15. Dame du chateau
by Ruyi ♡Un rayon de soleil aveuglant força Maxi à ouvrir les yeux. Son corps était endolori, et sa tête la martelait. Encore endormi, elle se frotta les yeux et se redressa dans le lit, avant d’être aussitôt saisie par la fraîcheur matinale. Lorsqu’elle baissa les yeux, elle constata qu’elle était entièrement nue sous la couverture et se hâta de s’enrouler dedans à nouveau. Désorientée, elle tenta de se rappeler ce qui s’était passé.
La veille, elle et Riftan étaient arrivés à Anatol en compagnie des chevaliers de Remdragon, et… Elle s’était endormie pendant qu’ils prenaient un bain ensemble.
Maxi releva brusquement la tête et balaya la pièce du regard. Elle était seule. La robe de chambre de Riftan était posée près de la cheminée, où quelques braises rougeoyaient encore. Où était-il passé ?
Sans sortir du lit, elle chercha des yeux un vêtement à enfiler. Une chemise de nuit soigneusement pliée reposait sur une étagère près de la fenêtre. Enroulée dans sa couverture, elle se leva à la hâte. Mais alors qu’elle tendait la main vers la chemise, un coup résonna à la porte.
« O-Oui ? » répondit-elle un peu trop vivement.
« Veuillez m’excuser de troubler votre sommeil, madame, » répondit une voix douce. « Je viens raviver le feu dans l’âtre. »
« C-Ce n’est rien… J-je suis d-déjà réveillée. V-vous pouvez entrer. »
Une grande servante entra dans la chambre et s’inclina. Elle paraissait avoir une trentaine d’années.
« Je m’appelle Ludis Ain, » dit-elle. « Je serai à votre service à partir d’aujourd’hui. »
« J-je suis M-Maximilian C-Calypse. E-enchantée. »
« Vous vous êtes couchée sans dîner hier soir, » répondit poliment Ludis, sans paraître surprise par le bégaiement de Maxi. « Souhaitez-vous que je fasse préparer votre petit-déjeuner ? »
« J-j’aimerais m-m’habiller d’abord… »
« Un instant. Je vais vous aider après avoir ravivé le feu. »
Ludis sortit quelques bûches de son panier et les plaça dans l’âtre, avant de remuer les braises de temps à autre avec un tisonnier jusqu’à ce que les flammes reprennent vie. Lorsqu’elle eut terminé, elle apporta à Maxi une pile de vêtements soigneusement pliés. Maxi enfila rapidement un sous-vêtement en lin et une fine chemise, tandis que Ludis remplissait une petite bassine d’eau tiède parfumée de quelques gouttes d’huile essentielle. La servante trempa une serviette propre dans l’eau, puis l’utilisa pour lui tamponner doucement le visage, le cou et les bras, avant de l’aider à enfiler une élégante robe dorée, qui lui arrivait jusqu’aux chevilles.
Une fois la robe enfilée, Maxi poussa un petit cri d’émerveillement en découvrant ses broderies raffinées. Les longues manches flottantes ressemblaient à des ailes de papillon. Elle n’avait rien à envier aux tenues de Rosetta.
« Dites-moi si c’est trop serré, » lui souffla Ludis en nouant un ruban rouge juste sous sa poitrine.
Maxi secoua la tête. Elle avait du mal à reconnaître la femme dans le miroir. Son visage pâle paraissait radieux, sans doute grâce à l’humeur légère qui l’habitait, et ses cheveux auburn, d’ordinaire indomptables, mettaient joliment en valeur les reflets dorés de sa robe.
« Souhaitez-vous que je vous coiffe, madame ? Je peux tresser vos cheveux et les relever. »
« O-Oui, je veux bien. » Maxi acquiesça timidement et s’installa sur la chaise près de la fenêtre.
Ludis ajusta le miroir et commença à lui brosser doucement les cheveux. Le doux crissement du peigne d’ivoire glissant dans sa chevelure berçait Maxi tandis qu’elle observait le paysage au-dehors. Par la fenêtre, elle apercevait une muraille de falaises grises et des conifères géants dressés vers le ciel comme des lances.
« Souhaitez-vous prendre votre repas ici, madame ? »
Maxi secoua la tête. Elle brûlait d’envie de découvrir le reste du château. Ici, il n’y avait ni demi-sœur au visage perpétuellement fermé, ni père prêt à entrer dans une rage noire à la seule vue d’elle. Elle était libre d’aller où bon lui semblait.
« J-j’aimerais m-manger dans la s-salle à m-manger. A-aidez-moi à f-finir de m-m’habiller, s’il vous plaît. »
« Bien entendu, madame. »
En un rien de temps, Ludis releva ses cheveux en un chignon tressé, puis alla chercher une paire de souliers élégants à bout pointu. Maxi les enfila et observa son reflet. Après ces longs jours de voyage, le simple fait d’avoir changé de tenue et d’être coiffée lui donnait une toute autre allure. Ses joues s’empourprèrent sous le coup de l’émotion. Est-ce que Riftan serait ravi de la voir ainsi ?
« O-Où est R-Riftan… J-je veux dire, le s-seigneur Calypse ? »
« On m’a dit que le seigneur s’était levé à l’aube pour se rendre à la salle d’entraînement, » répondit Ludis, visiblement soucieuse. « Vous sentez-vous mal, madame ? »
« N-Non… » Maxi pencha la tête, incertaine de comprendre pourquoi la servante semblait s’inquiéter.
Puis, soudain, elle comprit. Son visage s’empourpra. Est-ce à cause de mon bégaiement ? Une vague de honte balaya d’un coup toute l’excitation qu’elle ressentait quelques instants plus tôt.
« J-Je… Je vais b-bien. » Même à ses propres oreilles, sa voix tremblante sonnait affreusement mal. Incapable de supporter cette gêne plus longtemps, Maxi se précipita vers la porte.
« Madame ! » s’exclama Ludis en la suivant, l’air troublé. « Permettez-moi de vous guider à travers le château. »
Maxi venait de sortir dans le couloir sans la moindre idée de l’agencement des lieux. Elle ralentit le pas et acquiesça discrètement, reconnaissante envers Ludis qui, malgré tout, continuait de la traiter avec déférence.
« Par ici, » dit Ludis en se plaçant à ses côtés.
Tandis que la servante la guidait vers les escaliers, Maxi observa les recoins du château qu’elle n’avait pas remarqués la veille. Les murs de pierre grise, bien que rugueux, avaient une beauté sobre et naturelle. Le soleil filtrait à travers les fenêtres cintrées et projetait des ombres élégantes sur le sol. Elle plissa les yeux sous l’éclat de la lumière, tandis qu’elle suivait Ludis d’un pas hésitant.
En plein jour, le château de Calypse paraissait différent. Toujours aussi austère, toujours aussi vide, mais il dégageait désormais un charme ancien, presque noble.
C’est le château rêvé pour un chevalier…
« Y a-t-il des aliments que vous n’aimez pas, madame ? » demanda Ludis pendant qu’elles marchaient. « Ou certains plats que vous souhaiteriez que je demande en cuisine ? »
« P-Pas vraiment… » répondit Maxi, sans trop savoir quoi dire à une question aussi inhabituelle.
Un bref éclat de lassitude traversa le visage de Ludis. Peut-être regrettait-elle d’avoir hérité d’une maîtresse aussi peu expressive.
Maxi secoua la tête pour chasser ces pensées autodestructrices et suivit Ludis dans la vaste salle à manger. Une longue table en bois de cerisier trônait au centre de la pièce, et plusieurs domestiques attendaient en silence contre le mur. Parmi eux se trouvait le vieil homme qui avait subi la colère de Riftan la veille. Il s’avança pour tirer une chaise à son intention.
« J’espère que vous avez passé une bonne nuit, madame ? »
« O-Oui, très bonne. »
« Veuillez me pardonner de ne pas m’être présenté hier. Je me nomme Rodrigo Ceric. Je suis responsable du personnel du château. »
« E-Enchantée, » répondit Maxi, s’efforçant de garder contenance.
Rodrigo s’inclina respectueusement. « Je suis à votre entière disposition, madame. N’hésitez pas à me faire part de vos besoins, quels qu’ils soient. »
« I-Il y a… Quelque c-chose… » balbutia Maxi, incertaine.
Rodrigo attendit patiemment qu’elle poursuive.
« Le s-seigneur m’a dit que je p-pouvais décorer le c-château… »
« Effectivement, madame. Le seigneur m’a donné des instructions très claires ce matin. Je suis là pour vous assister en tout ce que vous jugerez nécessaire. Je comptais faire venir les marchands au château sous peu. Souhaitez-vous faire un tour du domaine avant cela ? »
« O-Oui, j’aimerais bien. »
Maxi scruta le visage de l’intendant, à la recherche du moindre signe de moquerie face à son bégaiement. Mais Rodrigo n’afficha aucune réaction déplacée. Il se contenta de poser devant elle des couverts en argent et une coupe avec calme et respect. Rassurée, elle commença à manger le repas qu’un domestique venait de lui servir. Elle s’était endormie la veille sans dîner, et le pain grossier qu’elle avait grignoté pendant le trajet depuis le château de Croyso ne lui avait guère tenu au ventre. Elle mourait de faim.
Elle entama son repas avec une cuillerée de soupe onctueuse, puis se jeta sur le pain tout juste sorti du four, qu’elle recouvrit généreusement de beurre et de confiture. D’ordinaire, elle mangeait comme un moineau, mais l’apparition de mets aussi appétissants après plusieurs jours sans véritable repas réveilla son appétit vorace. Elle savoura ensuite une part de tourte à la viande, qu’elle accompagna de quelques gorgées de cidre doux pour se rincer le palais. Même si elle n’avait pas été affamée, elle aurait trouvé la cuisine exceptionnelle.
« Souhaitez-vous être resservie, madame ? » demanda Rodrigo avec prévenance.
« N-Non, merci, j’ai suffisam-ment mangé. »
Elle s’essuya délicatement les lèvres avec une serviette et se leva de table. En quittant la salle à manger, Rodrigo la guida à travers le château tout en lui racontant l’histoire d’Anatol.
« Le château de Calypse a été construit il y a cent cinquante ans par un chevalier roémien du nom de sire Anatol. Après la chute de l’Empire, les attaques de monstres se sont multipliées dans la région, et les Sept Royaumes ont peu à peu perdu le contrôle d’Anatol. Lorsqu’elle fut rattachée au royaume de Wedon, il y a quarante ans, cette terre était pratiquement déserte. Sauvage et inhabitée, elle était devenue le repaire de nombreuses créatures.
Mais tout changea il y a dix ans, lorsque sire Riftan Calypse, alors âgé de dix-huit ans et tout juste adoubé*, devint le nouveau seigneur d’Anatol. Sa première décision fut de faire rénover entièrement le château et de reconstruire les murailles du village. Grâce à ses efforts, la population d’Anatol a triplé depuis. »
(N/T : Être « adoubé », à l’origine, c’est recevoir officiellement le titre de chevalier lors d’une cérémonie médiévale. Par extension, cela signifie aujourd’hui être reconnu, validé ou élevé à une position importante par une figure d’autorité.)
La voix de Rodrigo vibrait de fierté et de respect tandis qu’il évoquait les exploits de Riftan. Visiblement, la remontrance de la veille n’avait en rien entamé sa loyauté.
« Cela dit… » poursuivit-il, le ton un peu contrit, « les rénovations ont surtout misé sur l’aspect fonctionnel plutôt que sur l’esthétique. Le château peut paraître quelque peu austère. »
Maxi esquissa un sourire gêné. Sa mission était désormais claire.
« C-Combien de pièces y a-t-il… Au total ? »
« Rien que dans le donjon principal, il y a plus d’une centaine de pièces. La tour et l’aile annexe en comptent une quarantaine. Si l’on ajoute les baraquements de la garde et les quartiers des chevaliers, cela fait environ deux cent cinquante pièces. »
La réponse laissa Maxi désemparée. Comment allait-elle redécorer un aussi vaste domaine ?
Mais Rodrigo n’en avait pas terminé.
« Nous avons cinq salons de réception, deux grandes salles de banquet et des salons de rafraîchissement à chaque étage, mais aucun n’a été utilisé depuis des décennies, » dit-il avec une pointe de regret. « Les chevaliers n’aiment guère le thé, voyez-vous. Je dois avouer que cela fait bien longtemps que je n’ai pas préparé une vraie bonne infusion. »
Maxi imagina Riftan, une délicate tasse de thé à la main. L’image était si incongrue qu’elle en eut un petit rire. Rodrigo toussota discrètement.
« Aimez-vous le thé, madame ? »
« O-Oui, beaucoup. »
« Alors je demanderai au page* de vous préparer une collation. Rien que les meilleures feuilles de thé pour vous, madame. »
(N/T : Un « page » était, à l’époque féodale, un jeune garçon au service d’un noble ou d’un chevalier, chargé de petites tâches et formé pour devenir lui-même chevalier un jour. Par extension ou en style littéraire, « le page » peut désigner un jeune serviteur ou assistant.)
« M-Merci beaucoup. »
Un doux sourire se dessina sur le visage ridé du vieil homme, et l’anxiété de Maxi s’apaisa aussitôt. Le majordome semblait être un homme bienveillant.
« Souhaitez-vous passer à la pièce suivante ? »
Maxi acquiesça et le suivit dans l’escalier.
« Vous le savez peut-être déjà, madame, mais la salle à manger se trouve au premier étage, à côté du grand hall, et vos appartements sont situés au troisième. Le bureau de Seigneur Calypse se trouve à l’extrémité nord du même étage. Au deuxième, vous trouverez la salle de banquet ainsi que les chambres d’amis, et la bibliothèque est au quatrième. »
« I-Il y a une b-bibliothèque ? »
« Oui, madame. Le seigneur possède une collection d’environ huit mille ouvrages, bien que la majorité remonte à l’époque de l’Empire roémien. Souhaitez-vous la visiter ? »
Elle hésita. Les livres étaient précieux, et Riftan n’apprécierait peut-être pas qu’elle y touche sans sa permission. Maxi secoua la tête.
« U-Une autre f-fois, p-peut-être… »
« Comme il vous plaira. Dans ce cas, dirigeons-nous vers le salon et la salle de banquet. »
Elle hocha la tête. Les salons et salles de réception étaient essentiels pour accueillir les invités, et il lui semblait judicieux d’y jeter un œil avant de réfléchir à la décoration.
La salle de banquet était complètement vide. Aucun lustre ne pendait au plafond voûté, et le froid s’élevait directement du sol en pierre. Des fissures aux vitres laissaient passer des courants d’air, accentuant encore l’ambiance morne et glaciale de la pièce.
« Nous n’y avons jamais organisé de banquet… » murmura Rodrigo, visiblement gêné.
« V-Vous avez b-bien dû recevoir des i-invités, n’est-ce p-pas ? »
« Les seuls invités de Seigneur Calypse sont des chevaliers, et ils ne s’intéressent guère aux bals ou aux banquets. Le seigneur débouche parfois quelques tonneaux de vin en leur honneur, mais il n’a jamais organisé de dîner officiel avec d’autres nobles. La reconstruction du château et des murailles a coûté tellement d’or qu’il n’en restait plus pour recevoir des invités. » Rodrigo poussa un soupir. « Après tant d’années d’inutilisation, il semble avoir oublié jusqu’à l’existence même de ces salles. »
Maxi, exaspérée, se retint de se prendre la tête entre les mains. Riftan avait peut-être réussi à se passer de banquets jusqu’à présent, mais il était désormais un homme influent, salué comme le chevalier le plus puissant du continent. Tôt ou tard, des invités viendraient, et elle ne pouvait décemment pas les accueillir dans un château aussi négligé.
« P-Pourriez-vous faire v-venir les m-marchands a-aussi vite que p-possible, s-s’il vous plaît ? »
Rodrigo acquiesça avec empressement avant de la guider vers le salon de réception et les chambres d’amis. Le salon n’était pas en meilleur état, mais au moins, les chambres étaient correctement meublées. Chacune contenait un lit robuste aux draps propres, et de jolies étagères ornaient les murs près des fenêtres. Maxi observa les lieux avec attention avant de suivre Rodrigo jusqu’aux quartiers des domestiques, au rez-de-chaussée.
« Les hommes logent dans l’annexe, » expliqua Rodrigo, « et les servantes dorment au premier étage du donjon, afin de pouvoir répondre immédiatement à vos appels. Il vous suffit de sonner la cloche dans votre chambre, même en pleine nuit. »
D’après lui, le château employait un total de quatre-vingt-sept domestiques, un chiffre qui semblait bien insuffisant pour entretenir une demeure aussi vaste. Mais peut-être que, l’absence prolongée du maître des lieux ayant réduit l’activité, il n’y avait tout simplement pas eu besoin de plus de personnel.
Après lui avoir présenté les servantes, Rodrigo la mena à la dernière étape de la visite : la vaste cuisine. C’est là, enfin, qu’elle ressentit une chaleur absente du reste du château.
Un immense four cracheur de flammes et une rangée de cheminées longeaient le mur. Une marmite grande comme une baignoire frémissait sur des braises rougeoyantes, tandis qu’un cerf rôtissait à la broche dans un four ouvert, sous la hotte. Sa chair grésillait, suintant de jus appétissants.
Partout où Maxi posait les yeux, les domestiques s’affairaient : certains pétrissaient la pâte, d’autres épluchaient des pommes de terre, découpaient de la viande fumée ou lavaient une montagne de vaisselle.
« La cuisine est l’endroit le plus animé du château, » expliqua Rodrigo en désignant l’agitation ambiante. « Les serviteurs n’ont presque aucun répit, car ils doivent préparer les repas des chevaliers et des soldats chaque jour. Et comme nous manquons de main-d’œuvre, tous les domestiques participent à la préparation du déjeuner et du dîner. »
« C-C’est pour ça qu’il n’y avait p-pas de domestiques dans les a-autres pièces… » pensa Maxi, qui se fit aussitôt la promesse de demander à Riftan d’engager du personnel supplémentaire.
« Souhaitez-vous visiter l’annexe, madame ? »
Sous le soleil, les jardins paraissaient encore plus négligés que la veille. Le sol était envahi par les mauvaises herbes, et l’arbre nu près du pavillon aurait dû être abattu depuis longtemps.
Le grand hall était la fierté de tout seigneur. Les jardins menant à l’entrée du donjon devaient impressionner les invités, car ils constituaient la première chose que les visiteurs voyaient. Son père veillait toujours à ce que les grilles du château de Croyso soient ornées de fleurs colorées et bordées d’arbres soigneusement taillés, quelle que soit la saison.
Les jardins n’ont pas besoin d’être somptueux, mais je dois les rendre présentables. Je ne veux pas que quelqu’un puisse se moquer du château Calypse… Ou de Riftan.
« I-Il n’y a p-pas de jardinier ? » demanda-t-elle en fronçant les sourcils.
« Ce sont les domestiques qui nettoient les jardins à tour de rôle, » répondit Rodrigo en s’essuyant le front.
« Autrement dit, nous n’avons pas de jardinier attitré. »
Les domestiques n’étaient pas à blâmer. C’était au seigneur et à la dame du château de veiller à ce qu’il reste présentable. Et puisque Riftan était parti pour une longue campagne, cette responsabilité aurait dû lui revenir. Maxi comprenait à présent le reproche que son mari lui avait fait plus tôt.
Elle se frotta les tempes, assaillie par l’ampleur de la tâche qui l’attendait.
« J’aimerais v-voir l’annexe, maintenant. »
« Bien entendu, madame. Par ici. »
Elle suivit Rodrigo à travers les jardins, longeant un étroit sentier de terre. Quelques chênes centenaires projetaient leurs ombres délicates sur le sol.
« Autrefois, » expliqua Rodrigo, « l’annexe servait de résidence aux proches du seigneur Anatol. Elle a depuis été rénovée et abrite désormais les écuyers. »
« Il y a b-beaucoup d’écuyers, ici ? »
« Une trentaine, je dirais. Depuis que Seigneur Calypse est devenu le commandant des chevaliers Remdragon, de nombreux seigneurs envoient leurs fils ici. Après leur période d’apprentissage, ils sont adoubés et officiellement intégrés à l’ordre. »
Rodrigo s’arrêta net.
« Ah, c’est l’heure de leur entraînement. »
Maxi s’arrêta à ses côtés. Dans une grande clairière au bout du chemin, un groupe de garçons qui ne semblaient pas avoir plus de quinze ans se tenait en rang, l’épée d’entraînement à la main.
« Souhaitez-vous que j’annonce votre présence, madame ? »
« N-Non… J-je ne veux pas les d-déranger. On p-peut visiter l’annexe une autre f-fois. » fit-elle précipitamment en agitant les mains, avant de se figer. Riftan se tenait à l’ombre d’un arbre, devant les jeunes recrues, grand et imposant.
« Il semble que Sa Seigneurie supervise personnellement leur entraînement, » dit le majordome, soudainement nerveux. « Il vaudrait mieux rebrousser chemin, madame. Le seigneur n’apprécie guère qu’on perturbe ses séances d’instruction. »
« Très bien… R-Retournons, alors, » dit Maxi en faisant demi-tour. Mais avant qu’elle ne puisse faire un pas, quelqu’un lui saisit le poignet. Surprise, elle se retourna d’un coup.
C’était Riftan. Il se tenait encore sous l’arbre quelques instants plus tôt. Comment avait-il pu s’approcher aussi vite ?
« Tu comptais partir sans rien dire ? » demanda-t-il en tenant toujours son poignet.
« Je… Je ne voulais pas te déranger… »
« Tu ne nous déranges pas du tout. » Il lui prit le bras et se tourna vers les écuyers. Les jeunes hommes, ruisselants de sueur et le visage rougi par l’effort, les observaient avec curiosité.
« Pause ! » tonna Riftan. « On reprendra dans une heure. Allez vous reposer dans l’annexe. »
La main posée sur la sienne, il entraîna Maxi à l’écart. Décontenancée, elle jeta un coup d’œil vers Rodrigo, mais l’intendant se tenait à l’écart, les mains sagement croisées, visiblement décidé à ne pas les suivre.
« Tu as mangé ? » demanda Riftan, les yeux rivés sur le chemin devant eux.
« J-J’ai mangé dans la s-salle à m-manger. L’intendant… M-me faisait visiter le château… » balbutia-t-elle sans oser le regarder. Le souvenir de s’être endormie dans son bain, contre lui, lui brûla les joues.
« P-Pardon… Pour t’avoir importuné la nuit dernière… »
« M’importuner ? » Il ralentit le pas pour pouvoir la regarder.
« Je me suis e-endormie… J-juste comme ça… »
« Ce n’est rien. Tu n’es pas habituée aux longs trajets, » répondit-il sèchement avant de presser le pas.
Maxi scruta son visage. Malgré ses paroles rassurantes, il semblait contrarié.
« M-Mais… Tu devais être fatigué, toi aussi… Et pourtant, tu as dû t’occuper de m-moi… »
« Je n’étais pas fatigué, » répliqua Riftan d’un ton froid. « En réalité, c’était plutôt le contraire. »
« P-Pardon ? »
Riftan la dévisagea, l’air dur. Lorsqu’elle sursauta, il poussa un soupir.
« Laisse tomber. Tu disais que tu visitais le château ? Je vais te servir de guide. »
« D-D’accord… »
Maxi aurait voulu lui demander si elle avait fait quelque chose de mal, mais préféra garder le silence.
Ce chapitre vous est présenté par la Dragonfly Serenade : Traductrice • Ruyi ⋄ Correctrice • Ruyi
・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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