Chapitre 12
by Ruyi ♡« Tu pars à 17 heures aujourd’hui aussi ? » demanda Kim Shin.
On avait fini par aller au café qui se trouvait au premier étage de la bibliothèque, et j’étais en train d’avaler mon repas à toute vitesse pour écourter au maximum le temps passé avec lui. J’étais presque arrivé au bout quand il me posa sa question. Je me dépêchai d’avaler ce que j’avais dans la bouche pour pouvoir répondre, mais j’avais tellement mangé d’un coup que j’eus l’impression d’avaler un caillou, et ma gorge me brûla.
« A-Hem, » toussotai-je, la voix rauque. « Oui, c’est ce qui prévu. »
« Tu avais vraiment faim, on dirait. »
Comme c’était vrai, je répondis simplement :
« Oui, » avant d’engloutir ma dernière bouchée.
Mais une fois terminé…
Mon regard glissa vers l’assiette de Kim Shin, dans laquelle il restait encore un bon tiers de son repas. Je réalisai un peu tard que mon plan avait une faille : même si je mangeais en quatrième vitesse, je ne pouvais pas partir avant qu’il ait fini lui aussi.
Quel crétin…
Kim Shin, lui, avait remarqué que je fixais son assiette.
« Tu veux encore manger ? » demanda-t-il, pensant sûrement que j’avais encore faim, pas que j’essayais de fuir cette situation gênante.
« Non ! Pas du tout, » répondis-je aussitôt. « Comment je pourrais te piquer ta bouffe, hoobaenim ? »
Il sourit franchement.
« Tu peux arrêter de m’appeler comme ça ? »
« Tu n’aimes pas qu’on t’appelle comme ça ? »
« Non, je n’aime pas, » dit-il en secouant la tête avec une petite moue, tout en avalant une cuillère de riz.
C’était un détail, mais il avait l’air tellement mignon que je détournai vite les yeux. Mon regard tomba sur sa main gauche, toujours bandée, posée sur la table, et ma réponse — Tant pis, je vais continuer à t’appeler comme ça toute ma vie — s’évanouit aussitôt. Il s’était blessé pour moi. Le minimum, c’était d’être un peu conciliant.
« Tu veux que je t’appelle comment, alors ? »
« Par mon prénom. »
Ah. Son prénom.
« Tu t’en souviens, au moins ? »
Bien sûr que je me souvenais de son prénom. Même quelqu’un qui ne l’avait vu qu’une seule fois s’en rappellerait. Des décennies pourraient passer que je serais encore capable de me vanter d’avoir un jour croisé un alpha dominant du nom de Kim Shin.
« Je vais t’appeler Kim Shin-hoobae, alors. »
Il me lança un long regard.
« On dirait que c’est difficile pour toi d’abandonner les titres honorifiques… » marmonna-t-il.
« Exactement. Donc autant continuer comme ça, » proposai-je, avec un air innocent.
Kim Shin lâcha un petit rire avant de reprendre sa bouchée.
« Ça ne fait que renforcer ma détermination à te faire arrêter. »
« Je te conseille d’ignorer cette impulsion, » dis-je d’un ton docte, tel le bon sunbae que j’étais. « Franchement, ça ne vaut pas la peine de gaspiller ton énergie pour un truc aussi insignifiant. »
« Ce n’est pas si insignifiant que ça, » répliqua-t-il en prenant une autre bouchée.
Je le regardai sans comprendre, les yeux rivés sur son assiette. Puis, d’un coup, je compris, et la chaleur me monta au visage. Il avait sans doute dit ça juste pour être gentil, mais je détournai tout de même la tête, feignant de m’intéresser au flot de monde qui remplissait désormais la cafétéria à l’heure du déjeuner. En balayant la salle du regard, je vis que plusieurs personnes nous observaient.
Enfin, l’observaient lui, évidemment. En voyant à quel point les regards se posaient sur Kim Shin, je compris à quel point il se détachait des autres. Il avait une prestance que personne d’autre n’avait.
« Est-ce qu’il y a une raison pour laquelle tu dois quitter la bibliothèque à 17 heures tous les jours ? » demanda-t-il soudain.
« Je… J’ai juste un truc à faire, » répondis-je vaguement. Mais sa question suivante réduisit mes efforts à néant.
« Tu bosses à mi-temps ? »
« … Oui. »
« Tu fais quoi comme boulot ? Je dois moi aussi trouver un job. »
Surpris, je le détaillai du regard. Il portait une veste différente chaque jour, et aujourd’hui, c’était un sweat noir à capuche qui avait l’air de très bonne qualité. Rien qu’à son allure, je l’avais toujours imaginé issu d’une famille aisée – après tout, c’était un alpha dominant. Je m’étais peut-être trompé.
« La paie est pas terrible, » le prévins-je. « Tu devrais plutôt donner des cours particuliers. Tu trouveras facilement des élèves. »
« Le soutien scolaire, c’est pas trop pour moi. Enfin, disons que ma façon d’enseigner ne colle pas trop. »
« Comment ça ? » demandai-je, intrigué.
« Je frappe mes élèves pour les remettre dans le droit chemin. »
« Tu… Les frappes ? Bon, on va dire que c’est un style d’enseignement… Un peu compliqué à vendre. »
C’était sorti tout seul, sans réfléchir, mais Kim Shin eut un éclat de rire sincère. Ses yeux brillaient, et il souriait comme si j’avais sorti la blague du siècle.
Je détournai vite le regard pour ne pas prolonger la conversation, mais il reprit la parole :
« Si ton boulot recrute un jour, tu me préviens, d’accord ? »
« D-D’accord, » marmonnai-je.
Même si le resto où je bossais ne cherchait personne, je savais très bien qu’ils feraient une exception pour un alpha dominant — et encore plus s’il venait de l’université W. Mon patron serait même capable de lui céder son poste avec un grand sourire au lèvre.
Heureusement, Kim Shin avait enfin terminé son repas, ce qui mit un terme à la discussion sur les jobs. Il ne me restait plus qu’à retourner en salle d’étude et à essayer de sortir son visage de ma tê—
« Tu veux aller prendre un café ? »
Je sursautai, pris de court, puis secouai vite la tête.
« Non, ça va. »
« Moi, j’en veux un. » Kim Shin me lança un sourire radieux et ajouta :
« Tu m’en offres un, Yeonwoo-sunbae ? »
Avec un sourire pareil, j’aurais pu lui acheter tout le café du campus.
Il devait avoir peur de me faire trop dépenser, car il proposa qu’on aille chercher un café à la machine du quatrième étage, plutôt qu’au comptoir. Je le suivis sans trop réfléchir, mais hésitai en arrivant devant la porte. Je reconnaissais les tables blanches, les chaises bleues…
La scène de mon fantasme d’hier n’avait duré que quelques instants, mais revoir l’endroit en vrai me fit rougir comme si j’avais de la fièvre. Et si Kim Shin s’asseyait à l’une de ces tables, un café à la main…
« Yeonwoo-sunbae ? » appela Kim Shin.
Je m’arrêtai net, incapable de lui faire face.
« E-Et si on allait plutôt au café du rez-de-chaussée ? Ils font des smoothies… Super bons. »
Il me lança un regard un peu bizarre, mais je me retournai aussitôt pour me diriger précipitamment vers l’escalier central.
Comme je l’avais espéré, le café du rez-de-chaussée s’avéra très efficace pour effacer mes fantasmes de la tête. Le prix du smoothie – deux fois celui d’un café normal – avait suffi à tuer net mon imagination débordante.
Au début, je m’étais contenté de lui répondre par des monosyllabes pendant que je sirotais mon jus sucré (et hors de prix), mais à mesure que le verre se vidait, je le regardais dans les yeux, je lui souriais, même si c’était encore un peu maladroit.
Ça se passait toujours comme ça quand j’étais avec lui. Peu importe à quel point j’essayais de rester sur mes gardes, je finissais toujours par me détendre et par me laisser emporter par Kim Shin.
C’était au point que, sur le chemin du retour vers la salle d’étude, quand il annonça qu’il allait aux toilettes, je répondis machinalement :
« Moi aussi. »
Et je le suivis sans réfléchir.
Il s’arrêta juste avant d’entrer, ce que je ne remarquai que lorsque j’étais déjà devant la porte et que je me retournai pour le voir, immobile.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demandai-je.
« Je… J’irai plus tard, » répondit-il sans croiser mon regard.
Avant que je puisse dire quoi que ce soit, il avait déjà tourné les talons et était retourné dans la salle d’étude. Mais son visage était rouge. Et il avait l’air gêné.
Avait-il trop honte de me faire face, à cause de ce qui s’était passé dans les toilettes la veille ? Moi, ça ne me dérangeait plus du tout. Si c’était ça, il ferait mieux d’oublier. Après tout, contrairement à moi, il n’avait sûrement pas imaginé de scénarios torrides entre nous dans ces toilettes.
… Ce qui me ramena directement à mes propres fantasmes d’hier soir. Je poussai un long soupir. Le seul déchet ici, c’est moi.
J’étais peut-être un déchet, mais je tenais quand même à prouver que je valais quelque chose. Alors, cet après-midi-là, j’avais travaillé très, très dur. Et maintenant, j’avais très, très faim.
Heureusement, le second de cuisine m’avait demandé de faire une course pendant ma pause. J’étais donc allé à la supérette du coin. Et là, je tombai sur une vieille connaissance : le papy avec qui j’avais partagé une boisson digestive. Il fixait à nouveau la fenêtre. Cette fois, il tenait déjà une bouteille identique dans la main. À côté de lui, il y avait un autre potentiel « client » : un homme d’âge mûr, lui aussi avec une bouteille de boisson digestive à la main, le regard tout aussi perdu en direction de l’entrée du complexe résidentiel.
J’avais prévu de manger des nouilles instantanées sur place, donc je n’eus pas d’autre choix que de m’installer près d’eux après être passé en caisse. Résultat : même si je ne voulais pas écouter, j’entendis malgré moi leur conversation.
« Ton petit-fils est encore en retard aujourd’hui, on dirait, » fit remarquer l’homme d’âge mûr.
« Il est jeune, il est en pleine forme, c’est bien qu’il s’amuse un peu, » répondit le vieil homme.
« Si tu n’es pas inquiet, pourquoi tu l’attends alors ? »
« Qui a dit que je l’attendais ? Je regarde juste parce que la vue est belle. Ça te pose un problème peut-être ? ! »
À ce que je voyais, le seul que ça dérangeait, c’était le gérant de la supérette – et vu le froncement de sourcils qu’il lança au vieux monsieur, c’était lui qui avait le plus besoin d’une boisson digestive.
« Je m’inquiète juste pour ta santé, » reprit l’homme d’âge mûr. « Depuis que ton petit-fils a dit qu’il allait emménager dans une des maisons individuelles du coin, tu passes tes journées planté là à guetter l’entrée du lotissement. »
« Oh, ça suffit. Je t’ai dit que c’est juste parce que j’aime la vue. »
Je jetai un coup d’œil par la fenêtre, essayant moi aussi de voir ce fameux paysage si agréable. Il faisait si sombre qu’on n’y voyait rien du tout.
Mais maintenant que je savais que ce vieux monsieur était juste un grand-père inquiet pour son petit-fils, je comprenais un peu mieux pourquoi il râlait tout le temps. Son petit-fils devait vraiment être sacrément riche pour vivre dans ce lotissement — j’avais entendu dire qu’une maison mitoyenne coûtait déjà une petite fortune, alors une maison individuelle*…
(N/T : Une maison individuelle — comme le dit son nom — est un bâtiment d’habitation isolé, c’est-à-dire que ses murs extérieurs ne sont pas partagés avec un autre bâtiment.)
Peut-être que le vieux n’avait pas autant de moyens et ne pouvait que veiller sur son petit-fils de loin ? Ça expliquerait son obsession pour les promos du style « un acheté, un offert »…
« Ce morveux pourrait emménager dans une boîte à mouchoirs, ça me ferait ni chaud ni froid, » grommela soudain le vieil homme.
Je m’arrêtai net, mes nouilles suspendues en l’air, et le regardai fixement.
Bon… Peut-être qu’il a juste des mouchoirs vachement grands, en fait.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・
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