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    L’oncle de l’omega haletait légèrement, comme s’il avait couru pour me rattraper, les yeux fixés sur moi.

    Hein ? Mais… Je croyais qu’il était déjà parti. Mon cœur manqua un battement, mais ce n’était pas de la peur — plutôt une brusque montée D’excitation. Mais… Qu’est-ce qu’il fait encore-là ? Pourquoi est-il revenu ?

    Je me ressaisis aussitôt, avalant ma salive avec peine. Pourquoi… Qu’est-ce qu’il me veut ? Son visage fermé me fit soudain craindre d’avoir fait une bêtise. Je levai les yeux vers lui, pris de court, les paupières grandes ouvertes.

    Il tentait de reprendre son souffle, l’air grave.

    « Votre nom… S’il vous plaît. Dites-moi votre nom. »

    Il avait vraiment couru jusqu’ici juste pour me demander ça ? Un peu sonné, je restai muet un instant. Ce n’est que lorsqu’il insista du regard que je me décidai enfin à répondre.

    « Ah… C’est Song Yeonwoo. »

    « Song Yeonwoo… » répéta-t-il, presque dans un murmure, les yeux toujours rivés sur moi. Il prononçait mon nom à voix basse, comme s’il le goûtait du bout des lèvres. Ça sonnait étrange. Étrangement intime.

    Pourquoi est-ce que ça me fait cet effet ? Mon cœur eut un petit sursaut. Gêné par ce trouble, je reculai d’un pas. Mais je n’allai pas bien loin : il me tenait toujours par le bras. J’essayai de m’en dégager, mais il ne relâcha pas sa prise. Au lieu de ça, il tendit la main et glissa quelque chose dans la mienne.

    « C’est pour vous. »

    C’était une bouteille de café glacé en verre. Il est allé jusqu’à la salle d’étude pour me la donner ? Et comme je n’y étais pas… Il s’est mis à me chercher partout ? Cette pensée me parut ridicule. Je ravalai vite cette idée un peu trop romanesque.

    « Merci… » soufflai-je en refermant les doigts autour de la bouteille. Elle était chaude. Comme sa main, quand elle avait effleuré la mienne. Mes paumes étaient toujours froides — ce contraste laissa sur ma peau une chaleur persistante, presque comme une marque invisible.

    Mais ce n’était pas ça qui me troublait le plus.

    Ce qui me hantait vraiment, c’était le parfum subtil de ses phéromones.

    Chaque alpha avait son propre parfum. Certains dégageaient une odeur lourde, moite, qui rappelait la sueur. D’autres sentaient si fort les produits chimiques qu’on aurait dit du détergent. Mais lui… C’était complètement différent. Son odeur était nouvelle. Unique.

    Il sentait… La forêt. Une vraie, vaste et profonde. Pas un petit bosquet, non. Une étendue infinie de conifères* recouvrant des montagnes, dont les cimes touchaient presque le ciel. L’air autour de lui avait cette fraîcheur qui rappelle la neige, le silence ouaté de l’hiver. Et moi… J’avais l’impression d’y être plongé tout entier.

    Ses phéromones étaient discrets, mais étrangement enveloppants. Je n’étais ni en chaleur, ni spécialement sensible à ce genre de chose… Pourtant, une chaleur douce monta lentement en moi, comme une fièvre. Jamais je n’avais ressenti une attraction pareille, même face à des alphas dominants. J’étais tendu, électrisé, jusqu’au bout des doigts.

    Je tentai une nouvelle fois de libérer mon bras. Cette fois, il me lâcha sans résister. Mais ses doigts ne s’éloignèrent pas pour autant. Ils se posèrent plutôt sur mon écharpe, dont ils saisirent l’extrémité tombante.

    « Euh… Qu’est-ce que vous faites ? » balbutiai-je, baissant les yeux sans réfléchir. Il a vu une tache ou quoi ?

    « Rien. » Sa voix était presque un murmure. « Elle est jolie. C’est tout. »

    Il gardait les yeux fixés sur l’écharpe en parlant. Je la regardai moi aussi. Elle avait bien cinq ans, achetée par ma mère lors de soldes dans un grand magasin. Attends… Et si c’était une marque de luxe, et que je l’ai jamais su ?

    Encore perdu dans cette pensée absurde, je sentis ses doigts relâcher le tissu. Il recula d’un pas.

    « Je vous recontacterai. »


    «  Yeonwoo, nous sommes à table. Pourquoi tu regardes ton téléphone toutes les deux minutes en mangeant  ?  » demanda ma mère d’un ton agacé. «  Tu attends un appel  ?  »

    Je posai aussitôt ledit téléphone sur la table.

    «  Non,   » murmurai-je, en secouant la tête, avant d’enfourner une nouvelle bouchée de riz.

    Mon père, assis en face de moi, m’observait en silence depuis un moment. Il reprit la discussion qu’on avait commencée un peu plus tôt dans la journée.

    «  Ta mère et moi, on partira bien ce week-end à la campagne. On commencera à retaper la maison une fois sur place, mais vu la saison, y a pas grand-chose qu’on pourra faire tout de suite. On bougera un peu à droite à gauche au début, et ça prendra sûrement un bon moment avant qu’on en voie le bout.  »

    J’acquiesçai pour montrer que j’avais compris. «  D’accord.  »

    Il y a un an, mon père s’était fait arnaquer par un ami très proche — un homme qu’il considérait presque comme un frère. Le choc avait été brutal, et il lui avait fallu des mois pour s’en remettre. Depuis peu, il avait décidé de quitter Séoul pour retourner vivre dans son village natal. Il devait encore rembourser toutes ses dettes, et leur quotidien ne serait certainement pas plus facile là-bas… Mais je n’avais pas d’argument pour l’en empêcher.

    Cette histoire m’avait appris une chose : il est toujours plus simple de rassembler de l’argent pour rembourser une dette que de recoller les morceaux d’un cœur brisé. Mon père, que j’avais toujours vu droit et solide comme un roc, s’était effondré sous le poids de cette trahison. Il lui avait fallu presque un an pour retrouver un semblant de lui-même.

    Et le plus dur dans tout ça, c’est qu’il s’en voulait encore. Il se tenait pour seul responsable de s’être fait avoir. Se pardonner et se relever… C’était sûrement l’épreuve la plus difficile de sa vie.

    Je pouvais comprendre ce qu’il ressentait. Moi aussi, je m’étais senti minable et impuissant après ce qui m’était arrivé trois ans plus tôt. Même si, au fond, je savais que je n’étais pas coupable, j’avais eu toutes les peines du monde à ne pas me haïr d’avoir été aussi naïf, d’avoir plongé tête la première dans le pire des scénarios.

    Allongé sur mon lit, plus tard dans la soirée, je repensai à ma rencontre avec l’oncle de l’oméga. Ma réaction avait été immédiate : je m’étais braqué, comme toujours face aux alphas. Et pourtant, aujourd’hui, j’avais vécu plein de choses nouvelles : j’étais allé dans un quartier inconnu, j’avais commencé un nouveau job, fait la connaissance de mes collègues, découvert une bibliothèque, passé des heures à étudier… Mais ce qui me restait en tête, c’était ce bref moment avec lui. Ces cinq minutes, à peine.

    Je repris mon téléphone. Toujours aucun message. Je poussai un soupir et le laissai retomber sur le matelas.

    Oublie ce type. Il t’a clairement pris en grippe dès le premier regard, et de toute façon, c’est un alpha dominant. Vous n’avez absolument rien en commun.


    Le lendemain matin, la température avait légèrement augmenté par rapport à la veille, mais le vent glacial balayait les rues sans ménagement, fauchant les passants comme un bataillon blindé. En descendant du bus, je me dirigeai vers la bibliothèque, et ce n’est qu’une fois dans la salle d’étude que mon corps commença enfin à se réchauffer. La chaleur se diffusa lentement dans mon corps, me laissant tout mou, comme un tteok qu’on aurait passé au micro-ondes. Je m’affaissai légèrement et ouvris mon livre du jour.

    En semaine, les matinées à la bibliothèque étaient relativement calmes, mais la période des examens approchant, plus de la moitié des places étaient déjà prises. L’atmosphère était silencieuse, rythmée seulement par le froissement des pages tournées et le grattement discret des stylos. Peut-être parce que la bibliothèque était encore récente, les grandes tables en bois brillaient comme si seules des mains soigneuses les avaient effleurées.

    Je n’avais jamais considéré le cadre comme un élément crucial pour étudier, mais je dus admettre que cette ambiance studieuse m’aidait à me concentrer. Après presque trois ans loin des livres, il m’était difficile de rester assis à lire sérieusement. Alors, un peu de stimulation extérieure ne faisait pas de mal. Aujourd’hui, je m’étais juré de m’y mettre sérieusement.

    Mais cinq minutes à peine s’étaient écoulées que mon téléphone vibra : un message s’affichant sur l’écran de mon téléphone. C’était un camarade de classe avec qui j’avais été ami lors de ma première année à l’université.

    [ Yo, ] disait-il, [ Tu aurais au moins pu prévenir ton grand frère que tu étais de retour.]

    [ Mec, tu vas bien ? ] répondis-je. [ Ton cerveau a pris un coup de gel, ou quoi ? ]

    [ J’aimerais bien,  ] répondit-il. [ Si je devenais un glaçon, je pourrais repousser la remise de mon diplôme. Rester étudiant pour toujours, ce serait pas mal… Je suis à bout avec cette recherche d’emploi. ]

    [ Il n’est pas trop tard, ] écrivis-je, lui offrant la solution la plus réaliste qui me vint à l’esprit. [ Ne te présente pas à tes examens finaux. ]

    [ Ce n’est pas que j’y ai pas pensé… Mais ils vont juste me coller des notes nulles et me laisser décrocher le diplôme quand même. ]

    Je ris, mais son message suivant fit disparaître mon sourire.

    [ Tu te souviens de ce sale Alpha qui t’a pourri la vie ? Lui aussi avait des notes pitoyables, et pourtant il a eu une récompense et tout. Les alphas dominants, on leur passe tout. ]

    J’en avais entendu parler. Mais que répondre à ça ? Je décidai de changer de sujet.

    [ Tu es un bêta. Dis-leur de pas te faire de cadeau et demande à te faire virer. ]

    [ Ouaaah… Mon petit Yeonwoo est devenu redoutable. ]

    Je souris à nouveau, en silence, et me replongeai dans ma lecture. Il m’envoya encore quelques messages auxquels je répondis par intermittence, tout en soulignant machinalement des lignes de mon manuel de spécialité.

    Un peu plus tard, une nouvelle notification apparut. Pensant que c’était toujours lui, je levai les yeux sans y prêter attention… Mais je me figeai aussitôt.

    [ Où êtes-vous ? ]

    Juste trois mots. Sans présentation, sans nom. Mais je sus immédiatement de qui il s’agissait. Un frisson sec me traversa, comme si un voile froid s’était enroulé autour de mon cœur.

    Je fixai l’écran, le souffle court, avant de me décider à vérifier le numéro. Mon instinct ne m’avait pas trompé : c’était bien l’oncle de l’oméga. Il avait vraiment fini par me recontacter.

    Mi-surpris, mi-désorienté, je répondis simplement : [ Je suis à la bibliothèque. ]

    Je fixai l’écran de mon téléphone jusqu’à ce qu’il s’éteigne. Aucune réponse n’était venue. À contrecœur, je reportai mon attention sur mon livre, mais mon regard ne cessait de revenir, furtif, vers l’écran noir. Le silence persistait. Il a juste posé la question, comme ça… Peut-être.

    Est-ce qu’il voulait que je le prévienne si je croisais l’alpha au lycée dans cette bibliothèque ? Mes pensées tournaient en rond, devenaient absurdes. Agacé d’y accorder autant d’importance, je retournai mon téléphone, face contre la table.

    Vingt minutes passèrent. J’étais plongé dans mon livre quand j’entendis une chaise racler le sol. Quelqu’un s’asseyait juste en face. J’aurais pu ne pas y prêter attention… S’il n’y avait pas eu ce détail : une odeur. Furtive. Comme une forêt en hiver.

    Surpris, je levai les yeux. Il venait de s’installer et nos regards se croisèrent.

    Hein…  ?

    Lui ne sembla pas surpris. Il m’adressa un discret hochement de tête. Je m’empressai de baisser les yeux et de le saluer à mon tour.

    Mais… Qu’est-ce qu’il fait ici ? Impossible de lui demander à voix haute : on était à la bibliothèque. À la place, je sentis mon téléphone vibrer.

    « Le café vous convient ? »


    La tasse en papier que je tenais était tiède. Je l’enveloppai de mes deux mains en attendant qu’elle refroidisse un peu. Le plan était simple : boire cul sec et repartir aussitôt. Mais j’avais beau faire comme si de rien n’était, je n’arrivais pas à ignorer sa présence. Cet alpha dominant.

    Ses phéromones étaient à peine perceptibles. Il fallait vraiment se concentrer pour les sentir. Et pourtant, leur parfum me plaisait — trop. Suffisamment pour me tendre, malgré moi. Dans ma vie, j’en avais croisé très peu, des alphas dominants. Mais aucun dont l’odeur me plaisait autant que celle de cet homme. Je reculai légèrement ma chaise, sans bruit.

    « Vous êtes venu attraper le lycéen alpha ? » demandai-je à mi-voix.

    Il regardait sa tasse, comme moi, mais leva les yeux pour me répondre avec un léger sourire.

    « Non. »

    La veille, il m’avait semblé dur, presque menaçant. Mais avec ce sourire, il paraissait… Différent. Presque plus jeune. Je me surpris à le fixer, cherchant à deviner son âge. Il détourna les yeux et passa une main dans ses cheveux.

    Tiens… Il n’avait pas la même coiffure hier. Ses mèches tombaient alors librement sur son front. Aujourd’hui, il avait soigneusement coiffé ses cheveux sur le côté. Et ce manteau, un pea coat bien coupé… Il a un rendez-vous ? Une réunion importante ?

    Moi, j’étais habillé comme la veille : ma doudoune vieille de plusieurs hivers et un sweat trop large. Une tenue dans laquelle je traînais depuis des années. Un peu honteux, je me sentis rapetisser sur place. Je n’avais jamais prêté attention à ma tenue devant quelqu’un, mais là… L’ambiance déjà gênante le devint encore plus.

    « Je suis venu étudier,  » dit-il simplement.

    Ah. Oui, c’est une bibliothèque après tout. Ça faisait sens. J’allais hocher la tête, puis je me figeai.

    « Alors… Pourquoi m’avoir demandé de venir ? »

    « Je dois aussi mettre la main sur ce lycéen alpha, d’une façon ou d’une autre. »

    Je plissai les yeux. « Il doit être en train de roupiller au lycée à cette heure-là, non ? »

    Il étira doucement les lèvres en un sourire silencieux, amusé. Rien d’extraordinaire dans mes paroles, mais ses yeux riaient. Je me sentis pris de court par cette légèreté inattendue et lui répondis avec un sourire maladroit.

    « Pourquoi « roupiller » et pas « étudier » ? » demanda-t-il. « C’est parce que c’est un alpha ? »

    Pris de court, je perdis aussitôt mon sourire.

    « Je… Je ne voulais pas critiquer les alphas. »

    « Même si c’était le cas, ce serait plutôt léger comme critique. »

    Je me sentis gêné par cette réponse bienveillante. Certes, je l’avais formulée sur le ton de la plaisanterie, mais mes mots trahissaient clairement un préjugé. Mes biais étaient si profondément ancrés que je n’avais même pas hésité à faire ce genre de remarque à un alpha.

    Je voulais m’excuser, mais j’avais trop tardé, et le moment était déjà passé. Je me contentai alors de tripoter le gobelet en carton entre mes mains.

    L’oncle de l’oméga tenait aussi sa tasse de café, mais ses mains étaient si grandes qu’elle paraissait minuscule, comme un verre à shot. Fasciné, je fixai ses longs doigts élégants, aux articulations bien dessinées, qui s’étendaient jusqu’à de larges paumes.

    Soudainement gêné, je détournai les yeux vers mon propre café — désormais tiède — et le bus d’une traite.

    « À quelle heure êtes-vous arrivé ici ? » demanda-t-il tout à coup.

    Sa voix me surprit. Je m’étouffai et renversai du café avec la maladresse d’un enfant de trois ans. Le liquide m’éclaboussa les lèvres et tacha mon pull.

    Heureusement, j’avais un mouchoir dans ma poche. Je le sortis en vitesse et le plaquai sur la tache, mais le tissu épais de mon sweat absorbait déjà le café. Génial. Je devais encore aller travailler cet après-midi…

    « Désolé… Je suis arrivé il y a… Une trentaine de minutes, je crois. »

    Je continuai à tamponner la tache avec acharnement, quand il revint avec des mouchoirs en papier et, sans rien dire, commença à appuyer l’un d’eux contre ma poitrine pour m’aider.

    « C’est bon, je peux le faire,  » dis-je aussitôt, gêné.


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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