32. Le loup dévoreur d’hommes ⋄ Partie 05
by Ruyi ♡Yoon Chi-young entra dans la salle d’isolement pour recevoir ses inhibiteurs de phéromones. Heeseong, peu rassuré à l’idée de rester seul, resta planté contre la vitre, à attendre patiemment.
À l’intérieur de la pièce vitrée, Yoon Chi-young s’était allongé sur le ventre. Une perfusion était branchée à son bras, et des patchs reliés à des câbles étaient collés derrière sa nuque et à divers endroits de son dos. Il ne tarda pas à s’endormir. Son visage, habituellement tendu et sur la défensive, s’était enfin un peu relâché, et sa queue noire de loup frémissait de temps à autre. En le voyant ainsi plus paisible, Heeseong sentit son cœur s’alléger un peu.
C’est alors qu’une infirmière s’approcha de lui.
« Vous êtes son tuteur légal ? Souhaitez-vous attendre dans la salle d’attente ? »
« Ah, non… Je préfère rester ici. »
Le mot « tuteur » lui sonna étrangement aux oreilles, mais Heeseong fit comme si de rien n’était. Quand il croisa son reflet dans la vitre, il eut du mal à croire qu’on puisse vraiment le voir comme un tuteur. Avec ce long manteau de Yoon Chi-young qui lui tombait jusqu’aux chevilles et flottait autour de lui… c’était absurde. Après tout, celui qui s’était toujours occupé de l’autre, c’était Yoon Chi-young, pas lui. Ce renversement des rôles lui paraissait irréel.
Son regard glissa alors, sans y penser, sur la fiche médicale de Yoon Chi-young posée non loin de lui. Il sursauta.
Quoi ? Il a six ans de plus que moi ?
Il s’en doutait un peu, mais voir l’écart d’âge écrit noir sur blanc lui fit un drôle d’effet. Pendant tout ce temps, non seulement il l’avait toujours appelé « hé », mais en plus, il ne s’était pas privé de l’insulter ou de le frapper de ses petites pattes quand ça lui chantait. Et tout ça… envers un gardien chargé de manipuler les fonds occultes du clan des loups.
… Tant pis. Je vais continuer à l’appeler “hé”.
Mais Heeseong ne s’attarda pas sur cette révélation. Il s’était juré de ne plus faire attention au regard des autres. Il n’avait plus rien à perdre, et son cœur, épuisé jusqu’à l’os, ne lui laissait même plus l’énergie de s’en soucier.
« … »
Son cœur, rejeté une seconde fois par sa meute, s’était déformé en silence, comme tordu par une douleur qu’il refusait de reconnaître. Il s’obstinait à penser que la trahison de son frère ne valait même pas qu’on s’y attarde, encore moins qu’on en souffre. Pourtant, ses yeux s’embuaient, et il dut mordre fort sa lèvre pour empêcher les larmes de couler.
C’est lui le salaud. Celui qui a fait semblant de m’aimer, juste pour m’utiliser. Alors oui, la vengeance était la seule chose qui comptait désormais.
Heeseong, qui ruminait cette pensée, tourna de nouveau les yeux vers la chambre d’isolement. Il fallait que Yoon Chi-young se rétablisse rapidement. Il leur restait à tuer Park Geon-tae. Même au-delà de ça, il se sentait toujours plus en sécurité lorsque Yoon Chi-young allait bien. Mais plus il pensait à cette vengeance, plus son impatience grandissait.
Il essuya discrètement les larmes au coin de ses yeux et dit à Ji Yeong-bae, resté à ses côtés :
« Je vais aux toilettes. Je reviens. »
« C’est dangereux d’y aller seul. »
« Je veux y aller seul. C’est juste à côté. »
Peut-être parce qu’il avait vécu comme un chiot, Heeseong parlait à Ji Yeong-bae sans aucune forme de politesse. L’autre n’avait jamais semblé s’en offusquer, mais là, il parut hésiter à le laisser partir seul et fit mine de le suivre.
« Ne me suis pas. »
Il ne voulait pas qu’on le voie pleurer. Alors, il fit exprès de semer Ji Yeong-bae et se dirigea seul vers les toilettes, qui se trouvaient à quelques pas, au coin du couloir.
Dès qu’il y entra, il ne put s’empêcher de grimacer avec une pointe de sarcasme. Les murs, le sol, les lavabos, tout était en marbre noir brillant. Un coin maquillage avait même été aménagé. Ils ont vraiment claqué leur fric n’importe comment… Pour un hôpital, c’est du délire.
Il avança timidement, comme un petit animal sur un nouveau territoire. Il posa son gobelet de jus près du lavabo et retroussa les longues manches du manteau qui lui tombait sur les mains.
C’est alors qu’une voix surgit derrière lui.
« Tu es venu avec le directeur Yoon, n’est-ce pas ? »
« Hein ? »
Il releva la tête, et croisa dans le miroir le regard d’un homme blond. Un loup. Celui-là même qu’il avait vu autrefois aux côtés de Yoon Geon-yeong, et qui semblait craindre Yoon Chi-young à l’époque.
Il se retourna, un peu surpris. L’homme, qui le dépassait d’une bonne tête, portait aujourd’hui un costume élégant. Sur le dos de sa main, des patchs médicaux trahissaient qu’il était ici pour un traitement.
« Je connais le directeur Yoon, alors je me suis permis de demander. Je m’appelle Yang Hye-chan. »
… Waouh.
Heeseong ne répondit pas tout de suite. Il était trop occupé à le fixer. Yang Hye-chan dégageait un certain charisme. Son costume lui allait à merveille, et son sourire calme lui donnait l’air d’un jeune héritier bien né. Rien à voir avec lui, Heeseong, élevé dans la crasse. C’était un autre monde.
… Donc c’est avec ce genre de types que Yoon Chi-young sortait.
Quelque chose le dérangeait vaguement. Il n’aimait pas trop que cet homme ait pu être en couple avec Yoon Chi-young.
Il jeta un coup d’œil au miroir sur le côté, et fronça les sourcils. Il y vit son propre reflet : un visage pâle, encore marqué par la jeunesse. Et avec ce grand manteau mal ajusté, il avait l’air encore plus petit, encore plus fragile. Ce qui l’agaçait le plus, c’était que l’autre avait remarqué les larmes dans ses yeux noirs.
Feignant l’indifférence, Heeseong ouvrit le robinet, l’air fermé.
« Gyeon Heeseong. »
« Tu fais partie du clan des loups ? »
« Non. Du clan des chiens. »
Il répondit sèchement, sans détour. Il ne voyait pas l’intérêt de le cacher. Après tout, les chiens représentaient près de 30 % des bêtes. Une espèce des plus banales.
Mais dès que Yang Hye-chan entendit cette réponse, il le fixa avec un petit sourire condescendant, accoudé au lavabo comme s’il le surplombait.
« Je m’en doutais. Un chien, hein. »
Encore un foutu loup pur-sang. Ça recommence…
Heeseong, las des discriminations qu’il avait subies dans les tripots, serra les dents et continua de se laver les mains avec un air agacé. Yang Hye-chan, lui, poursuivit de sa voix douce et avenante :
« Le directeur Yoon s’est vraiment entiché d’un chien, ces temps-ci… »
« … »
« Tu crois que c’est prudent ? Vu qu’il est venu chercher des inhibiteurs, ça a l’air sérieux. »
« Pourquoi ? »
« Ça dépend du type de relation que vous avez… Vous êtes quoi, au juste ? »
« On couche ensemble. »
Heeseong répondit sans hésiter, par pur orgueil, comme s’il refusait de perdre la face.
Pourquoi j’ai dit ça, moi… ?
Il le regretta aussitôt. Mais après tout, ce n’était pas un mensonge. Depuis qu’il était encore chiot, il avait toujours dormi dans le même lit que Yoon Chi-young.
« Vous couchez ensemble ? »
Yang Hye-chan esquissa un sourire moqueur, visiblement convaincu qu’il mentait. Ce regard hautain, typique des loups de sang pur, lui donna la nausée.
« Si vous étiez vraiment proches à ce point, Yoon Chi-young ne serait jamais allé en isolement. »
Et en quoi ça te regarde ?
Heeseong le fusilla du regard à travers le miroir, l’air fermé. Il ne comprenait même pas ce que l’autre essayait de lui faire passer comme message.
« Il a changé, tu sais. Avant, il aurait préféré crever plutôt que de partager un lit avec moi. »
Yang Hye-chan laissa tomber cette phrase comme une pique empoisonnée, révélant au passage qu’il avait été proche – voire intime – avec Yoon Chi-young. Et qu’il cherchait clairement à le faire sentir.
C’est à ce moment-là que Heeseong comprit : ce type n’était venu que pour l’emmerder. Il afficha alors un air ouvertement agacé. Contrairement au casino, ici, il avait le droit de montrer ses émotions. Et franchement, ça faisait du bien.
« Vu son caractère, s’il traîne avec un chien, c’est forcément pour une raison. »
Yang Hye-chan le détailla lentement de haut en bas, puis baissa la voix, comme s’il s’inquiétait sincèrement pour lui.
« Ce mec, c’est un loup mangeur d’hommes. Il mord même les siens. Tu crois que tu vas t’en sortir ? »
« Oui. »
« Tu as l’air jeune… alors je vais être sympa et te donner une chance de t’enfuir. »
« Ah… occupe-toi de tes affaires. »
« Si ce monstre t’a déjà refilé quelque cho— »
Vrrrrhhhhh… !
Heeseong l’ignora et activa le sèche-mains. Yang Hye-chan, qui l’avait connu alors qu’il était encore un chiot, ne semblait pas reconnaître à quel point Heeseong, lui, le connaissait bien. Et il le trouvait carrément pathétique. On aurait dit un ex qui ressassait encore une vieille rupture.
Un monstre, hein ? Et c’est lui que tu traites de monstre ?
Traiter un homme-bête de « monstre », c’était grave. Une vraie insulte. Bien sûr, Heeseong l’avait déjà pensé à propos de Yoon Chi-young, mais c’était différent. Il était le seul à avoir le droit de l’insulter.
Une colère sourde monta en lui.
Heeseong savait beaucoup de choses sur Yoon Chi-young. Il ne s’était pas fait gardien par choix. C’était la meute qui avait forcé le développement de ses glandes à phéromones pendant sa croissance. Alors entendre ce connard lui balancer un « fais gaffe » comme s’il lui rendait service ? Ça l’énervait au plus haut point. Il se demanda si, comme les autres loups croisés lors des réunions de famille, Yang Hye-chan cherchait aussi à le mettre à l’écart.
Mais au fond, il ne comprenait pas très bien pourquoi il était aussi en colère. Une chose était sûre : il n’allait pas tourner le dos à Yoon Chi-young à cause d’un commentaire lâche et perfide. Chi-young était le seul… le seul complice de sa vengeance qu’il lui restait.
Pas question de faire un scandale dans un hôpital.
… Respire. Yoon Chi-young est malade, lui aussi.
Heeseong inspira profondément, ravalant sa rage. Il secoua ses mains sous l’air chaud pour les sécher, puis se dirigea vers la sortie. Mais derrière lui, la voix mielleuse de Yang Hye-chan résonna encore :
« Je t’aurai prévenu. Ce mec-là, c’est un loup mangeur d’hommes. »
« … »
Non. Finalement, je peux pas laisser passer ça.
À bien y réfléchir, il n’avait aucune raison de se retenir. Il n’y avait plus personne à ménager, plus rien à perdre.
Il fit brusquement volte-face et revint sur ses pas à grandes enjambées, les yeux brûlants de rage.
« Tu veux du jus à la fraise ? »
« Hmm, non, je— »
Avant même qu’il ait fini sa phrase, Heeseong lui balança le contenu du gobelet en pleine figure. Pour la première fois, le mépris qu’arborait constamment Yang Hye-chan disparut de son visage, remplacé par un mélange de surprise et de fureur.
Heeseong posa le gobelet en plastique sur le lavabo avec fracas, puis déclara d’un ton sourd, les crocs à demi découverts :
« Ne parle plus jamais de Yoon Chi-young comme ça devant moi. Je suis son gardien. »
« … Espèce de pe— »
« Quoi ? Si ça te plaît pas, ramène ton gardien, toi aussi. »
Sur ces mots, Heeseong quitta les toilettes. Derrière lui, un grondement de loup monta, de plus en plus menaçant. Instinctivement, Heeseong accéléra le pas. Depuis l’attaque de la veille, il réagissait au quart de tour au moindre grognement de prédateur.
À peine sorti dans le couloir, il fonça droit vers Ji Yeong-bae :
« Hyung Yeong-bae, j’ai fait une connerie. »
« … Hein ? »
Avant même que Ji Yeong-bae ait le temps de réagir, Heeseong se changea en chiot, juste derrière la porte de la salle d’attente des gardiens.
Le petit chiot, après avoir jeté ses vêtements à la va-vite derrière la porte, trottina en panique sur ses pattes tremblantes et se glissa dans le bas du pantalon de Ji Yeong-bae. Il s’y agrippa avec ses petites pattes, serrant sa cheville contre lui. Il aurait pu se cacher dans le tas de vêtements, mais se coller à Ji Yeong-bae était plus sûr pour masquer son odeur.
Quelques secondes plus tard, la voix furieuse de Yang Hye-chan retentit dans le couloir :
« Vous auriez pas vu un foutu clébard passer par ici? »
« Je n’ai rien vu. » répondit Ji Yeong-bae sans ciller, d’un ton parfaitement neutre. Et à ce moment-là, Heeseong comprit pourquoi, dans les contes, les bûcherons reçoivent toujours des récompenses des cerfs enchantés. Il s’était retrouvé embarqué dans cette histoire sans l’avoir cherché, et pourtant, Ji Yeong-bae avait immédiatement pris son parti. Heeseong lui en était profondément reconnaissant.
Yang Hye-chan insista à plusieurs reprises, mais Ji Yeong-bae resta imperturbable, ses réponses aussi solides qu’un mur de pierre. Caché dans la jambe du pantalon, le petit chiot retenait son souffle, la queue frémissante de tension.
Et puis, Yang Hye-chan relança, d’une voix tenace qui s’accrochait comme une mauvaise odeur :
« Le clébard que Yoon Chi-young a ramené cette fois, c’est vrai qu’ils couchent ensemble ? »
Mais qu’est-ce qu’il a à s’acharner là-dessus, lui ?
Heeseong le trouvait vraiment pathétique. À fouiner comme ça pour grappiller des rumeurs sur son ex. Pendant ce temps, Ji Yeong-bae répondit calmement, d’une voix grave :
« Ce n’est pas à moi de répondre à ce genre de questions. »
« Ha, alors c’est qu’ils couchent ensemble. »
Le chiot, dissimulé, le regardait d’un air sidéré, se contentant de le trouver lamentable. Yang Hye-chan ne se doutait pas une seconde qu’il venait d’annoncer à l’un des gardiens les plus strictement monogames du clan des loups… qu’il avait enfin trouvé son compagnon de vie. Une information qui aurait tellement touché Yoon Chi-young qu’il en aurait sûrement caché son visage d’émotion.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・
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