Chapitre 20
par Ruyi ♡Son doigt effleura l’étagère du haut. Fraise, kiwi, raisin. Sa voix, douce et posée, énumérait le contenu des bouteilles comme s’il récitait une évidence. Finalement, Dohyun désigna l’étagère du dessous d’un ton égal :
« Là, l’orange plus clair, c’est du jus d’orange. »
Wooyeon écarquilla les yeux. Dohyun identifiait avec aisance des détails qu’il ignorait lui-même. Il ouvrit la bouche, puis la referma, comme un poisson hors de l’eau, tandis que Dohyun qui tenait la porte du frigo, baissait calmement les yeux vers lui.
« Tu ne manges pas de carottes, si ? »
« Comment… Tu le sais ? »
Les jus étaient faits maison, pressés à froid par le personnel. Sans sucre ni additifs, parfois infusés d’herbes ou de légumes. Et surtout, impossibles à trouver dans le commerce.
Dohyun battit des cils, comme si la réponse allait de soi.
« On a déjà mangé ensemble, non ? Ce genre de chose, ça se remarque. »
… Ah.
Il s’en souvint. Le steak haché qu’ils avaient partagé, la carotte sculptée en fleur qu’il avait repoussée du bout de la fourchette. Dohyun s’en souvenait. Mais ce n’était pas que ça. Non, ce n’était pas juste ça.
« Ce… Ce truc, tu le vends ? »
Un instant, les yeux de Dohyun changèrent. Et aussitôt, une alarme s’alluma dans la tête de Wooyeon. Il se reprit aussitôt, corrigeant à la hâte :
« Oui. »
« … Quoi ? »
La sonnerie du frigo les interrompit. Trop longtemps ouvert. Wooyeon referma la porte d’un geste brusque, puis s’y adossa, comme pour se protéger.
« C’est vrai, c’est en vente. Mais y’a aucune étiquette. Comment t’as deviné le goût ? »
« Le jus ? »
Dohyun jeta un regard distrait à la bouteille que Wooyeon tenait toujours entre les mains.
« Je l’ai déjà goûté. »
Un frisson lui parcourut l’échine. L’image s’imposa, vive, précise. Ces jours où, entre deux chapitres de maths, il posait un verre à côté de ses fiches. Ce n’était pas un hasard.
« Alors… C’était le même produit. »
Wooyeon répondit calmement et rouvrit le frigo. À l’intérieur, les mêmes bouteilles s’alignaient en rang serré. Il en sortit une à la fraise, une au kiwi, puis une au raisin. Dohyun s’approcha et lui prit les bouteilles des mains.
« Donc c’est vraiment du fait maison… Tu les prépares pour les vendre, hein. »
Wooyeon en tenait difficilement deux, quand Dohyun, lui, en saisit deux dans une seule main avec aisance. Il les déposa sur le comptoir de l’îlot, puis ajouta d’un ton léger :
« Ce genre de choses, on en voit partout ces temps-ci. »
J’ai frôlé la catastrophe.
Mais quelque chose clochait. Dans ses souvenirs, Dohyun avait toujours bu ses jus dans un verre, jamais dans une bouteille comme celles-là. C’était donc la première fois qu’il en voyait une sous cette forme — et pourtant, il l’avait reconnue immédiatement. Peut-être qu’il a juste l’œil pour ce genre de détails… Ou alors il a confondu. Même si j’parierais plutôt sur la première option.
« Et tu sais, souvent, il suffit de regarder la couleur pour deviner. »
Aucune trace de doute sur son visage. Wooyeon poussa enfin un vrai soupir de soulagement et se mit à fouiller les placards. Dohyun, lui, s’était adossé au plan de travail, l’air détendu, comme s’il attendait tranquillement.
« Tu cherches un truc ? »
« Un verre. J’vais pas te servir ça comme ça. »
« Et pourquoi pas ? Je bois direct à la bouteille, moi. »
« T’es un invité. »
« Un invité… »
— Un intrus, plutôt, marmonna-t-il, à peine audible. Wooyeon ignora la remarque et ouvrit un placard en hauteur. Les verres étaient là, bien alignés, mais un peu trop haut pour lui.
Il s’apprêtait à tendre le bras quand son regard croisa celui de Dohyun. Il l’avait déjà remarqué avec son manteau, mais maintenant qu’il était plus légèrement vêtu, sa silhouette ressortait nettement. Élancé, droit, harmonieux. Dohyun inclina la tête, ses yeux clairs fixés sur lui.
« Tu veux que je les prenne ? »
C’était exactement pour ça qu’il l’avait regardé. Pas envie d’être vu en train de me hisser comme un gosse sur la pointe des pieds… Mais dès qu’il croisa son visage, toutes ses pensées s’étaient envolées.
« Non, t’en fais pas. J’vais les prendre. »
Pourquoi il est aussi beau, même quand il fait rien ? Peut-être à cause de ce cardigan tout doux… On aurait presque envie de s’approcher, de respirer son odeur. Celle de son adoucissant, propre et familière, lui chatouillait déjà le nez rien qu’à l’imaginer.
Wooyeon secoua la tête et leva de nouveau le bras vers le placard. C’était toujours trop haut. Ses doigts effleurèrent à peine le fond d’un verre. Trois centimètres de plus… Juste trois… À peine cette pensée lui traversa-t-elle l’esprit que le premier verre bascula.
« … ! »
Pris de panique, Wooyeon recula d’un pas. Le verre tombait droit vers son visage. Il tendit la main, mais attrapa seulement du vide. Ses yeux s’écarquillèrent, puis il les ferma brusquement.
Je vais entendre le fracas, c’est sûr. D’une telle hauteur, aucun verre ne pouvait survivre. Ses paupières tremblaient, un frisson glacé lui remonta la nuque. Il retint son souffle et attendit.
« … »
Mais après un long moment… Toujours rien. Rien ne toucha son visage, aucun éclat ne vola. Intrigué, Wooyeon entrouvrit doucement les yeux.
« À chaque fois que je te regarde… »
Une voix familière, calme, s’éleva à quelques centimètres à peine. Il sentit dans l’air une légère trace de phéromones. La vision qui s’offrit à lui : une main qui tenait le verre juste à temps.
« … Tu m’empêches de détourner les yeux. »
Dohyun avait tendu le bras derrière lui, comme pour le protéger. Lui aussi semblait avoir été surpris — un filet de phéromones s’échappait doucement de lui. Il poussa un petit soupir et plongea son regard dans les yeux écarquillés de Wooyeon.
« Ça va ? »
Le souffle court, Wooyeon sentit sa poitrine se gonfler. Les phéromones alpha, secs et puissants, enflammèrent ses entrailles. Si je respire, je vais exploser. Mes phéromones vont déborder, c’est sûr…
« Je… »
Pas du tout. Son cœur battait à tout rompre, sa tête bourdonnait. Une sensation étrange, chaude, s’étendait de sa gorge jusqu’à son bas-ventre.
« Ça va… »
Il réussit à répondre, mais sa voix était fêlée, tremblante. Il n’avait même pas soif, mais sa gorge était en feu. Haletant, le visage cramoisi, il cligna plusieurs fois des yeux.
« Fais gaffe. »
Dohyun s’écarta aussitôt, reposa le verre sur la table, puis en sortit trois autres du placard. Il bougeait avec une aisance tranquille, là où Wooyeon avait galéré en s’agitant dans tous les sens.
« … Merci. »
Il avait beau essayer de retenir ses phéromones, ils filtraient quand même, lentement. J’ai trop chaud. Si je reste là, je vais perdre le contrôle. Paniqué, Wooyeon se couvrit les oreilles, tourna le dos à Dohyun.
« J-je… Faut que j’aille aux toilettes… »
Dohyun n’eut même pas le temps de répondre. Wooyeon fila, fuyant la pièce à toute vitesse de peur qu’il le retienne. Il évita la salle de bain du salon, incapable de passer devant Garam et Seongyu. Direction : la chambre.
Clac. Dès que la porte se referma, il s’écroula au sol. Il replia les genoux et y enfouit son visage. Les battements de son cœur résonnaient fort, boum, boum, comme des tambours dans tout son corps.
« Aaah… »
Ce n’était pas la première fois qu’il ressentait ça. À l’époque où Dohyun était son professeur particulier, il suffisait d’un rien pour le faire frémir. Un simple regard, un contact involontaire… Rien que voir son visage le mettait dans tous ses états. Il s’était même souhaité, sincèrement, ne jamais l’aimer.
Et voilà qu’il recommençait. Une main sur la poitrine, il inspira profondément. Il ne faut pas… se répéta-t-il encore et encore. Mais une fois entrouvert, un cœur ne se referme pas si facilement.
« … Je suis foutu. »
Ses phéromones, libérés par le tumulte de ses émotions, se répandirent dans la pièce en volutes chaudes. Il en était sûr cette fois : c’était dangereux. Vraiment dangereux.
Wooyeon n’était pas quelqu’un qui accordait facilement sa confiance. Comme beaucoup de ceux qui ont grandi dans l’abondance, sa mère incarnait parfaitement l’image froide et distante de la classe dominante. Et autour de lui, il n’y avait jamais eu que des gens faux, calculateurs, rongés par l’ambition. Peu importait l’endroit, il y retrouvait toujours les mêmes visages — les mêmes intentions. Son monde s’était rétréci, un peu plus chaque jour.
Son premier vrai contact avec la société fut le collège. Il y entra à quatorze ans, plein d’espoirs naïfs et d’un désir de liberté. Mais l’école ne fut pas le havre qu’il avait imaginé.
Il lui fallut à peine un mois pour devenir la cible d’un isolement cruel. Deux années passèrent avant que son chemin ne croise celui de Dohyun. Leur lien fut bref, mais suffisant pour lui apprendre ce que signifiait faire confiance.
Dohyun était gentil, attentionné, et ne semblait rien attendre en retour. Même si tout cela venait peut-être d’un simple devoir moral, pour Wooyeon, c’était un véritable salut. Comment ne pas l’aimer ?
Les émotions s’étaient insinuées lentement, comme une marée. Et même si les grandes vagues avaient fini par se retirer, son cœur restait trempé. Il faudrait du temps pour sécher tout ça. Et au moindre relâchement, il replongerait. C’était inévitable.
« Tu t’es changé ? »
« Ouais, c’était trop inconfortable. »
Wooyeon ne ressortit de la chambre qu’après un long moment. Il avait pris soin de calmer ses phéromones, s’était rafraîchi le visage. Quand il revint, le temps avait déjà filé. Les trois autres étaient penchés sur leurs cahiers, concentrés sur les révisions. Il s’installa à côté d’eux, discrètement, pour se préparer au quiz de vendredi.
Le soleil déclinait à l’horizon. Il était tout à fait l’heure de dîner, mais Wooyeon ne se sentait pas capable de leur proposer quoi que ce soit. Ce n’était pas dans ses habitudes. Naturellement, ils rangèrent leurs affaires en convenant d’un prochain rendez-vous.
« Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas que je vous raccompagne ? »
« C’est bon ! On n’est plus des gamins. »
« Ouais, reste tranquille. »
Garam et Seongyu refusèrent catégoriquement. Wooyeon avait au moins voulu les accompagner jusqu’à l’ascenseur, mais ils s’y opposèrent jusqu’au bout. Ils l’avaient déjà pris de court en débarquant à l’improviste — maintenant, ils voulaient qu’il puisse se reposer un peu.
« Rentrez bien. »
Il les salua depuis l’entrée, maladroitement. Lorsqu’ils lui demandèrent de leur montrer l’étage supérieur la prochaine fois, il acquiesça, sans trop savoir quoi répondre. Dohyun, qui était resté silencieux jusqu’ici, parla juste avant que la porte ne se referme :
« À demain. »
Clac. Le bruit sec de la porte résonna comme un point final, coupant net tout lien avec l’extérieur. Le silence retomba d’un coup, lourd, presque irréel. Wooyeon frotta ses paupières fatiguées, puis s’éloigna lentement vers l’intérieur.
« … »
Je veux pas l’aimer. Mais je sens que je vais finir par craquer.
C’était comme si tout était déjà écrit d’avance — et ce n’était pas le genre de destin qu’on pouvait changer à force de lutter.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin de cette quatrième partie du chapitre 4 ɞ .・
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