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    Depuis ce jour-là, Wooyeon s’était plongé corps et âme dans ses révisions. Il évitait tout contact avec Dohyun autant que possible, et s’efforçait consciemment de chasser ses pensées parasites. Le vendredi, ils avaient bien un cours en commun, mais Dohyun ne lui avait pas vraiment adressé la parole.

    Ainsi s’écoula une semaine, et le campus se couvrit de printemps. Les cerisiers en fleurs s’imposaient à la vue, et des brins d’herbe venaient accrocher ses pas. Il faisait si doux qu’un simple hoodie et un short suffisaient. Pourtant, comme si la saison en pleine floraison attisait la jalousie du ciel, la météo annonçait de la pluie pour l’après-midi.

    «  Noona, je suis là.  »

    Wooyeon poussa la porte de la salle du club pour la première fois depuis une semaine. Ce n’était pas vraiment par envie, mais pour décider du lieu de la séance de révision prévue dans l’après-midi. Lorsqu’ils avaient lancé le groupe d’étude, ils s’étaient promis de se retrouver au moins une fois par semaine. Il ne pouvait donc pas faire l’impasse.

    «  Ah, t’as fini les cours ?  »

    Garam était là. Dohyun, en revanche, n’était pas en vue. Quelques autres membres du club s’étaient aussi installés, et devant l’agitation inattendue, Wooyeon salua maladroitement avant d’entrer. Allez savoir pourquoi, une pile de hamburgers trônait au milieu de la table.

    «  T’as mangé ? Tu veux un burger ?  »

    «  Vas-y, sers-toi. Il y a bulgogi et crevettes.  »

    «  Tu peux en prendre deux, hein.  »

    «  Mais pas trois.  »

    Les hamburgers, emballés dans un papier fin, semblaient un peu écrasés et tièdes. Wooyeon remercia poliment et commença à inspecter les emballages. On venait de lui dire que trois, c’était trop, mais il en avait tout de même quatre devant lui.

    «  Où est Seongyu ?  »

    «  Il est passé vite fait au secrétariat du département.  »

    Le jaune, c’était bulgogi. Le blanc, crevettes. Aucun ne le tentait vraiment. Mais d’après ses souvenirs en Amérique, celui aux crevettes avait peut-être un léger avantage. Même si ce n’était pas bon, au moins le steak ne sentirait pas mauvais.

    «  Prends aussi des frites. Tu veux du coca ?  »

    «  Non merci, ça ira.  »

    Il secoua la tête et entreprit de déballer l’un des sandwiches. Tandis qu’il chipotait un peu avant de commencer à manger, Garam le regardait avec un air attendri, comme si elle se sentait rassasiée rien qu’en le voyant manger. (Bon, en même temps, elle avait déjà englouti deux hamburgers.)

    «  Mais au fait, c’est quoi cette montagne de burgers ?  »

    «  Ah, c’est Kim Dohyun qui… —  »

    À peine avait-elle commencé à répondre que la porte de la salle s’ouvrit à la volée. Garam leva les yeux au ciel et désigna l’entrée d’un mouvement de tête, un sourire moqueur aux lèvres.

    «  Parfois, les autres insistent un peu, alors il leur en offre. Pour leur souhaiter bonne chance pour les exams.  »

    «  La commande est déjà arrivée ?  »

    Dohyun venait d’entrer, vêtu d’un pantalon noir et d’un trench beige. Le manteau, léger, descendait jusqu’à ses mollets, et lorsqu’on baissait les yeux, on distinguait la courbe nette de ses chevilles. Sans s’en rendre compte, Wooyeon resta un instant figé, subjugué par sa silhouette.

    «  Oppa !  »

    «  Hyung ! Tu nous as manqué !  »

    Jamais Wooyeon n’aurait cru qu’un trench puisse aussi bien aller à quelqu’un. On aurait dit une photo de catalogue d’une grande marque. Grand, aux épaules droites, Dohyun faisait ressortir toutes les qualités du vêtement sans le moindre effort.

    «  C’est flagrant, les gars…   »

    Dohyun referma doucement la porte du local, un léger sourire aux lèvres. Même sa façon de marcher, avec ces longues foulées décontractées, avait de quoi laisser sans voix. Ce n’était pas pour retomber là-dedans que j’essayais de l’oublier… Pensant détourner son attention, Wooyeon croqua à pleines dents dans son hamburger.

    «  Il est sympa seulement quand il paie à manger…   »

    Mais comme prévu, ce hamburger imbibé de sauce n’était pas du tout à son goût. Le pain était mou, la laitue flétrie, et même la galette de crevettes manquait de saveur. Il avala péniblement ce qu’il avait en bouche, sans le moindre enthousiasme pour la bouchée suivante.

    Trop concentré sur ce qu’il mangeait, Wooyeon ne se rendit même pas compte que Dohyun s’était tu. Il continuait de fixer le burger d’un air désabusé. Ce n’était pas aussi mauvais quand j’en avais mangé avec Daniel… Était-ce une question de marque  ? Ou simplement parce que tout avait eu le temps de refroidir  ? Dans tous les cas, c’était cruel.

    «  Oppa, ça ne va pas ?  »

    Ce fut cette voix qui le ramena à la réalité. Il leva la tête par réflexe, croisa fugitivement le regard de Dohyun… Mais celui-ci détourna immédiatement les yeux pour regarder ailleurs, agitant la main d’un air détaché, avec ce sempiternel sourire doux.

    «  Non, ce n’est rien.  »

    Un nœud se forma dans la poitrine de Wooyeon. Pas un mot sur le fait qu’ils ne s’étaient pas vus depuis longtemps. Pas même un «  salut  ». Dohyun avait simplement contourné le canapé et s’était installé le plus loin possible de lui.

    «  Hé, t’as déjà fini les cours ? J’aurais dû suivre ce prof aussi. Il fait jamais cours plus d’une heure.  »

    «  Tu trouves pas qu’il se la coule un peu trop douce, justement ?  »

    «  Peut-être bien, ouais.  »

    Wooyeon se sentit étrangement à l’étroit. Un haut-le-cœur, peut-être. Une sensation d’étau qui lui compressait la poitrine. Il n’avait plus faim, mais garda la tête baissée et continua à manger, comme pour se forcer. Le goût n’y était pas, alors il mâchait à peine avant d’avaler.

    «  Finir plus tôt, ça ne sert à rien. Il paraît qu’il va tout nous faire rattraper plus tard.  »

    «  Beurk, sérieux ? Heureusement que je l’ai pas pris.  »

    Le burger pesait dans son estomac. Sa gorge était serrée, chaque bouchée passait difficilement. Une bouchée. Puis une autre. Et ce n’est qu’après avoir tout terminé qu’il se leva brusquement.

    «  Désolé, je vais devoir y aller.  »

    Il chiffonna l’emballage dans sa main. Garam le regarda, surprise, tandis qu’il déposait calmement les déchets dans la poubelle. Il avait donné l’impression de traîner, de manger à contrecœur, mais au final, tout avait disparu.

    «  Déjà ?  »

    «  J’ai un truc à faire pour un travail de groupe.  »

    C’était à moitié vrai, mais les mots lui vinrent naturellement. Il s’apprêtait à partir, puis s’arrêta, hésitant légèrement.

    «  Au fait… Pour la salle d’étude…   »

    «  C’est bon, je l’ai déjà réservée.  »

    Une voix calme le coupa. Wooyeon tourna la tête vers lui, mais cette fois, Dohyun ne daigna même pas le regarder.

    «  Il reste des places au café en face du campus. Tu peux me rejoindre devant l’entrée principale après les cours.  »

    «  …   »

    Les doigts de Wooyeon se croisèrent inconsciemment, et son regard se baissa. Une gêne diffuse continuait d’obstruer sa gorge. Il s’inclina légèrement, puis se dirigea vers la sortie.

    «  Alors… À tout à l’heure.  »

    Derrière lui, les membres du club le saluèrent chaleureusement  : À bientôt, Rentre bien, Prends un autre burger, si tu veux. Il ne se retourna pas, mais il le savait. Il savait que parmi toutes ces voix, celle de Dohyun n’en faisait pas partie.


    De manière paradoxale, ce que ressentait Wooyeon, c’était de la déception. La déception qu’il ait fait semblant de ne pas le connaître. La déception qu’il n’ait même pas daigné croiser son regard. Et cette même déception, il l’avait déjà ressentie le vendredi précédent.

    Mais au fond, il n’avait aucune raison d’être déçu. C’était lui, Wooyeon, qui avait choisi de faire comme s’il ne connaissait pas Dohyun. C’était lui qui l’avait ignoré. C’était lui qui avait fui. En toute logique, celui qui aurait eu toutes les raisons de lui en vouloir, c’était Dohyun.

    «  Aujourd’hui, vous allez vous réunir selon les groupes qui ont été formés la dernière fois, et discuter de ce que signifie le leadership…   »

    Franchement, c’est l’hôpital qui se fout de la charité.

    Il faisait tout pour éviter celui qu’il aimait, puis il déprimait parce que ce dernier l’évitait à son tour  ? C’était ridicule. D’autant que Dohyun ne l’évitait même pas vraiment. Il lui parlait juste un peu moins qu’avant et croisait à peine son regard. Rien de surprenant vu la façon dont Wooyeon l’avait traité.

    «  Je vous laisse trente minutes.  »

    Dès que le professeur eut fini de parler, les étudiants se levèrent en groupe pour rejoindre leurs camarades. Wooyeon poussa un soupir désabusé. Comme si ce n’était pas suffisant, il vit Kang Junseong approcher au loin.

    «  Sérieux, ils abusent. Pourquoi faut toujours qu’on fasse des présentations ? C’est chiant.  »

    Sans la moindre gêne, Junseong s’installa à côté de lui. Les trois autres membres du groupe vinrent aussitôt s’asseoir autour d’eux, en prenant Wooyeon pour repère. Dès qu’il sentit une faible odeur de phéromones alpha, il s’écarta discrètement de lui.

    «  Bon, on prend quel sujet ?  »

    Lors de la dernière séance, Junseong avait été désigné comme chef de groupe. Personne ne s’étant proposé, et lui ayant montré un peu d’enthousiasme, la décision avait été vite prise. Wooyeon, désespéré d’être dans le même groupe que lui, n’avait opposé aucune objection.

    «  Tu crois qu’on gagne des points si on fait la présentation dans une autre langue ?  »

    Junseong tourna la tête vers lui en parlant. Wooyeon lui lança un regard en coin, puis détourna les yeux. L’autre, un peu embarrassé, se frotta l’arrière de la tête. Wooyeon en profita pour déplacer sa chaise et se tourna vers les autres membres du groupe.

    «  Je m’occuperai de la présentation. Un sunbae m’a dit que ce prof met de bonnes notes si on parle une autre langue, même quand c’est moyen.  »

    «  Oh ouais, bonne idée, Woonyeon-i ! Donc tu présentes, et nous…   »

    Il devait avoir un début d’indigestion. Rien qu’à entendre «  Wooyeon-i  », il avait la nausée. Les autres ne disaient pas un mot et se contentaient d’acquiescer à tout ce que disait Junseong. Ce serait bien qu’ils participent un peu aussi, non ?

    «  Allez, on fait vite un plan. Wooyeon-ah, je peux emprunter ton stylo ?  »

    Sans même attendre sa réponse, Junseong lui piqua un stylo. Il s’était un peu trop rapproché, ce qui poussa instinctivement Wooyeon à reculer. Depuis quand il est aussi familier, lui ? Ce n’était pas le genre de type à se montrer aussi chaleureux. Et pourtant, voilà qu’il réduisait la distance, comme s’ils étaient proches.

    «  Pour le texte, on pourrait passer ça dans un traducteur…   »

    «  Pas la peine. Je le traduirai moi-même.  »

    Réponse sèche. Wooyeon pressa sa main contre son estomac. Le stress devait lui retourner l’intérieur. Junseong le regarda, soudain inquiet.

    «  Tu as mal au ventre ? Ça va ?  »

    Wooyeon resta un instant muet. Dans son regard, il y avait de l’inquiétude. De la vraie. Il le regarda fixement, interloqué, avant de répondre, presque avec sarcasme :

    «  Tu t’inquiètes pour moi, là ?  »

    Junseong battit des paupières, un peu perdu. Cette expression hébétée le rendait presque ridicule. Puis, réalisant ce qu’il venait de dire, il grimaça, gêné.

    «  Non, c’est juste que… Tu n’as pas l’air bien.  »

    Il y a encore quelques mois, il aurait réagi autrement. Il lui aurait balancé une remarque acerbe du genre «  Tu as mal au ventre ? C’est parce que t’as trop bouffé, voilà pourquoi.  » Mais maintenant, il faisait cette tête maladroite et semblait presque lui demander : J’ai pas le droit de m’inquiéter ?

    «  … Laisse tomber. Finis plutôt le plan.  »

    Wooyeon ravala sa salive, la main toujours appuyée contre l’estomac. La douleur était comme des petites aiguilles qui le piquaient de l’intérieur. Junseong parut un peu contrarié, mais ne dit rien et revint au sujet.

    Ils décidèrent de faire leur présentation sur les qualités humaines qu’un bon leader devait posséder. Entre les trois coéquipiers qui ne lâchaient pas un mot et Junseong qui râlait à voix basse « Ils sont pas muets, quand même…  », Wooyeon comprit instinctivement que ce travail de groupe était voué à l’échec. C’était déjà un miracle s’ils avaient réussi à établir un plan.

    «  Hé, au fait…   »

    Alors que Wooyeon s’attelait à mettre en forme la présentation, Junseong reprit la parole sur un ton détaché. Wooyeon ne répondit pas, mais l’autre poursuivit comme si de rien n’était.

    «  C’est un prénom courant, ‘Seon Wooyeon’ ?  »

    Crac. La mine de son porte-mine se brisa. Wooyeon pressa calmement l’embout pour en faire sortir une nouvelle, tout en écrivant «  Définition du leadership  » en anglais. Junseong, la tête posée sur la main, l’observait du coin de l’œil.

    «  Je connais quelqu’un qui s’appelle comme ça.  »

    «  …   »

    «  Le nom Seon, c’est déjà pas commun… Et ‘Wooyeon’, c’est pas si courant non plus, non ?  »


    ・.ʚ Voilà la fin de cette cinquième partie du chapitre 4 ɞ .・

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