24. Chiot d’un jour ⋄ Partie 18
par Ruyi ♡Quand Heeseong était enfant, il était d’une fragilité extrême.
Il suffisait du moindre manquement dans la préparation de ses repas pour qu’il les régurgite aussitôt. Il vomissait tout, encore et encore, et finissait souvent à l’hôpital. Mais sa famille, trop pauvre, ne pouvait l’y emmener comme il l’aurait fallu. Alors, Heeseong s’affaiblissait un peu plus chaque jour.
À l’inverse, son petit frère débordait de vitalité. Tandis que Heeseong peinait à avaler le moindre repas, son cadet grandissait à vue d’œil et, très tôt, le rattrapa en taille.
Un jour, son père et son frère quittèrent la maison, traînant derrière eux de gros bagages. Sa mère, silencieuse, le serra longuement dans ses bras, dissimulant son visage.
« Heeseong, mon petit Heeseong… »
Il vit les larmes couler sur ses joues, mais cela ne le bouleversa pas : elle pleurait souvent. Pourtant, voir sa mère pleurer lui faisait toujours plus de peine que sa propre douleur.
Elle lui tendit alors une poignée de friandises, celles-là mêmes qu’elle lui interdisait d’ordinaire.
« Si tu as faim… Mange ça. Et attends ici. »
« D’accord ! »
Heeseong hocha la tête avec enthousiasme, fasciné par la montagne sucrée. Même s’il savait qu’il finirait par vomir, l’idée de pouvoir tout manger, librement, sans la présence oppressante de son père, suffisait à le réjouir.
Mais soudain, son père cria depuis l’extérieur, furieux :
« Qu’est-ce que tu fous ? Dépêche-toi ! »
« Chéri… »
« Sors. Celui-là est trop faible, on ne peut pas l’emmener ! »
Heeseong ne bougea pas. Il savait depuis longtemps que son père ne l’aimait pas.
Sa mère lui caressa doucement les joues, murmura une excuse, puis s’éloigna. Il entendit les voix des adultes s’échanger encore quelques mots, le ton montait, puis le grondement d’un moteur résonna. Enfin, le silence.
Ils ne revinrent jamais.
Ni ce jour-là, alors qu’il vomissait les friandises englouties trop vite, ni celui où il mit de côté un paquet pour son petit frère. Il voulut appeler sa mère, mais aucun appareil dans la maison ne fonctionnait correctement.
Peu à peu, le quartier s’éteignit. Les voisins partirent comme s’ils fuyaient quelque chose. Sur les murs, on peignit en rouge les lettres fatales : « DÉMOLITION ». Même en pleine journée, la rue semblait figée dans l’abandon. Un jour, pris de faim, Heeseong sortit avec quelques pièces en poche, mais le petit supermarché qu’il fréquentait était fermé. Puis l’électricité fut coupée.
Il ne pouvait rien faire, seul.
Il tenta de partir chercher de l’aide, mais un homme au ventre proéminent essaya de l’attraper de force. Pris de panique, Heeseong courut se réfugier chez lui, où il se recroquevilla dans un coin.
Maman m’a dit d’attendre…
Alors, il attendit. Pour économiser ses forces, il se transforma en chiot. À vrai dire, sans argent, il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre.
Les jours passèrent. Son corps s’épuisait.
Jusqu’à ce que la porte soit brutalement ouverte par des hommes en chaussures sales – des gangsters.
« C’est quoi, ce clebs ? Il est mort ou quoi ? »
« C’est pas un métamorphe, ce machin ? »
Ils déambulaient dans la maison, sans gêne. Parmi eux, son frère. Il paraissait plus jeune, plus frêle que dans ses souvenirs, mais il portait les mêmes fringues que les autres truands.
L’un des hommes attrapa le chiot famélique et lui tourna les yeux pour vérifier s’il vivait encore.
« Sérieux ? Ce machin respire encore ? »
« Il a survécu tout ce temps ? »
Ils semblaient prêts à l’abandonner là, mais, sans raison apparente, son frère le prit dans ses bras. Il déclara que ce chiot lui rappelait son enfance.
Pendant quelques jours, Heeseong mangea. Lentement, il revint à lui.
À peine redevenu humain, il murmura d’une voix sèche :
« Et… Maman ? »
Un vieil homme près de son frère soupira, exaspéré.
Son frère, lui, tapa doucement sur sa joue creuse et répondit d’un ton amer :
« Écoute bien : tu as été abandonné. Tu comprends ? »
Il ne répondit rien.
Il ne pleura pas.
Il avait longtemps refusé de croire à cette évidence, mais il l’accepta finalement comme on accepte une fin d’année scolaire. C’était un moment qui devait arriver, tôt ou tard.
Et ce jour-là, il comprit une chose :
Quand on est faible et malade, la meute vous rejette.
Son frère déclara qu’il serait utile à l’organisation, et il l’accueillit. Les autres le regardaient de travers, mais Heeseong s’efforça de se rendre indispensable.
Il cacha ses failles, dissimula sa fragilité. Il copia les chiens de combat, ceux qui ne pliaient pas devant le monde, et n’exposa jamais son côté vulnérable — même à son frère.
Le temps passa. Heeseong devint adulte. Et dans l’environnement qu’on lui avait imposé, il fit tout ce qu’il put, avec ce qu’il avait.
Pourtant, Heeseong fut abandonné une seconde fois. Parce qu’il ne correspondait plus aux attentes de son frère. Parce que, pour lui, il n’avait plus aucune utilité. Comme si quelqu’un comme lui avait jamais été capable de voir la vraie valeur de Heeseong.
Plongé dans un désespoir profond, même l’inconscience ne le préservait pas. Les cauchemars revenaient sans cesse, le hantant comme des ombres qu’on ne peut fuir.
Des souvenirs entremêlés, douloureux : des coups violents frappés à la porte d’une maison vide, des mains rugueuses surgissant de l’obscurité, l’empoignant sans ménagement, la voix railleuse de son frère résonnant dans l’ombre :
« Heeseong. Tu peux bien endurer un peu, non ? »
Dans ce cauchemar, Heeseong se tenait face à lui, le visage inondé de larmes, pleurant de haine devant une réalité trop cruelle.
Cette nuit-là était la plus silencieuse depuis que le chiot partageait sa vie. Yoon Chi-young, figé près du lit, contemplait Heeseong recroquevillé sur les draps. Son regard, d’ordinaire calme, s’était durci, chargé d’une gravité inhabituelle.
Il l’avait retrouvé trop tard.
Grâce à la surveillance mise sur Park Gun-tae, il avait pu suivre la trace de Kwon Ki-hyuk. Mais à son arrivée, le chiot était déjà couvert de blessures.
Jamais il n’aurait imaginé que Kwon Ki-hyuk irait aussi loin. Avec un père sur le point d’être incarcéré, il pensait que le garçon aurait freiné ses pulsions. Il s’était trompé. Kwon Ki-hyuk, refusant d’affronter la chute imminente de son monde, avait fermé les yeux et s’était acharné à garder ce qu’il croyait posséder — jusqu’à emmener Heeseong avec lui.
Le retrouver dans ce motel minable relevait du miracle. Rien qu’à penser à ce qu’il aurait pu devenir sans cette intervention, un frisson parcourut l’échine de Yoon Chi-young. Sa mâchoire se crispa, ses oreilles de loup apparurent d’un noir d’encre, et ses crocs jaillirent, transperçant involontairement sa lèvre inférieure.
« … »
Peut-être parce que ses blessures étaient moins graves qu’elles n’en avaient l’air, ou parce qu’il s’accrochait encore un peu à la conscience, Heeseong avait brièvement retrouvé forme humaine avant de s’effondrer à nouveau. Mais aux yeux de Yoon Chi-young, il restait ce chiot fragile, si petit, si doux.
Il effleura les oreilles blanches apparues dans ses cheveux noirs, puis essuya la sueur glacée qui perçait sur son front. Heeseong gémit, agité dans son sommeil. Des cauchemars, encore.
« M’… M’man… »
Yoon Chi-young posa une main sur sa joue brûlante. Voir ce corps qu’il avait protégé avec tant de soin réduit à l’état de loque lui tordait le cœur.
Au contact de cette chaleur, Heeseong gémit, d’une voix brisée :
« Je… Je ne suis pas malade… »
« … »
« Emmenez-moi aussi… Je serai sage… »
Le visage de Yoon Chi-young se contracta sous l’effet d’une douleur sourde. Les loups sont censés masquer leurs émotions, mais cette fois, c’était au-dessus de ses forces. Ces mots… Ces mots en disaient bien trop long sur la solitude du chiot abandonné.
D’une voix inhabituellement glaciale, il murmura :
« Qui viendrait encore te chercher ? »
« … Ugh… »
« Tu vas devoir rester ici avec moi pour toujours, maintenant. »
À ces mots sans appel, Heeseong trembla, les paupières toujours closes. Perdu au cœur d’un cauchemar douloureux, il tendit pourtant la main pour agripper avec force la manche de Yoon Chi-young.
Celui-ci baissa les yeux vers cette main crispée, puis écarta doucement les mèches noires collées à son front trempé de sueur. Alors, juste cette fois, il murmura d’une voix étonnamment douce :
« Contente-toi d’être un chiot inutile. »
« … »
« Un chiot bien nourri, avec un fichu caractère. »
Comme si ces mots résonnaient avec une tristesse amère, les traits de Heeseong se décomposèrent, frémissants, comme s’il allait éclater en sanglots. Mais il ne se réveilla pas. Il se replia simplement un peu plus sur lui-même. Dans la pénombre, son corps paraissait minuscule, perdu dans l’immensité du lit.
Yoon Chi-young l’attira contre lui, comme toujours, et essuya les larmes perlant au coin de ses yeux. Réconforté par cette chaleur familière, Heeseong cessa enfin ses gémissements et s’abandonna à un sommeil profond.
Swish
Quand il fut sûr que le chiot dormait paisiblement, Yoon Chi-young se leva en silence.
Il aurait voulu rester auprès de lui, mais un devoir l’appelait. Il avait quelque chose à préparer. Quelque chose de spécial. Il enfila son manteau, s’assit un instant au bord du lit, puis se pencha doucement vers le garçon endormi.
« Je reviens tout de suite. »
Sur ces mots chuchotés, il déposa un baiser sur la petite tête et quitta la pièce. La nuit était bien avancée, mais peu importait. C’était, de toute façon, à cette heure que Yoon Chi-young sortait chasser.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・
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