j’avais été, avant que tout ne s’arrête.
Dès mon retour à Séoul, je me suis mise à chercher un petit boulot pour financer ma scolarité. Même ce geste anodin m’a donné l’impression de reprendre ma vie en main. Et, à ma grande surprise, j’ai trouvé rapidement un emploi bien payé.
L’endroit où je devais travailler se situait là où s’était tenue une immense opération de construction quelques années plus tôt. Le quartier avait complètement changé. Des gratte-ciels de plus de cinquante étages s’élevaient de chaque côté d’une route à huit voies, parfaitement lisse. Entre les immeubles de bureaux et les résidences de luxe, s’étendaient des lacs artificiels, de grands parcs, des fontaines, des pelouses immaculées. Les maisons de ville haut de gamme semblaient sorties d’un autre monde.
« Ce quartier a tellement changé », dis-je à mon nouveau patron, le propriétaire du restaurant.
« C’est la première fois que vous venez dans le Royaume ? », me demanda-t-il.
« Le Royaume ? »
« Vous n’avez jamais entendu ce nom ? Tout le monde appelle ce quartier comme ça. La plupart des bâtiments appartiennent à un seul homme. »
« Tout ce complexe ? », demandai-je, incrédule.
« Non », dit-il avec un sourire en coin. « Toute cette partie de la ville. »
Je suis restée un instant sans voix, puis j’ai murmuré :
« Alors… C’est vraiment un royaume. »
« C’est ça. Même la grande roue là-bas lui appartient. »
Une grande roue ? Ah, celle-là. Je l’avais aperçue depuis le bus, au bout de l’avenue. Cette immense structure métallique semblait presque déplacée parmi les tours de verre et d’acier, comme un vestige d’un parc d’attractions perdu au milieu de la modernité. Maintenant que j’avais entendu le mot « royaume », je ne pouvais m’empêcher de la voir autrement — comme une couronne posée sur la tête de la ville.
Et qui dit couronne… Dit forcément prince, non ?
« Tu es toujours sûre de ne pas vouloir bosser en salle ? » insista le patron avec un petit sourire.
Je secouai vivement la tête. « Je préfère largement rester en cuisine. »
Il poussa un soupir compréhensif. « Je comprends. Tu es une oméga, après tout. Et dans un quartier aussi huppé, les alphas sont légion. Cela dit, avec un visage comme le tien, tu ferais fureur auprès des clients… Tu as déjà pensé à essayer les nouveaux suppresseurs ? Il paraît qu’ils sont redoutablement efficaces. »
« Ceux à 70 000 wons l’unité ? » J’arquai un sourcil. « Si vous les payez, je veux bien les prendre. »
« … Bon, la plonge, ce sera très bien. » Il détourna le regard en marmonnant.
(Note de Ruyi : Mdrrrr, comment il a vite retiré sa proposition (ノ= ⩊ = ) ノ)
« Tu as d’autres questions ? »
« Oui… Pourquoi embaucher spécifiquement des étudiants de la W University ? » demandai-je, curieuse. C’était cette mention dans l’annonce qui m’avait poussée à postuler.
Le patron se pencha vers moi, presque comme s’il allait me révéler un secret d’État.
« C’est une exigence de notre propriétaire. Il a… Une certaine affection pour les étudiants de WU. »
Je hochai lentement la tête, incapable de dire si je devais trouver ça attendrissant ou inquiétant.
Il faut sans doute un esprit un peu… Original pour bâtir un empire immobilier. Et des préférences très personnelles pour le gérer.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・
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