AE • Chapitre 03 – Cette lettre d’amour appartient à Chen Jingshen
by Ruyi ♡En entendant le brouhaha, quelques élèves alentour jetèrent des regards furtifs dans leur direction.
Yu Fan, lui, se fichait pas mal de sa place dans le rang. Si Zhuang Fangqin le lui avait demandé, il n’aurait eu aucun problème à se mettre tout devant.
Si ç’avait été quelqu’un d’autre, il se serait déplacé sans même lever la tête.
Il fixa l’élève devant lui :
« Tu vois avec quel œil que je suis plus petit que toi ? »
Chen Jingshen baissa les yeux, puis les releva calmement :
« Les deux. »
Devant ce regard insistant, Yu Fan hocha la tête :
« Choisis un moment où je t’examine ça… »
« Examiner ? Examiner quoi ? »
Une tape sèche s’abattit sur son dos, suivie d’une voix de femme sévère :
« Qu’est-ce qui est plus intéressant que le proviseur ? Regarde devant toi ! »
En entendant cette voix familière, Yu Fan fit la moue avant d’obéir à contrecœur. Il leva les yeux et jeta un regard distrait vers l’estrade.
Zhuang Fangqin portait aujourd’hui une tenue entièrement noire, à l’exception d’une écharpe violette. Ses cheveux étaient tirés en un chignon strict à l’arrière de la tête. Elle tenait un dossier sous le bras et fixait sévèrement l’élève en face d’elle.
Ses longues années à porter des lunettes lui avaient rétréci les yeux, et ses dents légèrement en avant accentuaient encore son air rigide.
Dès qu’elle apparut, Chen Jingshen sentit la personne devant lui se détendre d’un coup. La tension qui l’habitait un instant plus tôt s’évapora comme si elle n’avait jamais existé, et fut remplacée par sa nonchalance habituelle.
« Pour les blessures que tu as sur le visage, tu viendras t’expliquer dans mon bureau tout à l’heure. »
Son regard se durcit davantage lorsqu’elle baissa les yeux et remarqua le sweat noir qu’il portait :
« Où est ton uniforme ? »
« Je l’ai oublié. »
« Tant qu’à faire, tu vas aussi me dire que tu as oublié la rentrée ? » lança Zhuang Fangqin. « Regarde autour de toi. Tout le monde porte son uniforme, sauf toi ! Quand le BDE* viendra inspecter, notre classe va encore perdre des points à cause de toi ! »
(N/T : « BDE » signifie « Bureau des élèves » ou « Bureau des étudiants ». C’est une association étudiante qui organise des activités, événements et représente les intérêts des étudiants dans un lycée ou une université.)
Le professeur principal de la classe voisine plaisanta :
« Grâce à toi, ta prof sera réprimandée dès le premier jour. »
Yu Fan, jusque-là indifférent, frotta nerveusement ses doigts :
« Je peux aller me cacher quelque part, sinon ? »
« Tais-toi. » soupira Zhuang Fangqin, en se massant les tempes. Elle leva ensuite la main pour couper court :
« Emprunte une veste d’uniforme à un camarade. »
Yu Fan leva le menton, scrutant les rangs :
« Wang Lu’an. »
« Inutile, il n’a que sa veste sur le dos, » répliqua-t-elle, agacée. « Demande à ton voisin, ce n’est pas compliqué. »
Son voisin ?
Yu Fan ne tourna même pas la tête :
« Emprunter à un élève d’une autre classe ? C’est pas très approprié, non ? »
« Quelle autre classe ? » rétorqua Zhuang Fangqin.
« C’est ton camarade. »
« … Quoi ? »
« C’est un élève transféré. Il rejoint ta classe à partir d’aujourd’hui. » expliqua-t-elle, avant de se tourner vers Chen Jingshen.
« Chen, tu pourrais lui prêter ta veste un moment ? Bien sûr, seulement si ça ne te dérange pas, je n’ai pas l’intention de forcer qui que ce soit. »
Yu Fan fronça les sourcils. On aurait dit que celui qui devait emprunter la veste était plus contrarié que celui à qui on la demandait.
« Je préfère pas, je— »
« Pas de problème. » répondit Chen Jingshen en lui jetant un bref regard.
« Tant que ça ne le dérange pas qu’elle soit un peu longue. »
Yu Fan lui repondit aussitôt : « Retire-la maintenant. »
Une trentaine de secondes plus tard, la veste en main, Yu Fan l’enfila à la va-vite, puis baissa les yeux pour vérifier.
Elle n’était pas trop grande. Juste parfaite. Probablement de la même taille que la sienne.
« Un peu courte, » marmonna-t-il en relevant la tête. « Je te la rends à la fin du rassemblement. »
Yu Fan portait un sweat noir avec un vieux crâne délavé imprimé dessus, un pantalon sombre, et quelques pansements mal collés ici et là sur le visage. Avec cette veste d’uniforme toute propre sur le dos, l’ensemble paraissait complètement incohérent.
Chen Jingshen, lui, fixait les bords d’un des pansements, sous lesquels on devinait une ecchymose. Il leva soudainement la main.
Par réflexe, Yu Fan la repoussa sèchement : « Qu’est-ce que tu fiches ? »
Sans sa veste, Chen Jingshen n’avait plus que la chemise réglementaire, impeccablement boutonnée jusqu’au col. Dos droit, allure soignée — l’image parfaite de l’élève modèle.
Sa main resta suspendue un instant dans les airs avant de retomber naturellement le long de son corps.
« Le col. »
Yu Fan eut envie de répliquer un « Qu’est-ce que ça peut bien te foutre ? », mais il se rappela qu’il portait encore la veste de l’autre. Alors, à contre-cœur, il lissa vaguement son col, histoire de sauver les apparences.
Zhuang Fangqin, qui observait la scène, hocha la tête, satisfaite :
« Voilà. Porte-la correctement et évite de la salir. Rends-la-lui une fois que c’est terminé. »
Un court instant passa, puis elle plissa soudainement les yeux, comme si quelque chose la dérangeait. Elle finit par comprendre et tapota les deux garçons avec le coin de son carnet :
« Attendez, la file doit être rangée par ordre de taille. Échangez vos places. »
Yu Fan : « … »
Deux secondes plus tard, l’air renfrogné, il abandonna toute résistance et céda sa précieuse place de dernier de la rangée.
L’« Hymne de la Journée Sportive » s’acheva enfin. Une fois le drapeau hissé, le proviseur s’éclaircit la gorge et entama son discours enflammé.
D’ordinaire, c’était pile le moment où Yu Fan piquait du nez, mais aujourd’hui, il luttait tant bien que mal pour rester éveillé, les yeux fixés dans le vide sur la ligne de démarcation* de la calvitie du proviseur.
(N/T : Ligne de démarcation — Terme familier qui désigne la zone du cuir chevelu où la perte de cheveux commence à être visible, notamment sur le front ou au sommet du crâne. Elle marque souvent le début d’une calvitie naissante.)
Le micro de l’école était étonnamment puissant ce jour-là, bien trop pour qu’il parvienne à somnoler.
Le proviseur, visiblement très préparé, parla d’une traite avec une éloquence discutable pendant une bonne demi-heure. Yu Fan, de plus en plus impatient, glissa machinalement une main dans la poche de la veste — et sentit un objet.
Fin, lisse, avec des bords nets.
Encore embrumé par la fatigue, il le sortit sans réfléchir.
Lorsqu’il vit ce qu’il tenait, son geste s’interrompit net.
C’était une enveloppe rose. Aucune inscription dessus, mais à en juger par l’épaisseur, elle contenait vraisemblablement une lettre.
Le rabat était scellé par un petit autocollant en forme de cœur rouge. Avec cette couleur pastel ambiguë, il n’y avait guère de doute sur la nature de ce qui se trouvait à l’intérieur.
Une lettre d’amour ?
Quand est-ce qu’on avait glissé ça là-dedans ?
Yu Fan fronça les sourcils et tenta de se souvenir, mais rien ne lui revint.
Il allait l’examiner de plus près quand son regard accrocha une manche d’un blanc éclatant, bien trop propre pour lui appartenir.
Merde.
Yu Fan se figea. Il portait la veste de Chen Jingshen.
Cette lettre… Appartenait à Chen Jingshen.
Il réagit aussitôt, replaça soigneusement l’enveloppe dans la poche, puis jeta un coup d’œil furtif par-dessus son épaule.
Chen Jingshen fixait toujours la tribune. Impossible de savoir s’il avait remarqué quelque chose, mais il avait l’air concentré.
Le club photo de l’école adorait ce genre d’élève : sérieux, droit, impeccable… Limite ringard.
Un intello pareil… Qui reçoit déjà des lettres d’amour ?
Soudainement, s’il avait senti son regard, Chen Jingshen baissa légèrement les yeux.
« Quoi ? »
Apparemment, il n’avait rien vu.
Yu Fan détourna aussitôt les yeux.
« Rien. »
Dès que la cérémonie de rentrée prit fin, Yu Fan ôta la veste et la balança dans les bras de celui qui se tenait derrière lui.
« Tiens. »
Chen Jingshen resta un instant immobile, la veste dans les bras, avant de répondre calmement :
« De rien. »
« … »
En se retournant dans la file, Wang Lu’an aperçut son meilleur pote qui s’éloignait déjà.
Il se précipita pour le rattraper : « Putain, tu marches vite, toi ! Tu m’avais pas dit que tu viendrais pas à la cérémonie de levée du drapeau ? »
Wang Lu’an se faisait toujours enlever des points pendant les cérémonies à cause de ses bavardages. Ce matin, Zhuang Fangqin l’avait chopé dès le début et lui avait lancé un avertissement sec : un mot de travers, un devoir en plus. Il avait donc dû se retenir pendant toute la cérémonie.
Yu Fan lui répondit : « Je me suis fait choper par le Gros Tigre. »
« Pas de bol, sérieux. » Wang Lu’an jeta un coup d’œil vers les escaliers du bâtiment, bondés de monde. « Putain, c’est blindé… Et si on passait d’abord à la cantine ? J’ai pas assez bouffé ce matin. »
« Pas envie. » Yu Fan ne se retourna même pas. « J’suis crevé. J’rentre dormir. »
Zhuang Fangqin entra dans la classe et aperçut aussitôt une tête affalée tout au fond.
Elle jeta son registre sur le pupitre en métal et lança, d’une voix dont s’étaient souvent plaints les profs des classes voisines :
« Les paresseux, allez vous passer un coup d’eau sur le visage aux toilettes. Et plus vite que ça, on a une réunion de classe à tenir. »
Yu Fan se redressa lentement, ses tempes martelées par le bruit.
Il se frotta le visage, fronça les sourcils et se leva.
« Yu Fan, tu restes là. »
Il s’arrêta et haussa un sourcil. Pourquoi ?
« Tu comptes revenir si tu pars ? » Zhuang Fangqin désigna le tableau. « Si t’es fatigué, tu resteras debout au fond. Tu verras, ça va vite te réveiller. »
Yu Fan réfléchit quelques secondes, puis se rassit.
Il s’affala nonchalamment, la tête baissée, l’air à moitié mort.
Zhuang Fangqin se contint pour ne pas exploser. Puis elle se pencha pour brancher sa clé USB à l’ordinateur :
« Avant de commencer la réunion, j’ai deux choses à dire. »
« Premièrement, nous avons deux nouveaux élèves dans notre classe : Chen Jingshen et Wu Si. Ils viennent tous les deux de la Première classe. Je ne vais pas m’étendre là-dessus, vous ferez connaissance plus tard. Ce que je veux souligner, c’est qu’ils ont d’excellents résultats et une très bonne attitude en cours. Prenez-en donc de la graine. »
« Deuxièmement, » dit-elle en ouvrant un fichier Excel intitulé Classe 2-7 – Classement du semestre précédent, « Voici vos résultats aux examens de fin de semestre. »
La classe entière se mit à soupirer et à protester bruyamment.
Yu Fan, lui, n’en avait clairement rien à faire. Il y jeta un rapide coup d’œil et repéra immédiatement le nom tout en haut de la liste.
« Chen Jingshen. Maths 150, Chinois 110, Anglais 148, Sciences… Putain ? ! Il a tous bon ? ! » s’écria Wang Lu’an, stupéfait.
« Yu Fan, même en recopiant, t’arriverais pas à ce score ! »
Yu Fan répliqua sèchement :
« Occupe-toi déjà de tes propres notes, crétin. »
« Wow… » lança leur voisin de devant en se retournant. « Ce mec fait flipper. À part le chinois, il a aucune faiblesse. »
Wang Lu’an hocha la tête d’un air entendu :
« Donc même les cracks détestent apprendre les textes par cœur. »
« Pas exactement, » réfléchit l’autre. « J’ai entendu dire par un pote de la première qu’il part souvent hors-sujet dans ses rédactions. »
« … »
« Cette fois, le premier de l’année est dans notre classe : Chen Jingshen. »
En prononçant cette phrase, Zhuang Fangqin eut l’air de ne pas y croire elle-même.
« J’ai rapidement parcouru sa copie. À part la rédaction de chinois où il s’est un peu égaré et a perdu beaucoup de points, le reste est impeccable. Avant que vos professeurs ne corrigent les sujets en détail, vous pourrez jeter un œil à sa copie. »
À ces mots, toute la classe tourna spontanément la tête vers la troisième rangée, quatrième place.
Chen Jingshen, pourtant, n’avait même pas levé les yeux. Le stylo entre les doigts, il restait penché sur un recueil de problèmes, concentré, l’air totalement indifférent à ce qui se projetait à l’écran.
Quel frimeur, celui-là.
Yu Fan détourna le regard.
« Quant aux autres, vos résultats sont plutôt médiocres. La moyenne de la classe est même plus basse que lors du dernier contrôle. J’espère que vous prendrez le temps d’y réfléchir. Avec un score pareil, vous croyez vraiment pouvoir entrer dans une bonne université ? »
Tout au fond, quelqu’un grommela :
« Si le gaokao* est aussi difficile que cette épreuve, autant que je parte direct porter des briques. »
(N/T : Le « Gaokao » (高考) est l’examen national d’entrée à l’université en Chine. Extrêmement sélectif et redouté, il détermine en grande partie l’avenir académique — et parfois social — des lycéens. Véritable marathon intellectuel, il est souvent perçu comme l’un des examens les plus stressants au monde.)
« Les autres décrochent des notes parfaites, et moi j’arrive même pas à comprendre l’énoncé… »
« Il y a aussi un petit groupe d’élèves… »
Zhuang Fangqin fit défiler le tableau jusqu’en bas. La souris s’arrêta sur un nom à la toute dernière ligne.
Ses yeux se fixèrent sur le 9 inscrit dans la colonne de mathématiques. Elle tenta de se retenir, mais finit par lâcher :
« Yu Fan, tu comptes vraiment ramasser les ordures après ton diplôme ? »
« J’y ai pas encore réfléchi, » répondit Yu Fan après un silence.
« Mais pourquoi pas. »
D’un geste parfaitement calculé, Zhuang Fangqin attrapa une craie et la lança droit sur sa tête.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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