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    Lu Xun 魯迅 – Le sacrifice du Nouvel An

    Lu Xun (魯迅), considéré comme le père de la littérature moderne chinoise, a profondément marqué le paysage littéraire du XXe siècle. Ses nouvelles, incisives et souvent empreintes de satire, dressent un portrait sans concession de la société chinoise de son époque, oscillant entre critique sociale, désespoir existentiel et appels à l’éveil des consciences.

    À travers ses œuvres, il donne voix aux oubliés, aux opprimés et aux marginaux, dévoilant les tensions d’un pays pris entre tradition et modernité. Chaque nouvelle devient un espace de réflexion, où le style acéré de Lu Xun se met au service d’un regard lucide et engagé sur son temps.


    « 祝福 » (Bénédiction) ou (Vœux de bonheur)

    Parue en 1924, la nouvelle « 祝福 », littéralement Bénédiction, est l’un des textes les plus poignants de Lu Xun. À travers cette courte œuvre, mais remplis de symbolique, Lu Xun s’attaque à la condition des femmes dans la société féodale chinoise et à l’hypocrisie des rites religieux. Elle raconte en trois temps le destin tragique de la belle-sœur Xianglin/la vieille tante Xianglin, figure emblématique de la femme opprimée dans la Chine traditionnelle.


    Résumé

    L’histoire se déroule à l’occasion du Nouvel An chinois, dans un village où se rend le narrateur. Il assiste à la cérémonie du Zhùfú – bénédiction traditionnelle – et y croise Xianglin Saoniang (祥林嫂) , une servante autrefois pleine de vie, désormais réduite à l’état d’ombre. Rejetée par la communauté, elle est victime d’un destin tragique :

    Autrefois mariée très jeune à un garçon de dix ans son cadet, Xianglin devient veuve et tente d’échapper à la domination de sa belle-mère en trouvant du travail chez les Lu, une famille respectable. Mais elle est bientôt rattrapée par des hommes de main de cette belle-mère, qui la revendent pour un second mariage, empochant ainsi l’argent pour marier son autre fils.

    Avec son nouveau mari, Xianglin connaît un court répit. Mais le bonheur est de courte durée : son mari meurt, puis leur enfant. Elle est alors chassée par le frère de son défunt mari, perdant tout statut et tout foyer. De retour chez les Lu, elle tente de se faire réembaucher, mais la société la rejette, car elle est désormais considérée comme une veuve remariée, un être impur qui pourrait porter malheur aux cérémonies du Nouvel An.

    Isolée, ridiculisée, marginalisée, Xianglin meurt peu après — probablement par suicide. Le texte reste volontairement ambigu, suggérant que c’est bien la société, cruelle et indifférente, qui l’a poussée à la mort.


    Analyse et critique

    À travers Xianglin Saoniang, Lu Xun met en lumière l’inhumanité d’une société qui, sous couvert de rites religieux et de traditions, piétine les plus vulnérables. Le titre même, Bénédiction, est ironique : alors que la fête devrait célébrer la vie, elle devient le théâtre silencieux de l’exclusion et de la souffrance.

    A. Contre le confucianisme hypocrite

    Le Quatrième oncle Lu, incarnation du lettré confucéen rétrograde, rejette toute réforme et se montre plus attaché aux rites qu’à l’humain. Il incarne une morale fossilisée et perverse, qui sacrifie la justice à la superstition.

    B. La condition féminine

    Xianglin est une femme sans nom propre, réduite au statut de belle-sœur. Elle est constamment sous tutelle (belle-mère, maris successifs, frères), et subit la violence patriarcale, l’humiliation sociale, et l’exploitation économique : elle est littéralement « vendue » deux fois. Son remariage la rend impure aux yeux du village, et elle devient une paria.

    C. Dénonciation des superstitions

    Les rituels du Nouvel An, les croyances taoïstes et bouddhistes servent à justifier le rejet de Xianglin. Elle est exclue des festivités et des prières, accusée de porter malheur. Même ses actes de piété (don au temple) ne la réhabilitent pas. Elle devient une sorte de victime sacrificielle offerte à la société.

    D. Satire des mentalités villageoises

    Le texte tourne en dérision la morale populaire : les femmes du village se délectent de ses malheurs, la plaignent de manière hypocrite, puis s’en lassent. Sa cicatrice devient un objet de curiosité. Même la dévote Liu Ma, malgré sa religiosité apparente, contribue à l’humilier avec des propos cruels déguisés en compassion.

    Le style de Lu Xun est sobre, mais d’une efficacité redoutable. Il décrit sans détour la brutalité de l’ordre établi, où superstition, patriarcat et conformisme se mêlent pour broyer les individus, en particulier les femmes.


    Conclusion

    Bénédiction est une œuvre emblématique de la pensée de Lu Xun : une dénonciation de la cruauté sociale camouflée derrière les traditions et un appel à l’éveil moral. Cette nouvelle illustre avec une intensité bouleversante le combat de l’auteur contre l’ignorance, l’injustice et la résignation.

    • Chapitre

      Chapitre 03 🔍

      Chapitre 03 🔍 Couverture
      par Ruyi ♡ - Le campus originel de l’Université de de la cité des Dragons avait été construit à l’époque de la République de Chine* et portait le poids d’un siècle d’histoire. Partout où l’on posait les yeux, de vieux arbres majestueux formaient une voûte dense qui obscurcissait presque entièrement le ciel. Les bâtiments universitaires, dissimulés sous cette canopée, dataient de l’époque des concessions européennes* : ils paraissaient anciens, presque abandonnés. Seuls les bâtiments…

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