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    Wooyeon serrait son porte-mine en fixant Junseong. Il essayait de comprendre ce qui l’avait poussé à dire une chose pareille. Junseong, qui avait lancé la conversation d’un ton presque solennel, afficha un large sourire dès que leurs regards se croisèrent.

    « Mais sérieux, il avait une sale gueule. »

    Il ne semblait pas vouloir le provoquer. De toute façon, Junseong n’avait jamais été assez malin pour ce genre de jeu. Incapable de répondre, Wooyeon serra les dents en silence.

    « Ce type… Franchement, c’était n’importe quoi. Tout petit, mais gras comme pas permis. »

    La colère lui monta au visage. Sa joue tressaillit, sa mâchoire se crispa. Il dut se retenir de toutes ses forces pour ne pas laisser sa colère éclater.

    « Il portait des lunettes énormes, affreuses, et il se comportait comme un pauvre type… Rien à voir avec toi. »

    Son regard, rempli de mépris, le frappa comme une lame. Il tremblait jusque dans les épaules – on aurait dit qu’il méprisait sincèrement le Wooyeon d’autrefois. Et pourtant, en regardant celui d’aujourd’hui, Junseong s’exclama avec admiration :

    « Toi, par contre, tu es vraiment beau. »

    « Et puis sa famille roulait sur l’or… »

    « Et alors ? Qu’est-ce que ça peut te foutre ? »

    Wooyeon posa brusquement son porte-mine, agacé. Il était déjà à fleur de peau, mais là, ces propos lui soulevaient carrément le cœur. Qu’est-ce qui cloche chez lui pour qu’il continue à me pourrir la vie comme ça ?

    « Qu’est-ce qu’il t’a fait, ce gars ? »

    « Hein ? »

    Junseong le regarda, interloqué. Peut-être avait-il perçu la froideur dans son regard, car il sembla décontenancé, et fronça légèrement les sourcils. Wooyeon, lui, ravala la brûlure dans sa poitrine et tenta de calmer les émotions qui menaçaient de le submerger.

    « Il ne t’a jamais rien fait. Alors pourquoi tu parles de lui comme ça ? »

    Il se posait cette question depuis toujours. Il ne l’avait jamais formulée à voix haute, mais elle tournait sans cesse dans sa tête : Qu’est-ce que ça peut bien te faire si j’étais gros ? Que son corps ait été massif, que son uniforme ait failli craquer, qu’il ait eu un appétit énorme – rien de tout ça n’avait jamais eu le moindre rapport avec Junseong.

    « Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, je ne me moquais pas, c’est juste que… »

    Junseong se gratta l’arrière du crâne avec nervosité. Ses cheveux blond platine en bataille formaient un vrai nid de piafs. Il détourna le regard, puis, visiblement contrarié, fronça les sourcils.

    « Franchement, pourquoi tu réagis comme ça ? Ce n’est pas à toi que j’ai dit que tu étais gros. »

    « Ferme-la. »

    « … »

    « Je prépare ma présentation. »

    Son visage se durcit. Ses yeux, déjà perçants, se firent plus froids encore. Junseong ouvrit la bouche, hésita, puis poussa un soupir avant de reprendre :

    « Non mais toi, tu pourrais faire un effort pour parler sans… »

    « Bon, on va commencer par le groupe 1. »

    Wooyeon ne lui laissa pas le temps de finir et se leva. Avant de se diriger vers l’estrade, il n’oublia pas de prendre la feuille à remettre au professeur. Ce dernier là lui prit avec un sourire satisfait et lui tendit un micro.

    « Je suis Seon Wooyeon, et je vais présenter le travail du groupe 1. »

    Il parlait en anglais, et le professeur hocha la tête d’un air satisfait. On vit quelques élèves se jeter sur leurs notes pour les corriger à la hâte. Wooyeon, de son côté, évita soigneusement de croiser le regard de Junseong et se lança dans sa présentation sur la notion de leadership.

    « … Nous allons donc parler des qualités humaines essentielles chez un bon leader. »

    Comme Daniel l’avait un jour fait remarquer, l’anglais de Wooyeon était impeccable. On dit souvent qu’après quinze ans, il est difficile de perdre son accent — mais ça ne s’appliquait pas à lui. En réalité, il s’exprimait mieux en anglais qu’en coréen.

    « Un leader, c’est celui qui représente son équipe. Il doit faire en sorte que personne ne soit mis à l’écart. »

    Il réprima un sourire moqueur. Le texte avait été rédigé par Junseong, et l’ironie était trop évidente. Faire en sorte que personne ne soit exclu ? C’était pourtant exactement ce que ce type faisait.

    « Un leader, c’est aussi quelqu’un qui… »

    « Je connais un gars qui s’appelle Seon Wooyeon. »

    Il s’en souvient. Ce fut sa première pensée. Il se souvenait de lui — du collégien qu’il harcelait. Et visiblement, en parler comme si de rien n’était ne lui posait aucun problème.

    « Mais il avait une sale tête. »

    Wooyeon s’était douté qu’il ne le reconnaîtrait pas. Mais à ce point-là ? Il n’espérait pas des excuses, pas même de la culpabilité, mais il s’attendait à un minimum de gêne. Manifestement, les gens ne changent pas si facilement.

    Il poursuivit sa présentation d’un ton neutre, mécanique. Pas très longue, sans interruption. Le seul qui semblait tout suivre, c’était le professeur. Et franchement, c’était suffisant.

    « C’est tout. Merci. »

    Les applaudissements remplirent la salle. Le professeur, satisfait, lui posa quelques questions en anglais. Il souriait. Pas de doute, le groupe 1 avait assuré.

    De retour à sa place, Wooyeon se pencha légèrement. Debout, il tenait le coup. Assis, la douleur revint le serrer au ventre. Il tenta de l’ignorer. Junseong, lui, continuait de faire comme si de rien n’était.

    « Mec… Ton anglais est ouf. Tous les élèves de ta section sont comme toi ? »

    D’autres membres du groupe prirent la parole, eux aussi. L’un déclara qu’avec Wooyeon, ils n’avaient plus à s’inquiéter pour la présentation du partiel. Alors ils savent parler, finalement. Dommage qu’ils soient restés muets pendant toute la préparation. C’est là qu’ils auraient été utiles.

    « Groupe 2, à vous. »

    Eux aussi parlèrent en anglais. Mais c’était brouillon, hésitant, improvisé. Quelques fautes ici et là. Le professeur leur posa ses questions sans commentaire, puis les renvoya à leur place.

    Et ainsi de suite. Chaque groupe passait, trois minutes environ. Le ventre de Wooyeon finit par se calmer. Il redressa la tête, reprit une posture normale. Le dernier groupe s’exprimait en chinois.

    « Merci à tous. Mention spéciale au groupe 1 : très bon travail. »

    Quelques mots d’encouragement pour clôturer la séance, et le professeur mit fin au cours. Avec une demi-heure d’avance. Wooyeon, sans attendre, commença à ranger ses affaires. Mais alors qu’il s’apprêtait à partir, Junseong l’appela.

    « Hé, Wooyeon. »

    Ce ton familier le fit frissonner. Seon Wooyeon, passe encore. Mais juste Wooyeon… Non. Ça lui retournait l’estomac.

    « À propos de ce que j’ai dit tout à l’heure… »

    Wooyeon fourra ses stylos et cahiers au fond du sac. Il allait partir, mais Junseong lui attrapa la sangle. Impossible de fuir. Et sans même attendre une réponse, il continua :

    « Merde… Désolé, ok ? J’voulais pas te comparer à lui. »

    « … Quoi ? »

    Un coup sourd à la tête. Avait-il bien entendu ? Pendant que Wooyeon restait figé, Junseong tira doucement sur la sangle de son sac.

    « Je suis désolé. Tu es énervé parce que j’ai insulté ce gars qui a le même prénom que toi, c’est ça ? »

    Il avait l’air sincère. Même son regard, maladroit mais franc, n’avait rien d’une plaisanterie. Il soupira, donna un petit coup sur le sac de Wooyeon.

    « T’abuse, mec. T’aurais pu dire directement que ça te gênait. C’était juste un souvenir, rien de méchant. »

    « … »

    Wooyeon le regarda sans réagir, le cerveau embrouillé. Désolé ? Je voulais pas te blesser ? Ces mots tournaient en boucle. Ils sonnaient faux.

    « … T’es en train de t’excuser ? »

    Trois ans. Ça avait duré trois ans. Trois ans de harcèlement, d’humiliations. Il n’avait jamais voulu mourir, mais il avait souvent pensé qu’il ne voulait plus vivre. Sans Dohyun, sans les profs, il ne serait jamais allé aussi loin.

    Et maintenant, il entendait des excuses. Pour la toute première fois. Pas par remords. Juste parce que « ça faisait bizarre ».

    « Espèce de gros porc, pourquoi tu continues à vivre ? »

    « … Tss. »

    Un tourbillon d’émotions l’envahit. Son corps réagissait comme à une alerte : des frissons le traversaient, ses poils se hérissaient, son estomac se soulevait. Une nausée brutale, incontrôlable, le prit à la gorge. Ce n’était rien d’autre que de la colère.

    « T’es vraiment pathétique. »

    Wooyeon lâcha un rire sans joie, les yeux fixés sur Junseong. Au collège, ce simple regard aurait suffi à déclencher une embrouille. Mais cette fois, Junseong se contenta de rougir légèrement sans chercher l’affrontement.

    « Les mecs comme toi… J’les supporte pas. »

    Il arracha son sac des mains de Junseong. Les phéromones qui s’échappèrent de lui étaient acérées, coupantes comme des lames. Junseong recula légèrement, décontenancé. Même les Omégas à proximité retenaient leur souffle.

    « À ton âge, tu devrais avoir mieux à faire que de critiquer les autres pour briller… »

    Wooyeon se demanda : Et si je lui avais dit ça à l’époque ? Si je l’avais regardé en face, comme maintenant ?

    Mais peu importe combien il y réfléchissait, la réponse restait la même. Non. Même au collège, il n’avait jamais baissé la tête devant Junseong. Il avait préféré l’ignorer, détourner les yeux, mais jamais il ne s’était écrasé. Pourtant, Junseong n’avait cessé de le mépriser.

    « Garde tes excuses. Mais évite de me parler comme si on était potes. »

    Et sur ces mots, il lui tourna le dos. Il ne resta derrière lui que l’odeur lourde, chargée, de phéromones étouffantes.


    Il n’alla pas bien loin. À mi-chemin vers la sortie, Wooyeon s’écroula sur un banc comme vidé de toute force. Tout son sang semblait avoir déserté son visage. Courbé en deux, la tête basse, il laissa échapper un long gémissement.

    « Ugh… »

    Il avait mal. Réellement mal.

    Dès qu’il avait quitté la salle, son état s’était brutalement détérioré. Il aurait presque préféré vomir, au moins pour se soulager. Mais rien ne venait, hormis un haut-le-cœur persistant. Sa tête tournait, ses mains étaient glacées. Et dans ce tableau misérable, une seule pensée traversa son esprit : Dohyun, j’ai besoin de toi.

    J’aurais aimé qu’il soit là…

    Chaque fois qu’il se sentait ainsi, il avait ce même désir irrationnel. Comme si le simple fait d’entendre sa voix, de sentir sa main dans ses cheveux, de l’écouter lui murmurer que tout allait bien se passer… Et, dans ces moments-là, il y croyait presque. Que tout irait vraiment bien. Comme il y a quatre ans.

    Je veux le voir…

    Et s’il le souhaitait assez fort ? Cent fois, mille fois ? Est-ce qu’il finirait par apparaître ? Wooyeon, recroquevillé sur le banc, une jambe ramenée contre lui, Wooyeon s’en convainquait presque. Il savait pourtant que Dohyun l’attendait quelque part près du portail… Mais il n’avait plus la force d’y aller. Et puis, même s’il le voyait, ce ne serait plus le professeur. Ce ne serait qu’un aîné.

    Ploc, ploc—

    Peu à peu, la pluie se mit à tomber. De lentes gouttes vinrent tâcher le sol, tremper le banc, et ruisseler sur lui. Wooyeon, dans un geste de résignation, tira sa capuche sur sa tête et mordit sa lèvre, amer.

    « … »

    S’il devait revenir, il l’aurait déjà fait. Il aurait été là il y a quatre ans. Si les choses s’étaient passées autrement, il n’aurait pas eu à pleurer seul, ni à partir pour l’Amérique, ni à revenir avec cet espoir ridicule. Et il ne serait pas là, maintenant, sous cette foutue pluie.

    Renoncer, il savait faire. Dans la grande maison, là-bas en Amérique, il avait appris à abandonner au lieu d’espérer. Chaque fois qu’un souvenir de Dohyun menaçait de faire fondre son cœur, il s’efforçait de se convaincre que tout ça, c’était juste de la nostalgie. Et que c’était un luxe qu’il ne pouvait pas se permettre.

    « Pff… »

    Dans un souffle, il ferma les yeux. Son ventre le faisait encore souffrir, mais l’attente fébrile s’était évanouie. Il se donna cinq minutes. Cinq minutes pour tout lâcher.

    Mais alors qu’il allait rouvrir les paupières…

    « … Je commençais à me demander où t’étais passé. »

    Une ombre se posa sur lui. La pluie s’arrêta. Deux silhouettes désormais. Son cœur fit un bond, suspendu. Cette voix, douce et paisible comme un rêve, caressa son oreille.

    « Tu vas finir par attraper froid en restant là. »


    ・.ʚ Voilà la fin de cette sixième partie du chapitre 4 ɞ .・

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