Chapitre 26
by Ruyi ♡« On vient d’entrer dans le café… »
Avec un léger décalage, la même phrase résonna depuis le téléphone. Wooyeon cligna des yeux, surpris, et regarda vers l’entrée. Un petit groupe venait tout juste d’arriver. Apparemment, eux aussi venaient de le repérer : leurs yeux s’écarquillèrent aussitôt.
« Hein ? Oh, Wooyeon ! »
C’est Garam qui réagit la première, visiblement ravie. Les cheveux attachés en un chignon haut, vêtue d’une veste en jean et d’un pantalon assorti, elle agita vivement ses longs bras pour le saluer. Wooyeon se leva à moitié, presque malgré lui.
« Vous êtes tous… »
Seongyu, Garam et Dohyun. C’est donc ici qu’ils avaient réservé une salle d’étude ? Il n’avait entendu que « près de l’entrée principale », alors il ne s’y attendait vraiment pas.
« Wah, quelle coïncidence ! Vous faites le projet de groupe ici, du coup ? »
« J’ai sursauté en t’entendant au téléphone, sérieux ! »
Chacun y alla de sa petite remarque en s’approchant de Wooyeon. Dohyun, lui, se contenta d’un salut du regard avant de se diriger vers le comptoir, mais Wooyeon ne put s’empêcher de fixer l’arrière de sa tête pendant un long moment. Il lui avait suffi de voir son visage calme et soigné pour que toute son irritation s’évapore, comme par magie.
« Tu as encore beaucoup à faire ? »
Juste le voir de loin… Comment ça peut suffire ? Ce cou élancé, ces épaules larges… sa démarche tranquille et même la ligne nette de sa nuque… Je n’arrive pas à détourner les yeux.
« Non, j’ai terminé. »
« Parfait, le timing est impeccable. On n’a qu’à aller directement dans la salle d’étude. »
Les émotions désagréables qui pesaient sur lui s’étaient dissipées, comme balayées d’un coup de balai. Wooyeon acquiesça et rassembla son carnet et son stylo sur la table. De toute façon, la réunion touchait à sa fin, et personne n’avait l’air motivé pour la prolonger. Mais alors qu’il soulevait son sac, une voix sèche le stoppa net.
« Tu fais quoi, là ? »
Wooyeon leva les yeux sans lâcher son sac. Junseong le fixait, impassible. Les autres membres du groupe, qui s’apprêtaient discrètement à partir eux aussi, s’immobilisèrent, hésitants.
« Tu comptes partir alors que notre réunion n’est même pas terminée ? »
Le ton était franchement agacé. Garam et Seongyu échangèrent un regard bref, puis murmurèrent qu’ils allaient les attendre dans la salle d’étude avant de s’éloigner avec gêne. Wooyeon détourna les yeux de Junseong et passa la bandoulière de son sac sur son épaule.
« On n’a même pas d’idées, alors à quoi ça sert de continuer ? On avait dit que chacun ramènerait trois propositions pour demain, non ? »
« Et depuis quand c’est toi le chef du groupe ? »
À cette réplique, Wooyeon ne put s’empêcher de se crisper. Junseong, les traits déformés par l’irritation, cracha ses mots comme s’il mâchait quelque chose d’amer.
« Et c’est qui qui a décidé ça, hein ? Hé, vous là, vous pensez vraiment pouvoir sortir trois idées d’ici demain ? »
Évidemment, personne ne répondit. Et vu la tournure des choses, même demain, il ne fallait pas s’attendre à quoi que ce soit. Wooyeon sentit une boule d’angoisse lui nouer l’estomac alors qu’il reposait son sac sur la table.
« Très bien, continuons. Je reste. »
Plouf. Il se laissa retomber sur sa chaise. Les autres, encore debout et visiblement perdus, hésitaient à bouger. Wooyeon croisa les bras et s’adossa au dossier.
« Allez, on poursuit la réunion. »
Junseong le fusilla du regard, mais Wooyeon le soutint sans ciller.
« Euh… mais vu qu’on n’a pas d’idées, est-ce que… »
« Tu t’assieds, oui ? »
Un des membres tenta de briser le silence, mais Junseong le coupa net d’un ton sec. À contrecœur, les autres reprirent place autour de la table, imitant Wooyeon.
« … »
« … »
Et naturellement, plus personne ne dit un mot. Maintenant que Wooyeon, qui avait au moins essayé de relancer la discussion, s’était tu lui aussi, un silence pesant s’abattit sur le groupe. Une minute. Deux minutes. Le temps s’étirait comme une éternité. Sans la musique d’ambiance du café, on aurait pu croire entendre une mouche voler.
Wooyeon cligna lentement des yeux, l’air détaché, et détourna le regard. Il ignorait ce que Junseong lui reprochait encore cette fois, mais il avait l’habitude. Déjà au collège, ce dernier le harcelait pour des broutilles. Et la meilleure façon de le rendre fou dans ces moments-là, ce n’était ni de répondre ni de s’énerver : c’était de l’ignorer royalement.
« Ha… putain. Laissez tomber. »
Comme prévu, Junseong finit par se passer la main dans les cheveux avec rage. Sa tignasse blond platine se hérissa dans tous les sens. Wooyeon le fixa sans expression, et lâcha d’un ton plat :
« Laisser tomber quoi ? C’est pas toi qui voulais qu’on continue ? »
« … »
On aurait cru entendre ses dents grincer. Wooyeon vit bien que Junseong serrait les poings, à deux doigts d’exploser. Il ferma les yeux, inspira profondément, puis se tourna brusquement vers les autres.
« Bon. Vous deux, partez. »
Les autres, sidérés, se levèrent précipitamment malgré leur incompréhension. Tandis qu’ils prenaient la fuite comme si le diable lui-même les poursuivait, Wooyeon commença à rassembler ses affaires pour partir à son tour. Ou plutôt, il essaya.
« Putain, toi, tu vas où comme ça ? »
Junseong l’attrapa brutalement par le bras. Une onde de phéromones furieuses se propagea de sa poigne jusqu’au poignet de Wooyeon. Ce dernier se dégagea d’un geste sec et repoussa nerveusement sa main.
« Ne me touche pas. »
« … »
Un frisson désagréable lui parcourut la peau, semblable à la sensation d’un insecte qui lui rampait dessus. Junseong resta figé une seconde, pris de court, puis sa colère reprit le dessus et il éleva la voix.
« Pourquoi tu me détestes à ce point ?! »
Wooyeon resta sans voix. Il ne s’attendait pas à entendre ce genre de phrase sortir de la bouche de Junseong. Il le fixa, interloqué, avant de répondre d’un ton incrédule :
« Tu m’as attrapé juste pour me dire ça ? »
Il y avait tant de raisons de détester Junseong qu’il lui faudrait au moins trois nuits blanches pour tout raconter. Le fait qu’il lui ait pourri ses trois années de collège lui restait en travers de la gorge, et le voir vivre maintenant une vie tranquille, intégré dans une bonne fac, n’arrangeait rien. Il n’avait ni la force ni l’envie de lui faire la liste. Ce genre de dispute stérile, il préférait les éviter.
« Hé, je suis juste… dégoûté, d’accord ? »
Mais manifestement, Junseong n’était pas prêt à en rester là. Il écarquilla les yeux, profondément vexé, puis abattit violemment sa paume sur la table.
« Je t’ai insulté ? Je t’ai frappé ? J’ai fait quoi pour t’énerver ? Rien ! Alors pourquoi tu me traites comme une merde ?! »
Wooyeon ravala un rire amer. Pas parce que Junseong mentait — bien au contraire — mais parce que ces mots étaient exactement ceux qu’il avait lui-même prononcés, cinq ans plus tôt.
« Pourquoi tu me fais ça ? »
Wooyeon n’avait lâché cette phrase qu’un an après avoir tout encaissé en silence. Il avait supporté, supporté encore, jusqu’à en perdre la raison. Et maintenant, après à peine trois rencontres, Junseong venait lui demander des comptes ? Alors même que Wooyeon ne lui avait strictement rien fait ?
« On est dans le même groupe. On doit bosser ensemble. On pourrait très bien faire ça dans une bonne ambiance. Pourquoi t’es incapable de juste laisser les gens tranquilles, hein ? »
Mot pour mot ce que Wooyeon avait rêvé de dire au collège. On est dans la même classe, on est obligés de se côtoyer, alors pourquoi tu ne peux pas juste être normal ? Pourquoi t’as besoin de me pourrir la vie ?
« … J’suis venu parce qu’on devait brainstormer des idées. »
Wooyeon finit par parler, réprimant la nausée qui lui remontait dans la gorge. Il avait encore l’impression que le contact de Junseong sur son poignet y avait laissé une trace.
« Et comme tu dis, je t’ai ni insulté ni frappé. Alors t’as quoi à me reprocher, au juste ? »
« Putain, c’est que toi, tu… ! »
Junseong, qui s’était emporté, ravala ses mots en croisant les regards curieux autour d’eux. Depuis que Wooyeon s’était levé, les regards s’étaient accumulés, et ils devenaient maintenant de plus en plus insistants. Junseong reprit sa respiration, puis lâcha d’un ton plus contenu :
« Tu fais que me mépriser. C’est insupportable. »
Wooyeon cligna lentement des yeux, abasourdi. C’était tout ce qu’il avait à dire ? Lui qui, quelques instants plus tôt, l’avait traité de muet et balancé des piques à peine déguisées ? Il osait se plaindre, alors que lui-même avait toujours traité ses coéquipiers avec dédain sous prétexte qu’il était chef de groupe ?
« Alors fais comme moi. Méprise-moi. »
Sa voix était glaciale. Plus Junseong parlait, plus les souvenirs revenaient en vrac, sales, collants. Tout ce qu’il lui avait fait au collège lui revenait en pleine figure, et ses émotions chaviraient.
« Je t’ai déjà dit que je détestais les types comme toi. »
Qu’il soit choqué ou non, Wooyeon s’en fichait éperdument. Il n’avait aucune envie de s’expliquer, encore moins de faire un effort pour créer un lien. Une fois le projet de groupe terminé, ils n’auraient plus à se revoir. Rien que le fait d’être obligé de lui parler lui donnait la nausée.
« Alors arrête de me coller et de me poser des questions. Ignore-moi. Fais comme si je n’existais pas. C’est pas compliqué. »
« Mais pourquoi tu me détestes autant ?! Je t’ai vu pour la première fois en cours de culture générale ! Je t’ai rien fait, merde ! Je t’ai jamais harcelé, moi ! »
Clac.
Il y eut comme un déclic dans la tête de Wooyeon. Quelque chose se brisa, quelque chose qu’il s’efforçait de maintenir en place depuis trop longtemps. Sans qu’il ne s’en rende compte, ses phéromones s’étaient échappés. Une seule pensée tournait en boucle dans son esprit.
Ce gros porc… Rien que le voir me donne la nausé.
Et lui alors ? Qu’est-ce qu’il avait bien pu faire pour être autant détesté à l’époque ? Pourquoi avait-on rabaissé son apparence, brisé son moral, fait en sorte qu’il disparaisse sous terre ?
Il n’y a pas toujours une putain de raison, c’est tout.
« Tu crois qu’il y a forcément une raison ? »
Il avait cru ses blessures refermées, mais en réalité, elles n’étaient que recouvertes d’une croûte mal formée. Et maintenant, elle se décollait, laissant la douleur à vif. Même si le contexte avait changé, même si les rôles semblaient inversés, c’était encore Wooyeon qui souffrait.
« Je te hais, c’est tout. J’en ai marre des insultes, des ragots, d’être retenu ici de force. »
« … »
« Cherche pas à comprendre. Laisse-moi juste tranquille. J’ai plus rien à dire, alors je me tire. »
Sur ces mots, Wooyeon se retourna brusquement pour quitter le café. Il avait bien une séance de travail prévue, mais là, il devait juste mettre de la distance. S’il avait su que Junseong allait se lever pour le suivre, il ne se serait même pas retourné.
« Hé, j’ai pas fini de parler— »
Tac.
Un bruit sec résonna. Celui de deux mains qui se percutent. Une onde de phéromone douce et familière flotta dans l’air, suivie d’une voix calme qui s’immisça entre eux comme un mur invisible.
« J’avais décidé d’attendre… »
Un phéromone aussi sec qu’un vent d’automne se répandit subtilement. Cette sensation désagréable, moite et pesante, disparut aussitôt. Wooyeon écarquilla les yeux, puis tourna lentement la tête vers l’origine du bruit.
« On fait les projets de groupe comme ça, maintenant ? »
Dohyeon venait de parler, d’un ton neutre. Il relâcha la main de Junseong. Cette main, arrêtée à temps, semblait sur le point de toucher l’épaule ou le sac de Wooyeon. D’un simple regard en coin, Dohyeon observa brièvement ce dernier, avant de demander d’une voix étonnamment douce :
« Vous n’aviez pas encore terminé votre réunion ? »
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .
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