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Chapitre 04
par Ruyi ♡Tout le monde disait que Dieu avait pris la voix de cet enfant et lui avait offert, en échange, des talents incomparables.
À douze ans, Lander n’était pas encore un monstre arrogant et insensible. À l’époque, il n’était qu’un petit garçon introverti, impulsif et même un peu puéril.
« Edward, tu ne peux pas m’aider un peu ? »
Lily, debout sur une chaise, se dressait sur la pointe des pieds, essayant d’accrocher le gui* au mur tout en repoussant ses longs cheveux bouclés.
(N/T : Autrefois récolté par les druides, c’est en Europe une plante traditionnelle qui, avec le houx, sert d’ornementation pour les fêtes de Noël et de fin d’année.)
Mais elle était vraiment petite, et ses jambes trop courtes la faisaient échouer à chaque tentative. Elle lança un regard furieux au garçon qui lisait, assis, confortablement recroquevillé sur le canapé.
« Edward ! Ne fais pas semblant de ne pas m’entendre ! »
Edward Lander ne daigna même pas lever les paupières. Il n’avait pas la moindre once d’affection fraternelle.
« Je vais le dire à papa ! »
Lily serra le gui contre elle, les larmes commençant à lui monter aux yeux.
Peut-être que la nature de Lander n’était pas foncièrement mauvaise, mais il était vrai que, depuis son plus jeune âge, il faisait preuve d’une insensibilité déroutante. Son talent particulier était d’ignorer toutes sortes de caprices ou de demandes de faveurs. Les larmes de sa sœur ne l’émouvraient pas, quoi qu’il arrive. Il détourna à peine les yeux de son livre, jetant un coup d’œil à la fillette au bord des larmes, son expression semblant dire : Pleure si tu veux, ça m’est égal.
« Le Père Noël ne t’apportera même pas un seul cadeau, tu es méchant ! »
Lily éclata en sanglots, passant rapidement du simple caprice aux pleurs bruyants.
Qu’il y ait encore, dans ce monde, des créatures bipèdes* croyant au Père Noël… Mon Dieu, où était donc passée la fierté de l’animal marchant debout ?
(N/T : Animal qui marche sur deux pieds. Les humains, les oiseaux et (occasionnellement) les singes marchent de façon bipède.)
Lander sortit deux boules de coton de sa poche et les enfonça dans ses oreilles, se transformant ainsi en enfant sourd et muet.
Fille au cerveau rempli de liquide, pensa-t-il, avant de replonger dans sa lecture, le monde extérieur étouffé par ses bouchons d’oreille.
Ce fut la dernière fois qu’il entendit Lily pleurer.
Cette nuit-là, à Noël, une bande de voleurs fit irruption dans la maison des Lander, et le monde silencieux du garçon bascula.
Bien des années plus tard, Lander comprit qu’il ne s’agissait pas de simples voleurs, mais d’une bande d’assassins et de voyous engagés pour cette mission.
Lily fut battue à mort contre le mur, comme un chien. De son vivant, elle n’arrêtait pas de faire des histoires, mais à son dernier souffle, elle ne put même pas laisser échapper un gémissement.
Sous les cieux sombres de Londres, alors que la lutte anti-scientifique devenait de plus en plus féroce, les ouvriers au chômage manifestaient en masse, tandis que les écologistes et les extrémistes religieux accusaient tous les scientifiques, les qualifiant de « hordes de gens qui méritent l’enfer ».
Il y avait aussi les capitalistes sans scrupules qui, voyant une opportunité d’affaires, adoptèrent une mentalité de pêche en eau trouble, profitant des bouleversements pour s’approprier toutes les technologies avancées de l’époque.
Tout comme Bruno fut brûlé vif et Copernic emprisonné, chaque grande révolution nécessitait son lot de sacrifices.
Giordano Bruno fut condamné pour hérésie par le Saint-Siège et brûlé sur le bûcher. Copernic, ou Kopernik, fut celui qui proposa l’héliocentrisme*, réfutant la théorie selon laquelle la Terre était le centre de l’univers.
(N/T : L’héliocentrisme est une théorie physique qui s’oppose au géocentrisme en plaçant le Soleil (plutôt que la Terre) au centre de l’Univers.)
Mais ces sacrifices devaient-ils être les leurs ? Dieu n’avait-il pas dit que tous les êtres humains naissaient égaux ? N’étaient-ils pas, eux aussi, les enfants de Dieu ? Leur existence n’était-elle pas censée rendre la vie des gens meilleure ?
Le père de Lander le jeta par la fenêtre du deuxième étage et, avant que l’homme ne puisse se retourner, une balle lui transperça la poitrine.
Le bouchon d’oreille en coton, qui prétendait le séparer du monde, tomba, et il entendit les cris de sa mère résonner dans la maison… Jusqu’à ce que tout s’arrête.
Le garçon, la jambe brisée par la chute, rampait péniblement, serrant contre lui le livre trempé dans l’eau boueuse qui recouvrait la neige. Il tituba, suppliant chaque personne qu’il croisait, mais dès que le premier coup de feu retentit, tous les passants s’enfuirent. La porte d’entrée du voisin était couverte de sang frais, suintant des doigts du garçon. Personne ne lui ouvrit.
Le cœur de Lander se remplit de haine.
Agenouillé dans la neige, couvert de sang, il sentit une flamme dévorer son âme. Il haïssait tout. Il haïssait le monde entier.
Pourquoi ces idiots qui se plaignaient que les machines leur volaient leurs emplois ne mouraient-ils pas simplement ?
De quel droit ces créatures, qui ne possédaient même pas l’intelligence minimale d’un humain, avaient-elles le privilège de fouler cette terre, de gaspiller la lumière du soleil et l’air qu’elles respiraient ?
C’est alors qu’il entendit soudain la voix d’une femme s’écrier :
« Mon Dieu, un enfant… Que s’est-il passé ? Était-ce un vol ? »
Le ressentiment, la froideur et la douleur enveloppaient les nerfs terriblement engourdis de Lander. Il tourna la tête, hébété. Dans une vision floue, il crut apercevoir une femme corpulente, puis entendit une autre voix qu’il n’oublierait jamais de toute sa vie.
« Maman, laisse-moi faire. »
Lander sentit quelqu’un le soulever. La haine dans ses yeux ne s’était pas encore dissipée. À travers ses larmes, il aperçut un adolescent aux cheveux noirs et aux yeux sombres. Arno. Lui aussi n’était qu’un adolescent à l’époque. Bien que mince, il avait la carrure d’un adulte, et ses omoplates, dépourvues de muscles, lui donnaient l’apparence d’un oiseau qui n’avait pas encore déployé ses ailes et ses plumes.
La veste en polaire du garçon frottait contre le visage de Lander, imprégnée de l’humidité caractéristique du brouillard londonien, froide et lourde. Il était seul là, comme dans un monde fait de boue.
Quand il reprit enfin ses esprits, il réalisa qu’il avait fixé le menton du garçon tout du long.
L’adolescent aux cheveux noirs évitait soigneusement sa jambe blessée, le portant comme un chat sauvage errant et blessé. Derrière eux, la femme corpulente se plaignait que la vie n’était plus la même. Arno, lui, restait silencieux. Il écoutait sans un mot, ne réagissant que pour ajuster la posture de Lander, ses gestes d’une douceur inattendue.
Ses doigts fins effleurèrent les mèches de cheveux collées au visage de Lander. Arno avait des yeux comme de l’obsidienne. En les fixant, on pouvait y voir aspirer toute l’obscurité et toute la boue de Londres.
« Est-ce que ça fait vraiment mal ? »
Lorsque Lander entendit enfin la voix du garçon, le barrage de haine qu’il avait érigé dans son cœur s’effondra sans défense. Les flots balayant toute l’armure de son adolescence.
Il tourna soudainement la tête, enfouissant son visage dans la poitrine d’Arno, déversant sur sa veste marron foncé les larmes qu’il n’avait jamais laissées couler de toute sa vie.
Bien des années plus tard, il se souvenait encore de la texture de ce tissu.
Il semblait que dans tout Londres, il ne restait plus qu’une seule étreinte comme celle-là.
Comme le dernier refuge pour son âme naturellement déformée, destinée à devenir malfaisante.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・
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