Chapitre 07
by Ruyi ♡Pris au dépourvu, je levai la main pour le stopper, mais il continua à presser doucement le mouchoir sur mon pull, absorbant le liquide avec application. J’étais déjà assez embarrassé d’avoir fait un tel gâchis, mais sentir sa main — même à travers les couches de tissu — sur mon torse me fit me figer.
« Vraiment, c’est bon. »
Je n’eus d’autre choix que d’attraper son poignet pour m’écarter légèrement. Il s’arrêta enfin, mais l’atmosphère se tendit aussitôt. Il baissa les yeux vers ma main autour de son bras, comme surpris, puis leva lentement les yeux vers moi. Je le lâchai aussitôt, mal à l’aise.
Il resta silencieux un instant, avant de demander à voix basse :
« Vous êtes mal à l’aise parce que je suis un alpha ? »
Sa voix, grave et posée, s’accompagnait d’un parfum discret — une odeur boisée, semblable à celle d’une forêt en hiver.
« Euh… Oui. »
Je ne suis pas du genre à être directe, sauf si je déteste vraiment quelqu’un. Ce n’était pas le cas ici. Je ne le détestais pas. Mais quelque chose en moi — un instinct — me disait de rester sur mes gardes. Probablement à cause de ce parfum, si discret et pourtant suffocant, qui faisait monter une étrange chaleur dans mon ventre.
Reprends-toi, Yeonwoo.
Je pris une grande inspiration et reculai ma chaise pour me lever, les lèvres serrées. Il me regarda fixement, avant de se redresser à son tour. Son visage était neutre, indéchiffrable. Puis, tout en passant distraitement une main dans ses cheveux, il demanda :
« Je vous attire ? »
« Non. »
C’était la vérité. Du moins… Je m’en convainquais.
« Alors ça ne devrait pas poser de problème. Prenons notre temps. »
Je fronçai les sourcils. « Prendre notre temps pour quoi ? »
Il haussa les épaules avec désinvolture. Même ce simple geste semblait sortir tout droit d’un film, tant il le faisait avec naturel.
« Pour s’habituer l’un à l’autre. On va continuer à se croiser. »
Je clignai des yeux, un peu perdu, toujours le mouchoir dans la main.
« Mais… Pourquoi faudrait-il qu’on continue à se voir ? »
« Parce qu’on doit attraper ce lycéen alpha. Comme je vous l’ai dit hier, vous êtes le seul à connaître son visage, ainsi que celui de ses amis. J’ai besoin de votre aide. »
« Vous comptez vraiment le retrouver ? »
« Oui. »
Son regard était aussi brûlant que le tranchant d’une lame dégainée. L’espace d’un instant, je crus voir l’ombre d’un général prêt à décapiter son ennemi.
C’était inquiétant… Pour le lycéen. Mais je n’avais pas le luxe de m’inquiéter pour quelqu’un d’autre. C’était déjà la deuxième fois qu’il me demandait mon aide, et je ne pouvais pas refuser éternellement. De toute façon, je comptais venir souvent à la bibliothèque. Je proposai donc une alternative.
« Je suis là jusqu’à dix-huit heures. Si je vois le lycéen, je vous préviens. Ça vous va ? »
Il pencha légèrement la tête. « Vous venez tous les jours ? »
« Euh… Oui, c’est l’idée. »
Il esquissa un sourire presque imperceptible. « Moi aussi. »
« D’accord… » soufflai-je, commençant à envisager sérieusement de changer de bibliothèque.
Comme s’il avait deviné mes pensées, il déclara d’un ton sec :
« Je ne vous dérangerai pas dans tes études. »
« Non, c’est pas ce que je voulais dire… »
Pris de court, je tentai de me justifier, mais les mots restèrent coincés dans ma gorge. Que pouvais-je bien lui répondre ? Que j’avais peur d’être attirée par lui, simplement parce qu’il était un alpha séduisant, trop parfait, trop charismatique ? Que le parfum à peine perceptible de ses phéromones suffisait déjà à faire battre mon cœur à toute allure ? Rien de tout cela ne pouvait franchir mes lèvres.
« Alors, à demain à la bibliothèque. Tous les jours. »
Tous les jours ?
Ce mot me transperça comme une flèche. J’eus l’impression qu’il s’était logé en plein cœur. Affolée, je lançai une dernière tentative pour reprendre le contrôle.
« Vous n’avez pas cours à l’université ? »
« Je suis en congé sabbatique. Et vous, M. Yeonwoo ? »
Il avait simplement prononcé mon prénom, mais cela me donna l’impression d’être mise à nu. J’en eus le souffle coupé, comme si un frisson m’avait parcouru l’échine. Pour masquer ma gêne, je contractai les muscles de mon visage.
« Moi aussi. Je prévois de reprendre les cours l’année prochaine. »
Je m’apprêtais à lui conseiller de retourner en cours, de se concentrer sur ses études… Mais au lieu de cela, nous venions de découvrir un point commun de plus. Et ça, je ne pouvais pas me le permettre. Je ne devais pas lui offrir de prétexte pour se rapprocher davantage. Je devais me concentrer sur ce fichu lycéen alpha et le retrouver le plus vite possible…
« Vous êtes inscrit dans quelle université ? »
« À W.U. »
Je répondis sans réfléchir. Et en croisant son regard, une étrange sensation s’installa dans ma poitrine — un pressentiment sourd, pesant, qui m’étreignit soudainement.
L’expression de son visage changea. Lentement, une surprise maîtrisée s’y dessina. Sa voix, basse, presque murmurée, semblait contenir une émotion difficile à nommer.
« Alors… Vous devez être mon sunbae. »
Six fois par an, tous les deux mois, les omégas atteignent ce qu’on appelle un cycle de chaleur. Certains disent qu’ils devraient s’estimer heureux, car contrairement aux femmes bêtas qui ont leurs règles chaque mois, ils y sont confrontés qu’un mois sur deux. Mais en réalité, ce n’est en rien une partie de plaisir. Pendant ces périodes, tous mes sens deviennent hypersensibles.
Même avec des inhibiteurs ou des herbes suppressives, quand le cycle approche, mes sens deviennent hypersensibles. L’odorat, surtout. Je me mets à percevoir des phéromones que je n’aurais jamais remarquées en temps normal. Évidemment, je ne réagis pas à toutes… Mais celles des Alphas dominants ont une fâcheuse tendance à déclencher des réactions incontrôlables. Et parfois — rarement, mais ça arrive — je tombe sur des phéromones presque trop parfaitement compatibles avec les miennes. Un genre de type idéal chimique, propre à chaque oméga, qui provoque un désir instinctif, animal. Dans ces moments-là, aucun contrôle mental n’y change quoi que ce soit.
Certains bêtas parlent de « destin », mais employer un mot aussi romantique pour décrire un simple instinct animal semble un peu exagéré. Seuls ceux qui se laissent gouverner par leurs pulsions pensent ainsi. Ceux qui ont un minimum de bon sens savent qu’une relation saine repose sur un lien émotionnel, et que l’attirance physique seule mène bien souvent à une impasse.
J’avais tout mis en œuvre pour éviter ce genre de piège après mon premier cycle de chaleur, au collège. Depuis, je ne relâchais jamais ma vigilance. Toujours sur mes gardes, toujours préparé. À tel point qu’à ce jour, je ne sortais jamais sans un sachet d’herbes suppressives dans ma poche, même si mon prochain cycle n’était prévu que dans plusieurs semaines.
Alors pourquoi, face à cet alpha dominant que je ne connaissais que depuis une journée, avais-je tant de mal à conserver les honorifiques ?
« H-Hubaenim*, alors comme ça, tu as pris une année sabbatique ? »
(N/T : « Nim » (님) est un honorifique coréen qui exprime un haut degré de respect et de politesse. Il est souvent ajouté à des titres ou des noms, comme seonsaengnim (선생님) pour « professeur ». Dans « hubaenim » (후배님), Yeonwoo ajoute « nim » à « hubae » (후배, qui signifie « junior » ou « élève plus jeune ») afin de maintenir une distance formelle et respectueuse.)
« Oui. » Il hocha la tête avant d’ajouter : « Mais tu n’es pas obligé d’être aussi formel avec moi, Yeonwoo-sunbae. Tu peux me tutoyer. »
Ouais… Je ne pense pas que ce soit si simple. Je ravalai ces mots avant qu’ils ne franchissent mes lèvres. Plus important encore, comment avait-il deviné que j’étais plus âgé que lui juste en apprenant que j’avais interrompu mes études ? On me disait souvent que j’avais l’air plus jeune que mon âge. Ce n’était donc pas mon apparence qui l’avait mis sur la piste.
« Comment tu as su— »
« Est-ce que tu retournes à— »
Nous nous figeâmes en même temps et nous échangeâmes un regard gêné. Ne sachant plus où poser les yeux, je détournai la tête. Lui aussi… Mais j’aurais juré l’avoir vu esquisser un sourire.
D’ordinaire, il avait l’air froid et menaçant. Son regard perçant et son expression impassible lui donnaient une aura intimidante. Pourtant, quand il souriait… C’était comme si son visage s’illuminait. Il devenait presque… Mignon.
Cette pensée me fit l’effet d’un électrochoc. Je me ressaisis aussitôt. Allez, tout le monde est mignon quand il sourit ! Même les mamies !
« Yeonwoo-sunbae, je t’en prie, vas-y en premier. »
« E-Eh bien, je… » Je m’interrompis, incapable de retrouver le fil de ma pensée. Légèrement paniqué, je détournai à nouveau les yeux, puis me rappelai ce qu’il avait tenté de demander. Je saisis l’occasion pour répondre à sa place. « Oh ! Oui, je retourne à l’université l’année prochaine. Et toi ? »
« C’était mon plan aussi. »
Oh… Ce qui signifiait que nous serions en cours en même temps. Mon cœur fit un bond. Machinalement, je passai ma langue sur mes lèvres avant de les mordiller, tentant d’ignorer la sensation étrange qui montait en moi.
« Dans ce cas, faisons en sorte que cette année académique soit une réussite et retournons à nos études, » lançai-je après un bref silence. Je me levai, attendant qu’il en fasse de même. Mais il se contenta de baisser lentement les yeux vers mes lèvres avant de remonter vers mon regard. Avait-il fixé ma bouche ?
« Ce sera ma deuxième année, » intervint soudain l’alpha, comme si je n’avais rien dit. « Et toi, Yeonwoo-sunbae ? »
Décontenancé, je me rassis. Pas le choix, il fallait répondre. « J’ai pris trois ans de pause, donc ce sera aussi ma deuxième année, » admis-je à contrecœur. L’idée que nous soyons au même niveau avait quelque chose de troublant.
« On dirait presque qu’on était destinés à se rencontrer, » remarqua-t-il avec un sourire en coin.
C’était vrai… Mais je refusais de m’y attarder. Après tout, prendre une année sabbatique était assez courant.
« Si c’est le cas, alors tous les étudiants de deuxième année de notre université le sont aussi, » rétorquai-je en haussant les épaules. « Ça nous fait environ quatre mille personnes liées par le même « destin ». »
Visiblement, ma remarque n’avait pas eu l’effet escompté, car il se contenta de me sourire, amusé. « Je suis content d’être l’un de tes quatre mille, » répondit-il avec un petit rire grave. « Mais tu n’es pas curieux ? »
Son rire, bas et velouté, s’enroula autour de mon cœur comme une couverture chaude et réconfortante. Ce n’était pas juste — comment un homme pouvait-il être aussi beau et, en plus, avoir une voix pareille ? C’était de sa faute si je le regardais comme si j’étais hypnotisé, oubliant presque complètement le reste de sa phrase.
« C-Curieux de quoi ? » balbutiai-je.
« Mon nom. »
Son nom. Une évidence, quelque chose que j’aurais dû lui demander bien plus tôt. Mais les mots restaient coincés dans ma gorge. Ne pas savoir son nom, c’était comme ma dernière ligne de défense, le dernier pan de muraille qui me protégeait. Une fois tombé, il ne resterait plus rien pour me garder à distance.
Une alarme mentale hurlait au fond de moi, me suppliant de ne pas aller plus loin. Mais… j’avais envie de savoir. J’étais curieux.
« Comment tu t’appelles ? » demandai-je, cédant finalement.
Il ne répondit pas tout de suite. Son regard glissa vers le bas. On aurait dit qu’il fixait l’arrière de mon cou, ce qui me fit me crisper d’un coup. Je n’avais pas encore de marque de morsure, celle qui signalerait que j’étais déjà lié à quelqu’un pour la vie. Et même si j’avais eu de la chance jusqu’à présent, je savais à quel point cela me rendait vulnérable.
Avant même de m’en rendre compte, ma main s’était portée à ma nuque, que je couvris instinctivement pour la soustraire à son regard.
Ses yeux d’un noir profond revinrent se planter dans les miens. « Je m’appelle Kim Shin, » dit-il enfin.
« Yeonwoo, prends une pause de vingt minutes. »
L’ordre venait du sous-chef distant du restaurant où je travaillais à temps partiel. Il ne m’adressait quasiment jamais la parole, sauf pour me donner des consignes. Il devait être aux alentours de 21h, et la salle commençait à se vider doucement.
Je lui répondis d’un hochement de tête accompagné d’un rapide « merci », puis je tournai les talons pour quitter la cuisine. Mais à peine avais-je passé la porte que je tombai nez à nez avec Kijoon, qui revenait en sens inverse avec une pile d’assiettes sales dans les bras.
« Où tu vas ? » me demanda-t-il.
« Prendre une pause. » Je désignai la porte arrière du restaurant, et ses yeux s’écarquillèrent.
« Hein ? Le sous-chef t’a laissé prendre une pause ? »
« Ouais, pourquoi ? »
« Parce qu’il a pressé les autres employés comme des citrons. Qu’est-ce qui lui prend, sérieux ? »
« Peut-être que je suis juste trop bon dans ce que je fais ? »
Kijoon fit une moue boudeuse avant d’entrer dans la cuisine.
« Je le savais ! » l’entendis-je marmonner. « Ce con a un faible pour les mecs hot*, c’est sûr. »
(Note de Ruyi : Je n’ai pas trouvé d’équivalent au jeu de mots du coup je vais le laisser comme ça.)
Déconcerté, je portai une main à ma joue. Hot ? Mais… Je ne suis même pas si chaud que ça ? Je transpire à peine…
J’ouvris la porte de derrière et fis un pas dehors… Pour immédiatement regretter d’avoir pensé que le sous-chef avait été sympa avec moi. Il faisait un froid glacial, à croire que je venais de mettre les pieds sur une plaine gelée. Le vent me fouettait le visage comme des lames, et je rentrai les épaules en cherchant un endroit où me réfugier.
Malheureusement, après avoir bien observé les alentours, je dus me rendre à l’évidence : il n’y avait absolument nulle part où se planquer. La cour derrière le restaurant ressemblait à un jardin bien entretenu, sans le moindre abri contre les éléments. Malgré ça, je n’avais pas envie de rentrer. J’avais passé les quatre dernières heures à laver des assiettes et à faire des allers-retours avec des plateaux. Je comptais bien profiter de chaque seconde de ces vingt minutes de liberté.
Je me dirigeai vers la seule option raisonnable pour me mettre à l’abri : le konbini juste à côté. La chaleur à l’intérieur rendit tout de suite les choses bien plus supportables.
Le magasin était complètement vide, à l’exception de deux personnes. D’un côté, un employé à l’air renfrogné me fixait depuis la caisse. De l’autre, un vieux monsieur qui semblait être un client se tenait devant une petite table à hauteur de poitrine, prévue pour manger des nouilles instantanées. Il fixait la vitre, l’air mauvais.
Sans trop réfléchir, je me dirigeai vers le comptoir pour me prendre une boisson chaude. Je n’avais pas particulièrement envie de quoi que ce soit, mais flâner ici sans rien acheter aurait été impoli.
Je parcourus des yeux les bouteilles dans le présentoir à boissons chaudes, jusqu’à tomber sur une bouteille en verre familière. C’était la même marque que celle que Kim Shin m’avait poursuivi pour me tendre. J’avais fini par l’oublier à force de bosser sans relâche, mais il avait suffi de ce détail pour que son souvenir m’envahisse de nouveau.
Je me rappelais parfaitement chaque seconde du moment où il avait prononcé son nom : son regard sincère, sa voix grave et rauque, la façon dont ses cheveux soyeux tombaient sur son front… Même son odeur. Ses phéromones s’étaient engouffrés autour de moi alors que ses lèvres formaient ces mots, et un frisson glacial m’avait traversé tout le corps, des mains jusqu’aux pieds.
À vrai dire, je ne me souvenais plus très bien de ce qui s’était passé ensuite. J’étais trop occupé à éviter de le fixer, et à chercher un prétexte pour retourner dans la salle d’étude — tout ça pour qu’il n’entende pas les battements affolés de mon cœur.
Pas étonnant que j’aie paniqué… Je n’avais jamais ressenti un truc pareil avant lui. Pourquoi mon corps avait-il eu une réaction aussi intense à ses phéromones ? Il avait beau être un alpha dominant, je n’étais même pas en chaleur…
« Monsieur, achetez quelque chose si vous comptez rester planté là », dit une voix sèche et clairement exaspérée.
Je sursautai, ramené brutalement à la réalité. Je me tournai pour m’excuser auprès de l’employé grincheux — le badge sur sa poitrine indiquait « Gérant » —, mais je compris vite qu’il ne s’adressait pas à moi. Il fixait le vieux monsieur près de la vitre, tellement absorbé par ce qu’il regardait dehors qu’il avait littéralement le visage collé contre la vitre. Pourtant, il prit le temps de lancer un regard noir au gérant.
« J’ai acheté un ticket de loto, tu te souviens ? » grommela-t-il.
« Ouais, hier. » Le gérant pencha la tête sur le côté, l’air encore plus méprisant.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・
0 Commentaire