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    Lorsqu’il reprit conscience, le crépuscule avait étendu son voile sur la ville. Une lumière rougeoyante filtrait à travers les vastes baies vitrées de la maison. Il cligna des yeux, encore engourdi, avant de reconnaître les lieux.

    C’est… La maison de Yoon Chi-young…

    Un long soupir lui échappa. Une douleur lancinante lui traversait la jambe, mais il se mordit l’intérieur des joues pour ne pas gémir et chercha l’horloge du regard. Trois jours s’étaient écoulés depuis l’accident.

    Un profond malaise l’envahit. Il baissa les yeux vers son corps.

    Il était sous forme humaine.

    Et vêtu d’un t-shirt beaucoup trop grand – celui de Yoon Chi-young –, ainsi que de sous-vêtements neufs. Sa queue blanche dépassait timidement sous l’ourlet du t-shirt. Une perfusion était branchée à son bras, et un plâtre plus imposant que le précédent entourait sa jambe.

    Heeseong resta figé.

    Yoon Chi-young l’avait vu.

    Il avait vu sa véritable apparence.

    Avec son odorat aigu et son esprit vif, il n’avait certainement pas eu besoin de confirmation pour comprendre que le petit chiot qu’il soignait était ce garçon blessé.

    « Non…  »

    Les lèvres tremblantes, Heeseong balaya la pièce du regard. Il ignorait pourquoi Yoon Chi-young l’avait ramené ici, mais aucune pensée rassurante ne lui vint.

    Peut-être voulait-il seulement prolonger le jeu. Ou se venger. Peut-être comptait-il s’en servir, comme d’un subalterne.

    Dans tous les cas, il ne pouvait pas rester.

    Clopinant tant bien que mal, il se dirigea vers le dressing attenant à la chambre. Il attrapa les premiers vêtements à portée de main et tenta de s’habiller à la hâte. Mais sa main resta suspendue dans le vide.

    Où pourrais-je aller ?… Où fuir, quand on n’a plus nulle part où revenir ?

    Il n’avait plus de foyer. Plus de frère. Ce dernier l’avait trahi, vendu à Kwon Ki-hyuk. Il avait même utilisé l’argent que Heeseong avait économisé avec acharnement pour rembourser une cargaison de drogue perdue. Il ne lui restait plus rien. Pas même un billet pour fuir.

    « … Putain…  »

    Les larmes qu’il s’efforçait de refouler embuèrent sa vision. Il avait tout enduré dans l’espoir de partir, d’échapper à l’organisation. Tout ça a été en vain.

    Et maintenant, le voilà de retour dans la tanière du loup.

    Clic

    Le son de la porte d’entrée retentit au loin, presque étouffé par l’espace trop vaste de la maison. Les oreilles de Heeseong se dressèrent malgré lui.

    C’était Yoon Chi-young.

    Pris de panique, il chercha du regard un endroit où il pourrait se cacher, puis se précipita en boitant dans la penderie. Les manteaux coûteux tombèrent sur lui tandis qu’il s’y enfonçait. Il enfila à la hâte l’un d’eux pour cacher son corps, sa forme humaine, et serra les dents jusqu’à en trembler pour contrôler sa respiration.

    Même s’il luttait pour ne faire aucun bruit, ses sens restaient en alerte.

    L’odeur de Yoon Chi-young se rapprochait. Et dans son sillage, un autre parfum, plus dense. Piquant. Métallique.

    Du sang.

    Il ne portait pas de parfum, ni même l’odeur du savon. Rien pour masquer. Juste le froid nocturne et ce sang frais, entêtant.

    Heeseong comprit.

    Il avait encore « réglé un compte ».

    Il aurait dû s’y habituer. Mais blessé comme il l’était, son instinct le trahissait. Ses doigts tremblaient. Sa queue blanche se replia, cherchant à se dissimuler entre ses jambes.

    « Ha…  »

    Le soupir de Yoon Chi-young se fit entendre tout près. L’odeur de sang, âcre et épaisse, devint plus forte.

    Heeseong se recroquevilla davantage dans le placard. Il savait pertinemment que le loup, avec son odorat redoutable, finirait par le repérer, mais l’instinct de survie le poussait à cacher son corps.

    Les pas s’approchèrent lentement, puis s’arrêtèrent juste devant la porte coulissante. L’odeur familière de Yoon Chi-young était si proche qu’elle paraissait l’envelopper.

    « S’il ouvre… Je le frappe et je cours. »

    Il n’avait plus d’illusions. L’affection du loup cannibale ne s’adressait qu’au chiot — pas à « Heeseong ». Et puisqu’il avait décidé de ne plus vivre comme un animal docile, il devait fuir. Il n’avait plus rien à quoi se raccrocher.

    Plus de meute. Plus de famille. Plus de plan de secours.

    Seul.

    Rien qu’à cette pensée, ses forces le quittèrent. Comme un chiot vidé de toute volonté.

    Swish.

    La porte du dressing s’ouvrit lentement. Heeseong, enfoui sous les lourds manteaux de Yoon Chi-young, cachait ses larmes dans le tissu. Un moment passa sans un mot.

    Puis une voix douce :

    « Petit chiot. »

    Le bord du manteau fut soulevé avec précaution, dévoilant les cheveux noirs en bataille et les deux petites oreilles blanches repliées. La tête enfouie dans ses genoux se redressa lentement. Et dans un regard mêlé de frayeur et de défi, Heeseong rencontra les yeux de Yoon Chi-young.

    La chemise de ce dernier était tachée de sang, mais son visage arborait un sourire calme, presque tendre. Il s’accroupit pour se mettre à hauteur du garçon.

    Alors Heeseong tenta une dernière échappée, un dernier acte de rébellion :

    « Va-t’en…  ! »

    Il lança son poing de toutes ses forces — un geste vif et précis, malgré sa stature frêle.

    Mais Yoon Chi-young le saisit sans mal. Pire : la tension du geste le tira dans ses bras.

    Les yeux noirs de Heeseong, grands ouverts, étaient à présent à quelques centimètres du visage de l’homme.

    « Lâche-moi ! T’es taré, espèce de— ! »

    Ses mots moururent contre des lèvres brûlantes. Yoon Chi-young scella la distance avec un baiser brutal, passionné, mêlé de sang. Sa langue glissa contre celle de Heeseong, qui resta figé, comme frappé par la foudre. Il tenta de le repousser, mais la force de ses bras ne suffisait pas. Pas contre lui.

    Ce n’était pas un baiser. C’était une morsure douce, un piège…

    « Ha… Haa…  »

    À mesure que leurs langues se frôlaient, le corps de Heeseong se replia plus loin dans le placard. Yoon Chi-young enlaça fermement sa taille, le soutenant d’un bras tandis que l’autre maintenait son poing toujours contracté.

    Malgré lui, la tension se dissolvait peu à peu.

    Ses oreilles de chiot, demi-pliées, tremblaient à chaque souffle.

    Heeseong gardait les yeux ouverts, écarquillés, sans comprendre ce qui lui arrivait. Yoon Chi-young posa doucement une main sur ses paupières pour les fermer.

    Et enfin, Heeseong s’effondra doucement dans le tas de vêtements.

    Au-dessus de lui, Yoon Chi-young le contempla, le vrai Heeseong, et sourit.

    « Tu m’attendais ? »

    « …  »

    Heeseong, étendu dans les manteaux de luxe, cligna des yeux sans répondre. Ses lèvres s’entrouvrirent à peine. Et ce visage agaçant le scrutait toujours avec la même tendresse déroutante.

    « Tu n’as pas changé… Même sans ton pelage. »

    Même face à ces mots embarrassants, Heeseong resta sans voix. Ses sourcils, d’ordinaire froncés avec fureur, s’étaient inexplicablement relâchés, laissant apparaître de grands yeux noirs, ronds et perdus, comme ceux d’un chiot.

    Devant cette expression fragile, Yoon Chi-young éclata d’un rire cristallin, les yeux plissés de plaisir. L’expression hébétée de Heeseong était exactement la même que celle qu’il avait lorsqu’il était un chiot.

    « Toi… Tu…  »

    « Oui ? » répondit Yoon Chi-young, comme si tout cela lui paraissait parfaitement normal.

    Mais contrairement à l’époque où il ne pouvait que japper ou gémir, cette fois, Heeseong pouvait parler. Et il exprima ce qu’il pensait de ce tout premier baiser à sa manière :

    « T’es… Complètement taré, hein…  ? »

    Yoon Chi-young, secoué par l’hilarité, enfouit son visage dans l’épaule de Heeseong, incapable de retenir son rire.

    Un chiot qui parle… C’est encore plus mignon que je l’imaginais.


    Finalement, Heeseong fut extrait du placard dans les bras de Yoon Chi-young. Même lorsque ce dernier lui enfila un T-shirt trop grand, se changea, puis l’installa à la table à manger, Heeseong resta figé, inerte.

    Au départ, c’était parce que cela lui semblait normal d’être porté ainsi. Ensuite, parce que cette normalité le choqua.

    … Il devait pas me retrouver pour me tuer ?

    Cette idée, qu’il avait toujours crue évidente, s’imposait maintenant comme une énigme.

    Il avait cru que, si le chiot qu’il avait chéri n’était qu’un métamorphe déguisé, Yoon Chi-young se sentirait trahi. Qu’il le rejetterait, qu’il exploserait même de colère.

    Mais rien. Pas la moindre animosité.

    « Tu n’as pas faim ? C’est l’heure, non ? »

    « …  »

    À cette question douce, Heeseong resta silencieux, presque absent, pendant que Yoon Chi-young l’aidait à s’asseoir. Sans même s’en rendre compte, il s’était retrouvé sur les genoux de l’autre. Son esprit était trop embrouillé pour remarquer quoi que ce soit d’étrange.

    Il m’aime à ce point…  ? Même en sachant que je suis un métamorphe ?

    Tentant de saisir la situation, Heeseong fit tourner ses pensées dans tous les sens.

    Et, enfin, une hypothèse logique s’imposa :

    Il veut me garder comme ça. Sous forme de chiot.

    Ça collait. Des métamorphes aussi petits que lui étaient rares. Et connaissant le grain de folie de Yoon Chi-young, il ne voyait pas d’autre explication. Le garder comme simple animal était la meilleure façon de le posséder… Sans jamais l’affronter comme égal.

    Alors qu’il se faisait nourrir à la cuillère, Heeseong ne put s’empêcher de poser la question qui le rongeait :

    « Pourquoi tu fais comme si tout était normal ? »

    « Normal ? » répéta Yoon Chi-young en penchant la tête, comme s’il ne comprenait vraiment pas. Sa voix, douce et détendue, caressa l’oreille de Heeseong, qui en eut un léger frisson.

    Je suis un chien de combat.

    Soudain, Heeseong bondit hors de ses bras, les oreilles dressées, la méfiance à fleur de peau. Il se planta contre la chaise voisine, le regard farouche :

    « Tu comptes me garder en chiot, c’est ça ? »

    « Hein ? Qu’est-ce que tu racontes ? »

    « Alors pourquoi tu fais comme si de rien n’était ? » lança-t-il, canines visibles, la voix tremblante de rage.

    Mais même cette colère ne sembla pas troubler Yoon Chi-young. Il le regarda avec une sincère incompréhension, l’air légèrement égaré.

    Alors Heeseong, frustré, hurla presque, comme pour le réveiller :

    « J’AI FRAPPÉ TON VISAGE ! »

    « Ah… Ça. »

    La voix de Yoon Chi-young, calme et presque pensive, flotta dans l’air. Heeseong le fixait, le cœur au bord des lèvres.

    Les yeux gris de l’homme se perdirent un instant dans le vide, comme s’il contemplait une étoile lointaine.

    Puis, un mince sourire effleura ses lèvres.

    « C’était… Vraiment grisant. »

    « …  »

    « J’étais furieux, mais mon cœur battait tellement fort… Est-ce que c’est à ce moment-là que tout a commencé ? »

    L’expression de Heeseong était un mélange de choc, de surprise et d’un profond sentiment de misère. Mais même ce regard-là, Yoon Chi-young y était habitué. Il sourit avec désinvolture tout en continuant de lui donner la becquée.

    Heeseong avala machinalement la bouillie aux œufs, puis sursauta brusquement. Il détestait s’être habitué au contact de ce type.

    Il n’était pas le chiot de quelqu’un.

    « Arrête de me nourrir ! »

    Il attrapa la cuillère que Yoon Chi-young approchait encore de ses lèvres. N’en pouvant plus, Heeseong tira violemment sa chaise vers l’arrière pour mettre de la distance. Sa queue était raide, son pelage hérissé. Serrant la cuillère comme une arme, il lança d’un ton féroce :

    « Alors toi… Pendant tout ce temps…  »

    Le visage cramoisi, il bégaya de colère, mais surtout d’humiliation.

    « Tu savais que j’étais le chiot, et tu m’as élevé comme un animal de compagnie ? ! »

    « Moi ? Quand donc ? »

    Yoon Chi-young ouvrit de grands yeux, faussement étonné. Assis avec nonchalance, les jambes croisées, il plissa les yeux et afficha un sourire élégant.

    « Je t’ai toujours élevé comme un amant. »

    « Espèce de taré ! »

    C’était bien ce qu’il pensait. Ce type était un loup rusé, manipulateur. Il avait été prévenu par son frère et par ce connard de Park Geon-tae, mais il avait oublié. Heeseong le fusilla du regard comme s’il allait le tuer, toujours cramponné à sa cuillère.

    Donc, Yoon Chi-young savait depuis le début qu’il faisait semblant d’être un chiot. Non seulement il était rusé, mais aussi dangereux. Heeseong, les oreilles frémissantes de honte, serra les dents et demanda :

    « Alors pourquoi t’as fait comme si tu ne savais pas que j’étais un métamorphe ? »

    « Eh bien…  »

    Yoon Chi-young détourna légèrement la tête, l’air embarrassé. Il ouvrit la bouche avec hésitation, puis répondit, la voix teintée d’une étrange pudeur :

    « Parce que tu étais trop mignon… Je voulais te garder près de moi…  »

    « Tu, tu…  »

    Heeseong n’arrivait même plus à l’insulter. La colère qu’il avait contenue jusqu’ici lui oppressa brutalement la poitrine.

    Il porta une main à son torse, le visage crispé. C’était plus supportable quand il était un chiot muet, incapable d’échanger avec Yoon Chi-young. Maintenant qu’ils pouvaient parler, mille rancunes bouillonnaient en lui.

    « Aah…  »

    Mais la douleur refusait de se calmer. Avec la blessure qu’il traînait, même la moindre stimulation devenait insoutenable. Une main crispée contre sa poitrine, Heeseong vacilla, chancelant. Yoon Chi-young se leva d’un bond pour le rattraper et l’enveloppa aussitôt dans ses bras.

    « Ça va, mon amour ? »

    « Ne me touche pas… C’est à cause de toi… Si j’ai encore plus mal…  »

    Il avait sans doute encore mal à l’estomac à cause du coup qu’il avait reçu. Pour l’instant, il gémit faiblement contre le torse de Yoon Chi-young. Son corps étant déjà faible, maintenir sa forme humaine tout en étant blessé devenait trop difficile.

    « Je… Je…  »

    « Je vais appeler un médecin. Allons au lit. »

    « C’est bon… Laisse-moi juste me reposer… Et ferme-la…  »

    Tandis qu’il parlait et gémissait, le corps de Heeseong s’effondra peu à peu. Comme s’il l’avait anticipé, Yoon Chi-young le serra doucement contre lui.

    Et lorsqu’il rouvrit les yeux, baigné de sueur froide, Heeseong comprit ce qui venait de se passer.

    … Wouf.

    Il était redevenu un chiot. Affalé dans la main de Yoon Chi-young, le museau baissé, l’air dépité. Il s’attendait à devoir reprendre sa forme d’origine à cause de sa blessure, mais pas en étant aussi rongé par la rage.

    Tout ça, c’est à cause de toi…  !

    « Tu te sens un peu mieux ? »

    Comment tu veux que j’aille mieux, espèce de psychopathe ?

    Même à cette question inquiète, le chiot montra les crocs et le fixa férocement. Mais Yoon Chi-young, attendri par cette petite boule de poils furieuse, baissa la tête et mordilla doucement sa tête blanche comme s’il voulait le croquer, sans faire mal.

    Et maintenant, même à ça, le chiot s’était habitué. Il restait là, immobile, résigné.

    Yoon Chi-young était vraiment toujours le même. Peu importait la forme que prenait Heeseong.

    Au point que c’en était désespérant.


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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