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    Un collégien sortit de l’entrée d’un immeuble, les yeux rouges et gonflés, visiblement après avoir pleuré.

    «  Tonton,   » appela-t-il en direction d’une grande silhouette un peu plus loin.

    L’homme se retourna — c’était Kim Shin.

    «  Tu t’es fait gronder ?  » demanda-t-il à son neveu.

    «  Maman n’arrête pas de crier parce que je ne prends pas mes pilules de suppression comme je devrais,   » grogna-t-il.

    « Ah, et elle m’a dit de te dire d’entrer.  »

    «  Je ne peux pas rester très longtemps… Qu’est-ce que c’est, ça ?  »

    Le neveu de Kim Shin venait de lui tendre un petit sachet en plastique.

    «  Ce sont les herbes de suppression que l’oméga-hyung de la bibliothèque m’a données.  »

    Kim Shin ouvrit le sachet et observa son contenu. Les herbes à l’intérieur — qui ressemblaient à des algues séchées — semblaient précieuses : elles étaient enveloppées dans un deuxième sachet en plastique, plus fin, et protégées par un mouchoir soigneusement replié.

    «  C’était tellement dégoûtant que j’ai failli vomir,   » dit le collégien en grimaçant, comme si le goût lui restait encore en bouche.

    «  Avec toutes les pilules qui existent aujourd’hui, j’avais jamais vu quelqu’un avaler des herbes comme ça.  »

    Le garçon continua de parler des reproches de sa mère, mais son oncle ne l’écoutait déjà plus. Toute son attention restait fixée sur le sachet qu’il tenait entre les mains.

    En voyant que son oncle était resté étrangement figé, le collégien tenta de le rassurer :

    «  T’inquiète pas, tonton, ce sont bien des herbes de suppression. J’allais les jeter, mais Maman a dit que je ne pouvais pas, parce qu’il y a un mouchoir dedans.  »

    Kim Shin leva enfin les yeux vers lui.

    «  Et ça vient de l’oméga de la bibliothèque ?  »

    «  Oui,   » confirma le garçon en hochant la tête.

    Kim Shin referma la main sur le sachet en serrant le plastique mince autour du mouchoir avec force. On aurait dit… Qu’il tremblait.

    «  Je dois les lui rendre,   » reprit le collégien. «  Mais je ne sais même pas comment faire—  »

    «  Je vais les lui rendre.  »

    «  Tu le connais ?  »

    Kim Shin ne répondit pas, mais un sourire se dessina lentement sur ses lèvres. Ce n’était qu’un sourire, mais le collégien comprit aussitôt que son oncle était de très bonne humeur. Son regard aussi avait changé : il brillait d’une excitation palpable.

    «  Il s’est passé quelque chose de bien ?  » demanda-t-il.

    Une fois encore, son oncle se contenta de sourire en silence.

    Kim Shin était un homme calme et réservé — au point que la mère du collégien avait un jour confié qu’il lui faisait un peu peur. Mais peut-être parce que son neveu était le seul oméga masculin de la famille, il ne lui avait toujours témoigné que douceur et bienveillance. Pourtant, le garçon ne l’avait jamais vu avec une expression aussi paisible.

    «  Rentre à l’intérieur,   » dit simplement Kim Shin, se détournant pour partir, sans ajouter un mot.

    Mais le collégien, lui, avait encore envie de discuter.

    «  Tu vas les lui rendre comment, les herbes ?  » demanda-t-il, tentant de prolonger la conversation.

    «  Tu ne sais même pas où il habite, cet oméga, non ?  »

    Kim Shin lui lança un regard par-dessus l’épaule, un sourire au coin des lèvres.

    «  Maintenant si.  »


    Les alphas ne représentaient qu’une petite portion de la population mondiale, mais on en croisait à tous les coins de l’université W.

    Les Bêtas qui y étudiaient étaient d’abord fascinés d’en voir autant, eux qui, au lycée, n’en avaient souvent rencontré qu’un ou deux tout au plus. Mais cette fascination ne durait jamais bien longtemps — dès l’instant où ils comprenaient que tous ces alphas étaient aussi leurs concurrents, l’admiration laissait vite place au découragement, voire à la frustration.

    Il faut dire que les capacités physiques hors normes des alphas n’aidaient pas. Certes, les résultats scolaires dépendaient surtout des facultés intellectuelles, mais une endurance presque illimitée restait un avantage considérable.
    Là où les bêtas et les omégas luttaient pour rester concentrés plus de quelques heures, les alphas pouvaient garder leur attention focalisée des jours entiers, sans même dormir.

    Résultat : la plupart des bêtas abandonnaient l’idée de rivaliser avec les alphas dès la fin de leur première année. Certains, plus lucides, acceptaient très tôt leurs limites et tentaient plutôt de se lier d’amitié avec eux.

    Dohyung, étudiant de première année, n’appartenait à aucune de ces catégories. Pour lui, l’université n’était qu’un tremplin vers un bon emploi après l’obtention de son diplôme. Son objectif principal, c’était d’étoffer son CV tout en mettant de l’argent de côté grâce à des petits boulots. Les alphas ? Il s’en fichait éperdument.

    Un jour pourtant, il reçut une demande de service de la part d’un alpha. Une commission un peu étrange, sans doute parce qu’il travaillait parfois comme assistant au département des sciences sociales. Il avait hésité à accepter, mais il était hors de question de dire non à l’assistant du professeur qui lui avait demandé ce coup de main. Et puis, on lui avait promis que ce serait simple et qu’il serait payé.

    C’est ainsi que Dohyung se retrouva en route vers le bâtiment d’un club pour y rencontrer l’alpha à l’origine de la demande. Il ravala son amertume — les alphas vivaient décidément dans un autre monde : ils pouvaient se permettre de payer d’autres étudiants pour faire leurs corvées.

    Mais à quelques pas de sa destination, il s’arrêta net en apercevant une énorme voiture garée devant le bâtiment.
    C’est un tout-terrain, ça…  ?

    D’autres passants eurent la même réaction. Tous fixaient le véhicule, stationné au milieu des autres comme un prédateur ancien tapi dans les ombres.

    «  Putain…   » souffla quelqu’un. «  C’est un Rover.  »

    Plus tard, Dohyung apprendrait qu’il s’agissait d’un Range Rover. Sur le moment, il ne comprenait pas pourquoi les gens s’émerveillaient autant. Il ignora simplement le pincement amer qu’il ressentait et se contenta d’accepter que les alphas avaient largement les moyens de conduire ce genre de voitures.

    Décidé à expédier cette affaire au plus vite, il frappa à la porte de la salle du club.

    Il s’était imaginé que l’intérieur serait aussi somptueux que le palais de Versailles… Mais la pièce n’était pas si différente des autres lieux qu’il avait déjà vus. Elle était certes plus spacieuse, mais ceux qui s’y trouvaient dégageaient une présence bien plus marquée que les étudiants des clubs ordinaires. Il hésita un instant, incapable d’entrer tout à fait.

    Dohyung pensait pourtant s’être habitué aux alphas, à force de les croiser tous les jours sur le campus de W.U.
    Mais dès qu’il posa les yeux sur ceux qui l’attendaient, tous ses muscles se tendirent et un frisson glacial lui remonta la colonne. Il avait la sensation d’être encerclé par une meute de loups, sans la moindre échappatoire.

    Cette réaction le dérouta. Ces hommes avaient beau être des alphas, ils n’en restaient pas moins humains. Et il n’y avait aucune raison pour qu’ils lui fassent du mal.

    Ce n’est que plus tard que Dohyung apprendrait que les quatre hommes étaient tous des alphas dominants. Mais même sans le savoir, l’un d’eux se distinguait nettement des autres.

    Contrairement aux trois qui étaient assis, celui-ci était adossé au mur, les yeux rivés sur son téléphone. Il était immense. Et bien qu’il ne lui ait accordé aucun regard, la simple aura qu’il dégageait suffisait à glacer Dohyung sur place.

    Il finit par avancer dans la pièce, incapable de poser les yeux sur le grand alpha.

    «  C’est toi, le première année des sciences sociales ?  » demanda l’un des alphas assis.

    «  Oui,   » répondit Dohyung.

    Il avait déjà vu cet alpha quelque part — un étudiant en commerce dont tout le monde à l’université vantait la beauté exceptionnelle. Un jour, en le croisant avec un ami dans les couloirs de W.U., ce dernier lui avait confié qu’il y avait un autre dieu vivant dans ce département, encore plus beau, mais qui avait pris une année sabbatique.
    À l’époque, Dohyung s’était dit que si quelqu’un était plus séduisant que l’alpha qu’ils venaient de croiser, alors oui, on pouvait bel et bien le qualifier de divin*.

    Cette pensée lui revint, et sans même s’en rendre compte, son regard dériva vers l’alpha adossé au mur.
    Ne me dis pas que c’est lui…

    «  Assieds-toi,  » dit l’étudiant en commerce en désignant une chaise. «  Je peux te tutoyer ? On est tous en deuxième année.  »

    «  Euh, oui, bien sûr,   » acquiesça Dohyung en s’installant maladroitement au bord du siège.

    Il jeta un rapide coup d’œil aux trois alphas assis face à lui. Tous le fixaient avec insistance, et il déglutit avec difficulté.

    «  L’assistant m’a dit que vous aviez un travail pour moi…  ?  »

    «  Tu bosses bien à la boutique de la bibliothèque, pas vrai ? Donc tu dois croiser pas mal d’étudiants plus âgés, y compris de ton département.  »

    Des aînés…  ? Dohyung se remémora quelques visages familiers qu’il croisait régulièrement à la bibliothèque, avec qui il échangeait parfois un simple bonjour.

    «  Oui, mais je suis pas sûr qu’ils soient là aujourd’hui,   » répondit-il, un peu hésitant.

    «  Alors va les chercher.  »

    «  Maintenant ?  »

    «  Oui,   » confirma l’étudiant en commerce.

    «  Demande-leur s’ils connaissent un certain Song Yeonwoo. Et s’ils le connaissent, essaie de savoir quel alpha l’a poussé à quitter l’université. C’est cette information qu’on veut.  »

    Song Yeonwoo… C’était la première fois que Dohyung entendait ce nom.

    Qu’est-ce qu’il a bien pu faire pour que quatre alphas dominants s’intéressent à lui ?

    «  Il a fait quelque chose de mal, Song Yeonwoo ?  » demanda-t-il prudemment.

    «  Ça ne te regarde pas,   » trancha une voix grave.

    Courte. Froide. Tranchante.

    Dohyung tressaillit avant même d’avoir pu se retenir. C’était l’alpha adossé au mur qui venait de parler.

    L’un des autres alphas, assis à côté de l’étudiant en commerce, esquissa un sourire en le regardant.

    «  Eh, Kim Shin ne sois pas si dur. Tu vois pas qu’il est à deux doigts de paniquer ?  »

    L’étudiant en commerce sourit à son tour, puis fit un petit signe du menton vers Dohyung.

    «  Va chercher les infos, et appelle-moi après.  »

    Dohyung se leva aussitôt, s’inclina poliment et fila vers la sortie, le cœur battant à tout rompre.

    Derrière lui, les alphas reprirent leur discussion sur un ton plus léger.

    «  Kim Shin, tu avais un regard flippant à l’instant. On aurait dit que tu étais prêt à rouler sur cet alpha avec ton Range Rover.  »

    «  Je croyais que tu l’avais juste sorti pour faire un tour… Tu comptais t’en servir comme arme depuis le début ? Ha ha, pas mal. Faudra que je pense à en acheter un, moi aussi.  »

    Les alphas qui étaient assis rirent de bon cœur, visiblement détendus. Mais celui qu’on appelait Kim Shin, lui, ne disait toujours rien. Il ne riait pas. Il se contentait de fixer la porte, à peine refermée derrière Dohyung.

    Merde. Je suis foutu si je ne trouve rien…

    Il avait déjà complètement oublié la récompense financière. Ce qui comptait désormais, c’était de mettre la main sur la moindre information.

    Par chance, en retournant à la bibliothèque, il aperçut un sunbae célèbre pour sa langue bien pendue et son réseau tentaculaire.

    Habituellement, ce côté bavard agaçait profondément Dohyung, mais cette fois… Il fut presque soulagé de le voir.


    Quelques heures plus tard, Dohyung retourna dans la salle du club des alphas pour leur transmettre tout ce qu’il avait appris. Cette fois, il se retrouva assis juste en face de Kim Shin, et la présence imposante de ce dernier le déstabilisa à tel point qu’il se mit à parler sans interruption, oubliant même de mentionner les détails les plus importants.

    « L’alpha en question était apparemment deux années au-dessus de Song Yeonwoo, et il s’intéressait beaucoup à lui parce que c’était un oméga récessif,  » déblatéra Dohyung. « D’après mon sunbae, cet alpha n’était pas quelqu’un de bien. Il ne se montrait gentil qu’avec Song Yeonwoo. Mais— »

    « Je veux son nom,  » l’interrompit Kim Shin.

    « Ah, le nom de l’alpha, c’est…  » Dohyung déglutit. « Cho Sungkyun. Il a obtenu son diplôme il y a deux ans. Son père aussi est un alpha, un militaire haut gradé, décoré… Apparemment assez connu pour passer à la télé. »

    Le sunbae qui lui avait raconté tout ça était une vraie commère — il lui avait même débité tout un tas d’anecdotes sur le père de Cho Sungkyun. Mais Dohyung avait encore assez de lucidité pour ne pas tout répéter aux alphas. De toute façon, Kim Shin dégageait cette aura étrange, comme s’il pouvait découvrir la vie entière de Cho Sungkyun — jusqu’au nombre de cuillères dans sa cuisine — juste à partir de son nom.

    « Quoi d’autre ? » demanda Kim Shin.

    « Le sunbae m’a aussi dit que l’un des aînés avec qui Cho Sungkyun traînait était un alpha dominant, et— »

    « Épargne-nous les détails inutiles. »

    L’avertissement, bref et grave, fit frissonner Dohyung. Quand il reprit, sa voix était devenue aussi fragile et prudente que des pas sur du verre brisé.

    « D-D’accord,  » dit-il. « Mon sunbae m’a raconté que Song Yeonwoo était très mal à l’aise avec Cho Sungkyun, mais il faisait comme si tout allait bien parce que ce dernier l’avait aidé plusieurs fois. Et puis, à la fin de l’année scolaire, il y a trois ans, il s’est passé quelque chose entre eux. Song Yeonwoo ne serait jamais allé à un rendez-vous si c’était Cho Sungkyun qui lui avait demandé, alors il a probablement utilisé quelqu’un d’autre pour le faire sortir. »

    « Et quand exactement, à la fin de l’année ? »

    « Je… Je sais juste que c’était fin décembre…  »

    « Le trente-et-un,  » murmura Kim Shin. Ses mots avaient la texture d’un souvenir, comme s’il repensait à un événement ancien. Dohyung n’osa pas ajouter quoi que ce soit. Il attendit en silence, et fut récompensé quelques instants plus tard, quand Kim Shin releva les yeux pour demander :

    « Si ce n’était pas Cho Sungkyun qui avait contacté Song Yeonwoo, alors c’était qui ? »

    Son ton était parfaitement calme, et pourtant, il glaça Dohyung jusqu’à la moelle.

    « U-Un autre oméga,  » répondit-il. « À l’époque, lui et Song Yeonwoo étaient les deux seuls omégas mâles récessifs du département, donc ils étaient proches. Quand il lui a proposé de se voir, Song Yeonwoo a accepté sans se méfier. Il a évité le pire de justesse. »

    « Comment ça ? »

    « Euh…  »

    « Dis-le. »

    « Je… Je ne suis pas sûr. La personne qui m’a raconté tout ça ne connaissait pas non plus les détails. Mais… J’ai entendu dire que Song Yeonwoo avait soudainement disparu, et que Cho Sungkyun s’était mis à le chercher comme un fou. On aurait dit qu’il avait perdu la tête. Et… Et il aurait dit qu’il avait « perdu la proie sur laquelle il avait passé dix mois…  » »

    Kim Shin ne montra aucune réaction. Il ne s’énerva pas, ne fronça même pas les sourcils. Pourtant, Dohyung sentit une peur sourde s’insinuer en lui, comme si une lame froide venait se poser contre sa gorge. Il n’avait rien fait de mal, mais il n’arrivait pas à soutenir le regard de Kim Shin en poursuivant :

    « Mon sunbae pense que c’est assez clair ce que Cho Sungkyun voulait faire. Qu’est-ce qu’un alpha pourrait bien faire d’autre à un oméga, hein…  »

    La pièce resta figée dans un silence oppressant, comme si le temps lui-même avait cessé d’exister. On n’entendait même plus une respiration.

    Dohyung n’osait pas lever les yeux. Ce n’était pas seulement la peur : il avait le sentiment profond qu’il n’avait pas le droit de croiser le regard de Kim Shin. L’atmosphère était si tendue qu’il avait l’impression de marcher sur des lames.

    Il venait à peine d’avaler sa salive difficilement quand une voix finit par briser le silence.

    « Tu peux y aller. »


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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