22. Chiot d’un jour ⋄ Partie 16
par Ruyi ♡Yoon Chi-young se réveilla plus tôt que d’habitude.
En temps normal, lorsque ses phéromones s’intensifiaient, il prenait des médicaments puissants qui le plongeaient dans un sommeil profond. C’était donc étrange.
À peine éveillé, il tendit machinalement la main vers l’espace à côté de lui. Mais la petite boule de poils qui aurait dû s’y trouver n’était pas là. Yoon Chi-young se redressa à moitié, déconcerté. Le chiot était si petit qu’il fallait parfois du temps pour le repérer, même sur le lit.
« … Toutou ? »
Le visage fermé, Yoon Chi-young se redressa complètement. Pris d’un mauvais pressentiment, il jeta un coup d’œil autour de lui et concentra son attention sur les odeurs, révélant ses oreilles de loup noir sensibles et dressées.
Mais il ne parvenait pas à localiser le chiot. L’odeur était partout dans la maison, ce qui rendait la tâche d’autant plus difficile.
Ses yeux, désormais entièrement ouverts et acérés, scrutèrent l’intérieur. Bien que les loups n’expriment généralement pas leurs émotions par leur queue, celle de Yoon Chi-young, noire et touffue, frémissait d’inquiétude.
Il n’y a aucune raison pour qu’Heeseong parte de lui-même.
Il savait que le chiot avait été troublé par les hurlements de leurs congénères plus tôt dans la journée. Pourtant, Yoon Chi-young avait cru qu’Heeseong resterait à ses côtés. Il lui faisait confiance. Le chiot était vulnérable à l’affection — il l’avait bien remarqué.
C’est pour cela que Yoon Chi-young s’était volontairement montré sous un jour faible, laissant transparaître la douleur causée par ses phéromones, sans rien dissimuler. Ainsi, le chiot restait dans ses bras, appuyant sa petite tête contre sa joue. C’était attendrissant. Il l’avait dorloté exprès, convaincu qu’il finirait par s’attacher et qu’il serait incapable de partir.
Et à présent, il croyait qu’Heeseong dépendait réellement de lui.
Il était persuadé que le chiot refuserait de retourner dans cette sale tanière de jeu. Mais malgré tout, il avait disparu.
« Ha… »
Comme s’il n’avait jamais été inquiet, Yoon Chi-young passa brutalement sa main dans ses cheveux. Ses yeux gris lançaient des éclairs glacés. Des veines palpitaient déjà sur son front, et sa respiration se fit plus profonde.
Park Geon-tae.
Comment ce fichu chien de combat a-t-il pu manigancer tout ça ?
Il n’y avait vraiment plus aucun signe du chiot dans la maison. Ce qu’il découvrit à la place, ce furent des traces de sang d’Heeseong, laissées dans le couloir, devant la salle de home cinéma.
Le visage tendu, Yoon Chi-young se dirigea vers le salon. Ne trouvant pas son téléphone, il attrapa une tablette à portée de main. Assis sur le canapé, il l’alluma et lança les enregistrements de vidéosurveillance — ceux du parking de sa maison.
Lorsqu’il fit avancer les images, la silhouette du chiot apparut, minuscule sur l’écran. Il boitait en portant un paquet aussi grand que lui. Le voir ainsi, chancelant dans le froid glacial de décembre, était déchirant. Il était sorti malgré ses blessures.
Le front plissé, Yoon Chi-young se leva d’un bond.
La destination du chiot ne faisait aucun doute. Le tripot du clan des chiens. Il était temps d’y retourner… Après tout ce temps.
Heeseong, arrivé au casino clandestin, s’efforça de ne penser à rien. Il avait traversé les ruelles crasseuses pieds nus, pour entrer discrètement par l’arrière, la porte réservée au personnel.
L’odeur de moisi du lieu, qu’il n’avait pas sentie depuis longtemps, l’écœura.
Il n’avait qu’une pensée en tête.
Est-ce qu’il existe vraiment un moyen pour mon frère et moi de fuir cet endroit ?
Mais ce retour précipité ne ferait sans doute qu’éloigner davantage toute issue possible.
« Heeseong, t’es là ? »
En entrant dans le bureau, son frère écrasa sa cigarette sur le bureau et se leva précipitamment. Park Geon-tae s’approcha à grandes enjambées, examina Heeseong, qui grelottait de froid, et lui posa un vieux pull sur les épaules. Les gardes, qui le fixaient comme un traître, reculèrent aussitôt. La gorge nouée, Heeseong sentit les larmes monter. Il s’excusa le premier, ce qu’il faisait rarement.
« … Désolé. Frérot. »
« Ouais, tu devrais. T’as aucune idée de l’inquiétude que tu m’as foutue, espèce de con. Même pas foutu de me contacter ? Hah… »
« … »
Heeseong baissa les yeux et mordit fort sa lèvre. Il n’était pas du genre à pleurnicher ou montrer sa faiblesse. Pourtant, en entendant la voix de son frère, ses yeux s’embuèrent malgré lui.
Son frère ne lui posa aucune question. Et quelque part, Heeseong lui en fut reconnaissant. C’était comme s’il reconnaissait silencieusement la difficulté qu’il avait traversée.
« Bois ça d’abord. Tu es rentré maintenant, alors détends-toi un peu. »
« … D’accord. »
Park Geon-tae lui versa un verre. Heeseong s’essuya discrètement les yeux et s’assit sur le vieux canapé en cuir. Il grinça sous son poids, dévoilant par endroits la crasse incrustée du sol. Ce n’est qu’à cet instant que la réalité du retour au casino le frappa de plein fouet.
Son frère s’installa en face de lui. Il observa Heeseong boire en silence, ses yeux empreints d’une étrange compréhension, puis il prit la parole d’un ton plus doux.
« Heeseong… Tu as dû en baver, tout ce temps. »
« … Non. C’est toi qui as dû souffrir. »
Il s’en voulait terriblement. Il savait que son frère avait pris des risques à cause de lui, qu’il avait même hurlé dans le territoire des loups pour tenter de le retrouver. Il lui en était reconnaissant.
Park Geon-tae jeta un œil aux vêtements bien trop grands que portait Heeseong, puis demanda prudemment :
« Tu étais vraiment avec Yoon Chi-young tout ce temps ? »
« … Oui. »
« Comment ça s’est passé ? Ce salaud t’a forcé à… Vendre ton corps ou quoi ? »
« Ah, non. J’étais blessé, je vivais sous forme de chiot… Et Yoon Chi-young… M’a juste traité comme un animal de compagnie. »
À ces mots, Park Geon-tae poussa un soupir de soulagement évident.
« Un animal de compagnie, hein… Tant mieux. »
« … »
Heeseong eut envie de corriger ce mot. Animal de compagnie sonnait faux, douloureux. Il ne pouvait pourtant pas prétendre que leur relation allait au-delà. Yoon Chi-young l’avait vraiment traité comme un chiot, sans rien exiger de lui.
Peut-être était-ce pour ça qu’il s’était senti si bien là-bas.
À cette pensée, Heeseong secoua la tête. Il était revenu auprès de son frère. Il ne devait plus se laisser envahir par de telles idées.
Alors qu’il terminait son verre, la gorge en feu, Park Geon-tae reprit, cette fois sur un ton plus sec :
« Bref. Pour lui, t’étais juste un chien. »
« … »
« Donc c’est bon, Heeseong. Tu peux réintégrer l’organisation. »
Aucune joie ne naquit dans son cœur. Pendant cinq ans, il avait répété à son frère qu’il voulait partir d’ici. Fuir ensemble. Avec les économies qu’il avait mises de côté, ils auraient pu s’en sortir.
Mais tout s’écroula avec la phrase suivante :
« Frérot. On pourrait encore… Même maintenant… »
« La moitié du trou laissé par la marchandise volée a été comblée avec tes économies. On va recommencer à zéro avec le reste, Heeseong. »
Le cœur de Heeseong s’arrêta.
« … Quoi ? »
Son frère avait pris tout l’argent. Ces cinq années de sacrifices, d’économies, réduites à néant. Avalées. Comme autrefois, avec Kwon Ki-hyuk.
Il le fixa, incapable de penser.
Tu as englouti tout ce que j’avais mis de côté… Et tu veux que je rembourse encore la moitié ?
Avec quoi ? En faisant le boulot le plus merdique ?
Heeseong se leva en chancelant, incapable de dire si c’était le désespoir ou sa jambe blessée qui le faisait vaciller. Il balbutia, la voix pleine d’incrédulité :
« M-mon argent… Pourquoi ? Frérot, je… Je suis la victime ici. »
« Heeseong… »
« Avec cet argent, on devait acheter une maison. Fuir ensemble. Pourquoi, bordel ? Pourquoi tu m’as fait ça ? »
Ils avaient fait cette promesse trois ans plus tôt. Park Geon-tae s’en souvenait parfaitement.
Mais aujourd’hui, il ne voulait plus fuir avec son frère. Il voulait une maison, oui — mais avec la femme qu’il aimait.
« Pourquoi, bon sang ? ! »
« Heeseong… Pourquoi tu cries ? Tu crois encore que t’es la victime, maintenant ? »
« Alors quoi ? Je suis quoi, hein ? »
Park Geon-tae, qui le fixait d’en haut, poussa un long soupir. Il avait l’air de regarder un gamin capricieux. Son visage se durcit, plus froid que jamais.
« Tu crois pas que tout ça, c’est à cause de toi ? »
« … Quoi ? »
« T’as perdu la marchandise, et moi, je me démène pour arranger les choses. Pourquoi tu fais tout ce cirque, hein ? »
Installé sur le canapé comme un voyou, Park Geon-tae sortit une cigarette de sa poche et la coinça entre ses lèvres. Heeseong tituba jusqu’à lui et le fusilla du regard.
« Putain… Frérot. »
Clac !
Il envoya valser le briquet d’un revers de main, violemment.
« Parle-moi en face. Comme un homme. »
« Ah… Ce foutu caractère. »
Park Geon-tae ricana, comme si tout ça l’amusait. Heeseong, lui, était à bout de souffle, les épaules tremblantes, les yeux injectés de rage.
Pendant cinq ans, il avait économisé. Travaillé comme un chien, jour et nuit, pour des clopinettes. Il avait encaissé l’humiliation des clients, les insultes, les coups, pour une seule chose : cette foutue promesse.
Et pourtant, il avait tout remis à l’organisation. Et maintenant ? On lui disait de tout recommencer. Comme si rien n’avait compté.
Comme si tout ce qu’il avait enduré n’était qu’un détail.
Son frère lui tapota l’épaule, comme pour le consoler.
« Heeseong. T’étais censé crever dès ton retour, mais j’ai plaidé ta cause. Grâce à moi, ils ont fermé les yeux. Si t’avais juste fait ton boulot comme il faut… »
« Je t’ai dit que c’est pas de ma faute ! On m’a attaqué, des types sortis de nulle part— »
Bam
Ses genoux cédèrent.
Ce n’était ni la douleur, ni le désespoir.
C’était… Autre chose. Une faiblesse brutale, comme si son corps avait lâché prise d’un coup.
« Frérot… Je… Mon corps… »
« La drogue met du temps à agir, hein. »
Les yeux de Heeseong s’écarquillèrent. Il tenta de relever la tête, mais la force l’avait quitté. Il bascula sur le côté, s’effondrant sur le sol crasseux de la salle de jeux.
Et là, il comprit. L’alcool. Celui que son frère lui avait donné plus tôt.
Il était drogué.
Il voulut crier, mais seul un râle sortit de sa gorge. Ses doigts grattèrent le sol, désespérément. Son regard, embué, se fixa sur Park Geon-tae. Il luttait contre le sommeil qui le tirait vers le néant, comme un chien battu qui refuse de mourir sans comprendre.
Il murmura, dans un dernier souffle :
« … Pourquoi ? Frérot… Pourquoi moi… ? »
« Putain, Heeseong… Tu sais tout ce que j’ai fait pour toi ? »
Park Geon-tae traîna brutalement le corps inerte de son frère, les nerfs à vif.
« Je t’ai ramassé à moitié crevé dans la rue, je t’ai nourri, élevé ! Et toi, t’es même pas foutu de comprendre ce que c’est que donner en retour ? ! »
Ces reproches, Heeseong les avait entendus mille fois. Des mots ressassés chaque fois que son frère était bourré. C’était pour cette raison qu’il était resté dans ce foutu tripot qu’il haïssait jusqu’à la moelle.
Mais ce furent les phrases suivantes qui révélèrent enfin la vérité.
« Quand un client te demande de sucer, tu suces. Et s’il veut que tu t’écartes, tu t’exécutes. T’imagines combien de clients et de ventes j’ai perdus à cause de ton sale caractère ? ! »
« … Ugh… »
« Si t’avais été un peu plus docile dès le début, nos revenus auraient triplé, connard. »
Et là, Heeseong comprit.
Son frère ne l’avait jamais gardé par amour.
Il l’avait peut-être sauvé par impulsion, au début… Mais il avait investi en lui pour son joli minois. Une marchandise, voilà ce qu’il était devenu.
Frérot m’a laissé tomber depuis longtemps…
Heeseong s’effondra, vidé de toute force, des larmes muettes roulant sur ses joues. Il se dégoûtait d’avoir cru à cette illusion. Il s’était accroché à un endroit qui n’en valait pas la peine, comme à une dernière bouée. Rejeté une fois par sa famille, il s’était désespérément agrippé à la seule personne qu’il croyait encore pouvoir appeler « famille ».
En voyant ses larmes misérables, Park Geon-tae soupira, presque avec amertume.
« Je suis désolé, Heeseong… Mais si t’avais fait ce qu’on te demandait, on n’en serait pas là. »
Ça aurait été plus simple sans cette pitié tordue.
Cette compassion bancale, ce semblant de tendresse qui l’avait maintenu enchaîné dans ce trou à rats… C’était plus immonde que la trahison elle-même. Heeseong, vidé mais lucide, le fixa de ses yeux rougis par la haine.
Park Geon-tae détourna le regard. Sans un mot, il lui noua les poignets derrière le dos, comme on attache un sac de viande.
Même à l’orée de l’inconscience, Heeseong ne comprenait pas. Pourquoi m’attacher ? Pourquoi ?
Dans le bureau, Park Geon-tae s’adressa à un inconnu – un homme qui ne bossait pas ici.
« Fais en sorte que personne ne voie rien. Et passe par la sortie côté cuisine. Pas la porte de derrière. »
Heeseong lutta, ses yeux écarquillés, les veines tendues, tentant désespérément de bouger. Mais c’était trop tard. Son corps, ficelé dans un tissu rugueux, fut hissé sur une épaule comme un vulgaire fardeau.
Non… Si je m’endors maintenant…
Il essaya encore. Un mouvement, un son, n’importe quoi. Mais son esprit sombrait déjà. Incapable d’ouvrir les yeux, ses paupières frémirent une dernière fois avant de céder.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・
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